Entretien avec Christelle Néant, reporter de guerre dans le Donbass

Xavier Moreau : Présentez-vous pour nos auditeurs, bien que beaucoup d’entre eux vous connaissent. Quand êtes vous arrivée dans le Donbass ?

Christelle Néant : Il y a deux ans et demi, donc fin mars 2016, pour travailler au sein de l’agence DONi, l’agence internationale officielle de la République Populaire de Donetsk. Cela fait donc 2 ans et demi que je travaille pour l’agence DONi, à la section francophone essentiellement et un peu auprès de l’agence anglophone.

 

XM : Vous avez également un blog, Donbass Insider, que vous avez créé récemment.

CN : Créé au mois de septembre, le blog élargit les points de vue sur, entre autres, d’autres conflits comme la Syrie, la Libye, …

 

XM : Question simple, en tant que reporter de guerre, que pouvez-vous nous dire sur la situation sur la ligne de front ?

CN : Sur la ligne de front, la situation est relativement tendue. Pas extrême, mais tendue si on compare avec la situation d’avant la mort d’Alexandre Zakhartchenko. Il y a clairement plus de violations du cessez-le-feu par l’armée ukrainienne, de munitions tirées. On n’est pas encore au niveau des escalades de janvier et février 2018, mais on est encore à un niveau notable.

 

XM : Vous parlez d’escalade. S’agit-il de mouvements de troupes, de bombardements ?

CN : C’est à la fois des bombardements intensifs, y compris sur des zones civiles loin de la ligne de front mais aussi des mouvements de troupes avec des tentatives de percer les lignes à plusieurs endroits, même si c’était infructueux.

En revanche, Kiev a adopté une stratégie, notamment après les Accords de Kiev à Shirokino, dans le Sud de la DNR qui est de s’emparer de la zone démilitarisée, de villages sans défense. Le bataillon d’Azov revendique ainsi la bataille de Shirokino alors qu’il n’y a pas eu de bataille.

Effectivement, il n’y a pas eu de bataille ! Ils ont cette tactique tout le long de la ligne de front. Ils le font d’ailleurs autant en RPD qu’en RPL, encore récemment vers Zoloteïe, où ils se sont vanté d’une avancée significative.

 

XM : Comment réagit l’OSCE puisque c’est censé être un couloir démilitarisé ?

CN : Effectivement, il ne doit y avoir normalement ni soldat, ni arme. L’OSCE ferme les yeux. Alexander Hug ferme les yeux.

 

XM  : Il a tout de même déclaré dans Foreign Policy qu’il n’y avait aucune preuve de la présence russe dans le Donbass…

CN : Oui, mais il ne l’a fait qu’une fois qu’il avait quitté son poste et donc plus tenu par ses engagements auprès de l’OSCE car auparavant, il ne tenait pas ce genre de discours.

 

XM : Vous ne semblez pas tenir en haute estime le travail de l’OSCE…

CN : Pas du tout. J’ai pu évaluer leur travail ici. J’ai pu me trouver plusieurs fois sur des lieux bombardés en même temps qu’eux et regarder ensuite ce qu’ils publient dans leurs rapports. C’est absolument biaisé. Ils minimisent souvent les calibres utilisés, refusent de se rendre sur les endroits bombardés car la journée termine à 14h30… Donc j’ai effectivement une opinion extrêmement négative de l’OSCE, mais je ne suis pas la seule, la plupart des gens ici partagent cette opinion.

 

XM : J’ai été étonné que la Russie fasse confiance à l’OSCE car je me souvenais du Kosovo, où William Walker était le patron de l’OSCE Kosovo et a organisé le faux massacre de Ratshak pour justifier les bombardements. Donc comment comprenez-vous telle confiance ?

CN : Il n’y avait pas tellement d’autre choix. C’était soit l’OSCE, soit l’ONU. Dans les deux cas, il y a des antécédents de problèmes. On se souvient de missions catastrophiques de casques bleus. On peut penser que l’OSCE était imposée par les partenaires européens et que la Russie a été contrainte d’accepter tout en ayant bien conscience des limites de l’organisation.

 

XM : Pour revenir sur la situation du front, on nous a annoncé, à la fois côté Kiev et côté LNR et DNR une offensive kiévienne pour libérer le Donbass ou l’envahir selon l’avis. Finalement rien n’est venu. Personnellement, je n’y ai jamais trop cru car je pense que l’armée ukrainienne en est incapable. Selon vous, l’invasion est-elle vraiment imminente ?

CN : Pendant un moment, on a pensé que c’était possible jusqu’à se rendre compte que l’état de l’armée ukrainienne rendait cela inenvisageable. Côté ukrainienne, il y a des pertes énormes. Pour ce qui est des pertes en combats, des chiffres sont sortis dans des médias alternatifs ukrainiens, révélant que depuis le début de la guerre, il y a eu plus de 18 000 pertes, dont plus de 5 000 morts, pertes donc définitives et pertes hors-combat.

Il y a eu aussi depuis début 2018 2700 pertes hors combat.

Il faut ajouter à cela les désertions, ceux qui terminent leur contrat dans l’armée sans les renouveler, ils sont énormément nombreux. On parle de dizaine de milliers de soldats et officiers qui s’apprêtent à quitter l’armée ukrainienne.

XM : On n’imagine pas les officiers français de 14-18 arrêter leur contrat en pleine guerre. Les narratifs ne fonctionneraient donc pas ?

CN : On a tout de même déjà eu plusieurs prisonniers de guerre ukrainiens qui ont témoigné du fait qu’on les a emmené sur des positions qu’on leur avait décrites comme occupées par des russes alors qu’ils y ont découvert des civils, avec des femmes et des enfants qui vivaient dans les caves. Ils ont été assez choqués.

Il y a surtout un problème de traitement des soldats ukrainiens. Ils sont payés au lance-pierre, perdent une partie de leur salaire pour un oui ou pour un non, sont mal nourris, … Ajoutez à cela ceux qui ne croient plus au narratif et vous avez un cocktail explosif. Beaucoup boivent ou se droguent, ce qui entraîne de nouvelles pertes hors combat car une fois ivres, s’ils conduisent ou manient les armes, il n’est pas difficile d’imaginer le résultat… Donc, finalement, ils ne sont pas très motivés.

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Xavier Moreau
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