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Brennus: Le Moyen-Orient et l’Asie adoptent « la méthode Schuman » quand l’Europe l’abandonne

Hier 9 mai l’Union Européenne célébrait le 73ème anniversaire de la Déclaration Schuman, au risque de commémorer le contraire de son actuel comportement sur la scène international. Il est en effet pour le moins paradoxal qu’au moment où l’Union Européenne semble strictement alignée sur la politique étrangère américaine, la méthode européenne de construction des relations internationales par la coopération économique devienne le fil directeur de la diplomatie asiatique. Les Etats-Unis voient une partie du monde échapper de plus en plus à leur influence parce que la stratégie washingtonienne de la tension permanente est de moins en moins supportée. L’Union Européenne devrait faire une pause et revoir son actuelle stratégie.

Cet article est publié en partenariat avec le Courrier des Stratèges.

Les USA essaient de reprendre la main…

L’administration Biden essaie de reprendre la main en Arabie Saoudite. . Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, s’est rendu en Arabie saoudite samedi 6 mai pour s’entretenir avec les dirigeants saoudiens.

Selon M.K Badhrakumar, « Le quotidien saoudien Asharq al-Awsat, citant Bloomberg, a rapporté que M. Sullivan serait suivi par le secrétaire d’État Antony Blinken “dans un nouveau signe de la détermination de l’administration américaine à cimenter les liens avec le Royaume”.

Parallèlement, M. Sullivan a révélé que des représentants de l’Inde et des Émirats arabes unis se rendraient également en Arabie saoudite pour discuter de “nouveaux domaines de coopération entre New Delhi et le Golfe, ainsi qu’entre les États-Unis et le reste de la région”. En substance, il affirme être le fer de lance d’une initiative de la Maison Blanche visant à réinitialiser la stratégie de Washington dans le Golfe.

Sullivan a l’art de créer des malentendus, et rien n’indique que New Delhi soit au courant de cette initiative de la Maison Blanche visant à intégrer l’Inde dans la stratégie de l’administration Biden pour le Golfe ».

A vrai dire, la visite du Conseiller américain à la Sécurité Nationale en Arabie Saoudite est intervenue peu après des consultations entre l’Inde et l’Iran à Téhéran et la réunion des ministres des affaires étrangères de l’Organisation de coopération de Shanghai qui s’est tenue à New Delhi les 3 et 4 mai.  Un événement fondamental aura lieu bientôt : l’adhésion définitive de l’Iran à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) lors du sommet qui se tiendra en Inde les 3 et 4 juillet, suite à une décision prise en 2021.

Rapprochement indo-iranien

C’est dans ce cadre que se déploient les relations indo-iraniennes. Du côté indien, on souligne « la nécessité de mettre en place une feuille de route pour la coopération entre les deux nations dans le cadre d’un partenariat à long terme“. En particulier, on parle de mettre fin aux sanctions envers l’Iran. Du côté iranien, on parle de commerce bilatéral dans les monnaies nationales ! Un peu plus de dédollarisation !

M.K. Bhadrakumar commente : « Sans surprise, Washington se sent mal à l’aise à l’idée que l’Inde renforce ses liens avec l’Iran à un moment où la détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran a renforcé la position régionale de Téhéran et où la sécurité régionale dans la région du Golfe est en train de se transformer de manière phénoménale.

De même, M. Sullivan était parfaitement conscient qu’au moment où il s’exprimait à Washington, les ministres des affaires étrangères de la Russie et de la Chine – Sergey Lavrov et Qin Gang – se rendaient à New Delhi pour participer à la réunion ministérielle de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), les 4 et 5 mai. »

L’Organisation de la Coopération de Shanghai : l’esprit de la vieille « communauté européenne » ?

Résumant le consensus obtenu lors de la réunion ministérielle de l’OCS, le ministère chinois des affaires étrangères a souligné vendredi que “toutes les parties participantes (…) sont convenues de faire progresser la coopération dans des domaines tels que le transport, l’énergie, la finance, l’investissement, le libre-échange et l’économie numérique, et de promouvoir la connectivité régionale“, entre autres.

En réalité, de nombreux Etats rejettent de plus en plus ouvertement la façon américaine de provoquer des tensions pour gérer les affaires internationales. M.K. Bhadrakumar l’analyse très finement :

« L’approche traditionnelle des États-Unis a consisté à attiser l’iranophobie pour rallier les États du Golfe, mais ce stratagème ne fonctionnera plus. Les États du Golfe ne cessent d’accroître leur autonomie stratégique et de mener des politiques étrangères indépendantes pour défendre leurs intérêts nationaux et promouvoir la paix et la réconciliation dans la région.

On peut dire qu’ils semblent mettre un point d’honneur à exclure Washington de leurs processus régionaux visant à résoudre les différences et à réconcilier les contradictions dans les relations interétatiques. Le manque de confiance entre l’Arabie saoudite et les États-Unis est palpable. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont en fait ignoré les protestations des États-Unis concernant leur normalisation et leur engagement avec le gouvernement Assad en Syrie. On s’attend donc largement à ce que le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe soit possible avant son prochain sommet à Riyad le 19 mai.

Les ministres des affaires étrangères de la Syrie, de l’Arabie saoudite, de la Jordanie, de l’Égypte et de l’Irak ont également déclaré dans une déclaration commune lundi, à l’issue d’une réunion à Amman, que des liens avec Damas seraient établis au niveau militaire et sécuritaire afin de “relever les défis en matière de sécurité”. La déclaration appelle à la fin de “l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures syriennes” et s’engage à “soutenir la Syrie et ses institutions pour établir le contrôle sur l’ensemble de son territoire et imposer l’État de droit” – cherchant de facto à mettre fin à l’occupation américaine d’un tiers du territoire syrien ! » En fait tout se passe comme si les pays du Golfe, l’Iran, l’Inde, la Chine et les autres pays de l’Organisation de Coopération de Shanghai avaient le sentiment d’une urgence créée par la Guerre d’Ukraine : il existe un moment opportun, alors que la présidence américaine est de facto affaiblie et que les Etats-Unis sont enlisés dans la guerre d’Ukraine, pour rebattre les cartes.

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Edouard Husson

3 thoughts on “Brennus: Le Moyen-Orient et l’Asie adoptent « la méthode Schuman » quand l’Europe l’abandonne

  • Selon des sources arabes Sullivan a quitté l’Arabie Saoudite très contrarié et mécontent car on lui a carrément répondu NON à ses “ordres” sur la Syrie.
    Il y a une première fois à tout.

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    • M. BHADRAKUMAR est un diplomate Indien (une recherche sur Qwant ou Google vous aurait donné cette information).

      Répondre

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