Photo : Sputnik / Igor Zarembo
Les élections législatives qui ont eu lieu en Russie le 18 septembre dernier ont fait couler bien peu d’encre dans le mainstream médiatique français. Pourtant cette septième Douma est particulière à bien des égards. Quel regard porter sur les résultats de ces législatives ?
Tout d’abord le système du panachage entre le vote pour des candidats individuels et le vote pour les différents partis a eu un effet d’accentuation assez inattendu du vote pour Russie-Unie.
Le parti a obtenu 203 des 225 mandats uniques et 140 des 225 mandats attribués aux partis par des votes de listes, soit un total de 344 sièges sur 450, l’un des sièges ayant été attribué en supplément au speaker de la Douma Sergueï Narychkine.
Ceci expliquant peut être cela, Russie-Unie avait renouvelé à 60% les visages de ses candidats, suite à des primaires ouvertes qui se sont déroulées avant les élections, pour décider des investitures. Un fort renouvellement, avec une baisse importante du nombre d’hommes d’affaires, souvent suspectés de vouloir obtenir des mandats pour des raisons purement économiques.
Le reste des mandats a été obtenu surtout par les trois grands partis d’opposition dits systémiques qui se situent dans le cercle de gouvernance, à savoir le parti communiste qui a obtenu 13,34% des voix et 42 sièges dont 21% de nouveaux élus, le parti nationaliste Libéral démocrate avec 13,14% des voix, 39 sièges dont 28% de nouveaux élus, et enfin le parti social-démocrate Russie Juste avec 6,22% des voix, 23 sièges et 30% de nouveaux élus.
Les mouvements libéraux dits « pro-occidentaux » ont vu se confirmer leur déclin historique, puisque Iabloko obtient 1,99% des voix, et le Parnas 0,73%. Deux autres partis ont réussis à obtenir un seul député : le parti nationaliste Rodina malgré ses 1,51% et le mouvement Plateforme citoyenne avec ses 0,22%. Enfin un candidat indépendant a été élu dans le Caucase complétant ainsi la liste des 450 nouveaux députés, dont 69 femmes.
Malgré cette hyper majorité du parti Russie-Unie, 50% des commissions parlementaires (soit 13 sur 26) seront dirigées par l’opposition : 5 par le LDPR, 5 par le parti communiste et 3 par Russie Juste. Le bloc Russie-Unie sera lui subdivisé en cinq groupes de travail contre quatre lors de la précédente législature.
Une participation en baisse
La participation a été le grand échec du scrutin puisque le taux de participation a été de 47,88% seulement contre 60% en 2011. Ce faible taux qui s’explique par de nombreux facteurs aurait pu avoir pour conséquence de faire baisser les partis centraux et faire monter les partis d’oppositions ou les partis contestataires mais il n’en a rien été.
Le bon score en pourcentage de Russie-Unie ne doit cependant pas cacher que le parti n’a en nombre de voix obtenu que 28 millions de voix contre 32 millions en 2011 (49,3% des suffrages). La participation a été la plus faible dans les régions centrales et du nord du pays, là ou paradoxalement Russie Unie a obtenu ses scores les plus faibles, que l’on pense d’abord à Moscou avec 28% de participation ou Saint Petersbourg avec 25% de participation.
Cette faible participation peut cependant être comparée avec la participation aux élections européennes qui n’a jamais dépassé en France les 46% depuis 1999, et comparée aussi aux taux d’abstention dans la plupart des pays Européens pour les élections européennes de 2014 qui ont vu une participation européenne moyenne de 40% .
Quelle répartition géographique des votes ?
La répartition géographique des votes délivre plusieurs messages intéressants. Moscou et Saint Petersbourg ont moins voté pour le parti du pouvoir Russie Unie (37 et 39%) et plus voté pour les partis dit libéraux (Iabloko a obtenu 9,5% à Moscou et 9% à Saint Petersbourg) ainsi que pour les partis de l’opposition non systémique. Le parti ultra nationaliste Rodina a par exemple obtenu 3,5% à Moscou et 2,6% à Saint Petersbourg (contre 1,5% au niveau fédéral) et le parti pro-Kremlin dit « Parti pour la croissance » à lui par exemple obtenu 9% à Saint Petersbourg contre 1,29% au niveau fédéral.
Ces dynamiques sont identiques dans le grand nord russe avec cependant des pointes du parti nationaliste LDPR (17% en Carélie, 20% dans l’oblast de Mourmansk…) et des scores plus faibles des partis libéraux mais l’émergence de forces nouvelles mais plutôt Kremlino-centrées, comme par exemple le parti Pouvoir Civil qui obtient 17% dans l’oblast de Mourmansk.
Dans le sud du Pays, Russie Unie obtient 59,3% dans l’Oblast de Krasnodar, 58% dans l’Oblast de Rostov, 55% dans l’Oblast de Stavropol et 50% dans l’Oblast de Volgograd. Le LDPR est toujours second sauf dans l’oblast de Rostov et les répartitions entre partis assez conformes à la moyenne fédérale.
Dans les républiques ethniques du Caucase, Russie Unie fait le plein de voix, bénéficiant d’un vote de soutien clanique et de loyauté logistique envers le pouvoir pour des raisons multiples. En Tchétchénie et au Daguestan Russie-Unie obtient 96% et 88% des voix et 71% des voix en Kalmoukie, ne laissant que des miettes au Parti Communiste qui obtient 11% en Kalmoukie, 6% au Daguestan tandis que Russie Juste obtient 1,2% en Tchétchénie.
Au sein des républiques de la Volga, Russie Unie obtient 85% des voix, 57% au Bachokorstan et 51% en Tchouvachie. Le parti communiste est toujours second avec respectivement 7%, 18% et 13% devant le LDPR qui obtient 10% et 11% au Bachokorstan et en Tchouvachie. Sur le bassin de la Volga (Oblasts de Saratov, Samara, Oulianovsk) Russie Unie obtient entre 48% et 68%, devant le parti Communiste qui n’obtient jamais plus de 20% et le LDPR qui obtient entre 10 et 15%.
Dans les Oblasts de Nijni Novgorod et de Kirov, Russie Unie obtient 58% et 40%, devant respectivement le LDPR à 25% et le Parti communiste qui obtient 13%.
L’Oural (Perm, Tcheliabinsk, Iekaterinbourg) voit Russie-Unie n’obtenir qu’entre 38% et 42% tandis que le parti communiste et le LDPR obtiennent à eux deux entre 30% et 32% et que Russie Juste obtient 13% dans l’Oblast de Sverdlovsk et 17% dans l’Oblast de Tcheliabinsk.
La Sibérie est coupée en deux. Dans les oblast de Kemerovo et Russie Unie obtient 77% et 61% et dans les districts de Iamalie et de Hanti-mansinsk Russie Unie obtient 67% et 74%. Partout ailleurs la dynamique électorale d’effritement du vote Russie Unie est très nettement marquée. Russie Unie n’obtient en général qu’entre 32 et 40% tandis que le LDPR obtient souvent entre 25 et 30%, par exemple dans les districts d’Omsk, de Krasnoïarsk, d’Irkoutsk… Le parti communiste obtient 20% dans l’Altaï et dans l’oblast de Novossibirsk et Russie Juste des scores identiques à sa moyenne fédérale sauf dans l’Altaï avec une pointe à 13,5%.
Ces tendances se retrouvent en extrême orient ou Russie Unie obtient plus de 50% des voix seulement en Chukotka, plus de 40% seulement au Kamtchatka et à Sakhaline et entre 30% et 40% dans le Krai de Zabaikalie, le district de l’Amour et les Krai de Khabarovsk et de Primorié. Le LDPR y obtient entre 20 et 30% des voix et le parti communiste 15 à 20%. A noter qu’en Iakoutie Russie Juste obtient 15,19%.
Et les russes de l’étranger ?
En France, Russie Unie est arrivé en tête avec 27,99% des voix devant le parti libéral Iabloko avec 27,66%, le parti communiste avec 8,80% et le second parti libéral Parnas avec 7,94%, puis le LDPR avec 7,5%.
A noter que le Parti de la croissance et le mouvement nationaliste Rodina ont obtenu 4,57% et 4,
Anatoly Karlin analyse les votes des russes de l’étranger en 3 blocs géographiques :
Le bloc des pays de l’étranger le plus proche, qu’on peut qualifier d’intérieur proche à savoir l’Abkhazie, l’Ossétie et la Transnistrie qui souhaitent revenir sous le giron de Moscou. Dans cet espace, Russie Unie obtient 80% des voix.
Le bloc des pays de l’étranger proche de l’ex-Union soviétique ou Russie Unie obtient 50 à 60% soit le même score que Russie Unie en Russie. C’est le cas en Arménie, au Kazakhstan, au Kirghizstan, en Moldavie, au Tadjikistan, en Biélorussie ET en Ukraine ou Russie Unie obtient 48%.
L’étranger lointain, troisième bloc lui-même subdivisé en blocs :
Le monde euro-occidental au sein duquel Russie Unie obtient ses plus mauvais scores en Grande Bretagne avec 16%, aux Pays Bas avec 17%, à Hong Kong avec 18%, aux Etats-Unis avec 20% et en suisse avec 23%. Aux Etats-Unis, les mouvements Iabloko et Parnas ont obtenu 50% contre 20% pour Russie Unie, 7% pour le parti communiste et 5% pour le LDPR. A noter qu’en Thaïlande Russie Unie a obtenu 25% contre 16% pour le Parnas et 14% pour Iabloko.
Tous les pays à fortes diasporas économiques ou résident de nombreux hommes d’affaires russes en exil ne sont pas systématiquement hostiles à Russie Unie qui obtient par exemple 40% en Israël et à Chypre.
Dans le monde euro-orthodoxe Russie Unie est largement en tête avec par exemple 70% en Grèce, 62% en Bulgarie, 53% en Roumanie ou 51% en Serbie.
Au sein des BRICS Russie unie est en tête avec 55% en Russie, 45% en Afrique du sud, 44% en Chine et en Inde, 42% au Brésil.
Russie Unie obtient 80% au Yemen, plus de 50% dans les trois pays du Maghreb francophone et en Turquie et entre 50 et 60% au sein des Etats du golfe ainsi qu’en Iran. Russie unie obtient également des scores importants en Afrique noire : 67% au Congo, 63% en Erythrée et 60% en côte d’ivoire.
Des tendances similaires à celles qui avaient pu être observées et commentées en 2012 lors des élections présidentielles.
Des élections justes ou avec des fraudes ?
Les fraudes et les importantes manifestations qui ont eu lieu après les élections législatives de 2011, pendant l’hiver 2011-2012, on été un grand sujet médiatique. Des analyses sérieuses ont établi plus tard que ces fraudes ont été surmédiatisées et que le taux de fraude ne pouvait avoir dépassé 5 à 7%, ce qui ne pouvait pas avoir changé l’issue du scrutin. Malgré cela, beaucoup de commentateurs attendaient avec impatience les élections de 2016 sur ce terrain-là.
En 2016, les autorités ont fait installer des caméras dans chacun des 95.000 bureaux de vote du pays, et ces caméras ont permis de filmer quelques bourrages d’urnes comme cette séquence-là, filmée à Rostov et que l’on retrouve sur tous les médias nationaux étrangers.
La Russie ne peut pas se prévaloir d’un niveau de fraude zéro, ce qui est n’est pas surprenant quand on connait la taille, la diversité et l’histoire récente du pays. Pourtant, divers éléments d’observation et de contrôle permettent de penser que ce dernier scrutin a été relativement transparent.
Il y a tout d’abord le rapport préliminaire de l’OCDE qui a salué la transparence et le professionnalisme de la Commission électorale centrale de Russie.
Il y a ensuite le rapport de la fameuse organisation GOLOS, très hostile à la gouvernance russe, qui comptabilise toutes les irrégularités électorales. Malgré, ou grâce à la présence de caméras dans chaque bureau de vote, Golos n’a pu que constater une baisse de plus de 50% du nombre de plaintes et d’irrégularités constatées entre 2011 et 2016.
Enfin il faut noter que la carte des bulletins non valides montre une concentration de ces derniers dans des régions ou Russie-Unie fait un score plus faible que la moyenne nationale.
Des tendances lourdes ?
On constate un soutien de Russie Unie plus faible que la moyenne fédérale à Moscou et Saint Petersbourg ainsi que dans le grand nord soit des zones qui traditionnellement soutenaient les réformateurs dès les élections de 1996. Les zones dans lesquelles Russie Unie se maintient ou améliore sa position sont le sud agraire du pays et les régions à l’Ouest de l’Oural. Plus au sud et plus au sud-est soit dans les républiques et les ethnocraties le vote (logistique) pour Moscou est très fort et le vote logistique est passé d’un vote communiste dans les années 90 à un vote Russie Unie au cours de la dernière décennie. Plus on avance à l’Est vers la Sibérie et l’extrême orient et plus Russie Unie voit son soutien électoral diminuer au profit principalement des votes pour le parti nationaliste LDPR.
L’identité de cette septième douma est marquée par l’omniprésence de Russie Unie, le scrutin par la hausse du vote LDPR devenu très important dans certaines régions, la baisse des blocs de gauche et l’effondrement des partis libéraux pro-occidentaux. Ces évolutions sont en totale adéquation avec la dynamique conservatiste, patriotique et étatiste qui caractérise la Russie issue du printemps de Crimée de 2014.
Cette tendance lourde doit s’appréhender dans la dynamique de l’élection présidentielle russe de 2018 qui devrait vraisemblablement voir Vladimir Poutine se présenter pour un quatrième et dernier mandat. Du reste au sein de la septième Douma le Front Populaire panrusse, le mouvement crée par Vladimir Poutine en 2011 et qu’il préside depuis 2013 renforce également ses positions avec désormais 90 députés officiels et le contrôle de 6 des 13 commissions attribuées a Russie-Unie.
Alexandre Stefanesco Latsa
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A quand une analyse des élections régionales ponctuées de scandales à la suite des fraudes commises par les partisans de Russie Unie prêt à tout pour empêcher que le parti communiste en pleine renaissance ne conquiert des postes stratégiques dans les régions, notamment celles de l’extrême-orient russe et de Yakoutie?