Photo : Ria Novosti
“Mais pourquoi donc Vladimir Poutine se rend-il à Belgrade?”, s’indigne l’ambassadeur américain à Belgrade Michael Kirby à l’annonce de la visite du président russe à la capitale serbe ce 16 octobre.
La réponse officielle – le défilé militaire à l’occasion de la célebration du 70ième anniversaire de la libération de Belgrade avec la participation clé de l’Armée rouge – ne satisfait pas Washington, irrité par le sentiment pro-russe de la majorité de la population serbe et inquiét par la percée des compagnies russes sur le marché serbe.
Washington et Bruxelles n’avaient déjà pas trop de sympathie pour l’amitié russo-serbe avant toute une serie d’accords stratégiques entre Belgrade et Moscou signés ces dernières années.
Le refus de Belgrade de souscrire aux sanctions occidentales contre Moscou — citant des raisons historiques, stratégiques et économiques – n’a pas fait avancer la cause de l’intégration européenne de la Serbie.
Mais le gouvernement d’Aleksandar Vučić – qui a tant fait ces derniers temps pour plaire à Washington, Berlin et Bruxelles avec la retraite des restes de l’administration serbe du Kosovo et les négotiations avec les séparatistes albanais à Pristina – n’a pas trop de choix.
La population serbe, fatiguée par la crise économique sans fin, humiliée par les ultimatums occidentaux liés a son intégration européenne, voit dans la crise ukrainiénne la répétition des guerres des années 90 en ex-Yougoslavie: la politique occidentale de deux poids-deux mesures, ses manipulations médiatiques et sanctions économiques.
Vučić, un maître en matière des sondages publiques, est conscient qu’une politique anti-russe ferait l’effet boomerang.
Il tente donc de jouer des deux cotés: il soutient l’integrité territoriale de l’Ukraine mais refuse de se joindre aux sanctions de l’UE.
Ce qui est bien logique. Belgrade ne cesse d’augmenter ses exportations envers la Russie: une hausse de produits agricoles de 68% pour la première partie de 2014 par rapport à la meme période 2013.
Les contre-sanctions russes envers l’UE ont ouvert la porte à une augmentation encore une plus grande. Mais dès que les préparations ont commencé à Belgrade pour profiter de cette occasion, Bruxelles a envoyé un aide-memoire au gouvernement serbe l’avertissant contre toute tentative.
Belgrade jouit de plusieurs accords stratégiques avec Moscou, notamment l’accord de libre échange qui lui permet d’exporter en Russie sans taxe plus de 90% de ses produits.
Mais c’est surtout les accords stratégiques sur l’énergie et la défense qui inquiètent Washington et Bruxelles. Ils craignent la percée de Gazprom sur les marchés balkaniques et ne cessent de montrer du doigt le Centre serbo-russe pour urgences humanitaires à Nis, près de la frontière bulgare, qu’ils soupconnent du potentiel de devenir un centre de renseignement stratégique derrière le dos des futures installations de l’OTAN en Roumanie et Bulgarie, à une heure de route de la plus grande base américaine de l’Europe – Bondsteel au Kosovo.
A Belgrade, Poutine aura l’occasion d’assister à la grande parade militaire, organisée en l’honneur du 70ième anniversaire de la libération de Belgrade, le 20 octobre 1944. Selon Vučić, ce sera la plus grande parade militaire en Serbie en 40 ans.
Lors de sa courte visite, Poutine deviendra également le premier dignitaire à recevoir la médaille serbe de premier ordre.
Mais, surtout, il sera chaleureusement acclamé par les Serbes à Belgrade. Déjà en 2011, plus de 30,000 Serbes s’étaient rendus au stade de l’Etoile rouge de Belgrade pour lui rendre hommage.
Ce qui, bien sûr, ne manquera pas de faire fureur à Washington et Bruxelles, d’autant plus que la Serbie s’apprête à prendre la tête de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) le 1er janvier 2015, alors que la solution pour l’Ukraine semble incertaine et loingtaine.
Aleksandar Mitić
Président du Centar za strateške alternative
(Centre pour les alternatives stratégiques)
Belgrade, Serbie
Pour contacter l’auteur:
aleksandar.mitic(at)yahoo.com
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