La situation stratégique évolue fortement ; l’invasion et le maintien kiévien à Koursk, la rétractation du front ukrainien dans le Donbass, l’élection de D. Trump, l’avertissement Oreshnik, la relance de la guerre au Moyen Orient et l’effondrement syrien, ont des conséquences sur la Russie, tout autant que la gestion des diasporas sur le sol de la Fédération. L’analyse « Ã  chaud Â» est toujours risquée (et un peu présomptueuse). Tentons donc d’étudier divers événements isolément avant de les intégrer dans une analyse globale à venir. Comme toujours, il s’agit d’une réflexion à partir de sources ouvertes, en essayant de se garder au maximum des biais courants et des manipulations diverses. Commençons par la chute de l’État syrien.

La chute d’un régime n’est pas sans précédent

Il est facile de poser un diagnostic après coup, mais si la chute du régime Assad a pu surprendre par sa rapidité, il faut rappeler certains éléments explicatifs.

La population syrienne, Kurdes exceptés, comprend 15 % d’Alaouites, 10% de Chrétiens, face à 75% de Sunnites relativement mal traités par l’idéologie baassiste. Or, il est historiquement avéré que les armées mal soutenues par la population et ne bénéficiant pas d’axes idéologiques forts, sont sujettes à de tels effondrements lorsqu’elles sont soumises à la pression de forces cohérentes et bénéficiant d’une assistance extérieure décidée. C’est le principe même de la guerre insurrectionnelle, observable lors des guerres de décolonisation, mais aussi très récemment :

  • par exemple lors de la disparition de l’ANA face au Talibans afghans malgré le support occidental, 
  • ou encore lors de la dissolution de l’armée irakienne face à l’État islamique1, qui ne put être confiné (temporairement?) qu’avec l’apport chiite, kurde, et occidental.
  • On pourrait évoquer la fin de l’ARVN face au Viet-Nam communiste.
  • La dissolution rapide de nombreuses armées subsahariennes (zaïroise, rwandaise, ivoirienne, sierraléonaise…) est un fait documenté.
  • L’honnêteté oblige à rappeler « l’étrange défaite Â» française en 1940 et à s’interroger sur la robustesse et la résilience de l’appareil sécuritaire, militaire et civil, de notre pays, si les circonstances l’imposaient.

Le maintien de l’État syrien est incertain

Il paraît très probable que la Syrie actuelle subisse une partition comme le Liban l’a connu : On se souvient des mandats de la SDN après 1919 ; pour découper et gérer les anciennes possessions de l’Empire ottoman dans la région, Liban et Syrie furent confiés aux Français, Jordanie et Palestine et Irak aux Britanniques, avec un jeu trouble de ces derniers, à travers leur politique arabe, transmise aux USA après 1945.

  • Cette logique centrifuge se traduit par un repli des anciens Assadistes, notamment certains militaires des unités spéciales du régime, les désertions en masse observées étant apparemment plutôt le fait de conscrits non motivés2 sur des réduits défavorables aux rebelles.
  • Il paraît également vraisemblable que les Kurdes vont maintenant faire l’objet de toutes les attentions (le ministre des affaires étrangères turc a évoqué « l’élimination des forces armées kurdes Â»), et pour leur malheur, de tentatives militaires téléguidées par Ankara. La volonté de non ingérence de D. Trump pourrait signifier l’absence du soutien nécessaire au Rojava, la relative coexistence avec les autorités irakiennes et iraniennes ne paraissant pas susceptible de déboucher sur une implication majeure aux profit des Kurdes, en butte à l’hostilité des nouveaux maîtres de la Syrie et des Turcs.
  • En revanche, il semble qu’ Israël puisse aider Kurdes au Nord et Druzes au Sud, à l’appui de son invasion du pays. Une semblable politique au Liban Sud, après l’invasion de 1982, en instrumentalisant les Chrétiens, a cependant tourné court au pays du Cèdre.
  • Washington paraît pousser un statu quo ante en Syrie, afin d’éviter un affrontement entre deux alliés régionaux, Israël et la Turquie.

Les causes de la chute

Les facteurs centrifuges appliqués à la Syrie n’ont été que retardés par le rétablissement militaire grâce à l’Iran et à la Russie, faute d’une politique intérieure raisonnable (malgré les demandes des États arabes qui avaient accepté un retour diplomatique) et compte-tenu de la pression extérieure constante sur un État paria.

  • Les conditions économico-sociales se sont dégradées au delà du supportable, par suite à la persistance de menaces sur le territoire syrien, de l’ingérence militaire israélienne, du travail de sape continu par la Turquie et de l’effort destructeur des pays occidentaux sur l’économie locale, déjà impactée par la guerre, ses destructions et l’exode d’une partie de la population active3. On rappellera que la souveraineté territoriale de la République arabe syrienne était violée par la quasi-autonomie Kurde (20% du territoire), la non-liquidation des forces terroristes dans leur sanctuaire d’Idlib, la présence d’une base étasunienne et de forces militaires turques au Nord à l’issue de trois offensives sur le sol syrien, et les raids israéliens visant l’armée syrienne et les formations pro-iraniennes.
  • Au plan strictement militaire, le régime syrien a refusé les réformes proposées par les militaires russes sur place (le frère de Bachar, Maher, était relativement défavorable à l’influence russe).
  • Il a également rejeté la main tendue par le président Erdogan en juin 2024.
  • La pression militaire s’était accrue depuis deux mois et demi, laissant anticiper la défaite survenue en décembre. L’objectif de destruction de la force équilibrante à Israël dans la Région, quels que soient ses maîtres localement -dynastie Assad ou responsables islamistes- est évidente dans les 450 raids aériens israéliens (plus que les opérations au Liban et à Gaza) effectués APRES la chute d’Assad, qui ont permis de détruire les capacités militaires syriennes. Cela n’est peut-être pas si mal vu par la Russie, pour laquelle les systèmes anti-aériens livrés à Damas notamment, risquaient de devenir des menaces pour ses propres forces aérospatiales sur place.

L’État syrien était donc, au mieux, dysfonctionnel, et subordonné à l’assistance directe de l’Iran, du Hezbollah et de la Russie, et indirecte de l’Irak.

Cet état de fait ne pouvait persister que si l’opposition avait été également affaiblie dans les mêmes proportions. Or, après la campagne de 2016, si l’opposition n’était plus en mesure de s’imposer sur le terrain, elle disposait d’atouts importants, notamment l’aide d’Ankara et l’hostilité occidentale contre le régime.

  • Le lancement d’une nouvelle stratégie pour le Moyen Orient annoncé par B. Netenyahu anticipant la présidence Trump, et malheureusement apparemment calquée sur celle de la période Bush Jr, activant le terrorisme islamique et le proxy israélien, dans le cadre du « nouveau Moyen Orient Â», a drainé les ressources Chiites vers le Liban et créé un risque d’escalade pour l’Iran.
  • Au Nord, la politique d’Ankara a bénéficié de cette situation en lançant ses propres proxys mis en place depuis 2019.
  • Compte tenu du front ukrainien et des perspectives de contournement au Nord (Baltique) et au Sud (Asie centrale), les possibilités de la Russie étaient limitées et un calcul rationnel ne pesait pas en faveur d’une implication accrue dans un engrenage oriental.

Nous y reviendrons, mais la grande stratégie états-unienne repose sur l’extension des fronts au-delà des ressources de l’adversaire, en privilégiant la multiplication des sources de tension et l’action indirecte par enveloppement à l’échelle de la planète. Face à ce défi, il est indispensable de définir les priorités et de réallouer les moyens en fonction, quitte à faire des sacrifices et des abandons. L’exemple du fardeau économique et social de l’Afghanistan de 1979 à 1989, lorsque la 40ème armée soviétique fut installée pour soutenir un régime « ami Â», a certainement pesé sur les choix russes relatif au soutien à Damas.

Quant à la décision du dirigeant Bachar El Assad de quitter son pays et de faciliter une « transition Â», sans tenter de « baroud Â» d’honneur, on peut suspecter un deal russo-turco-iranien (cf. réunion diplomatique sur le sujet), à la lumière des exemples respectifs de Saddam Hussein en Irak ou Kadhaffi en Libye (liquidés pour avoir tenté une résistance appuyée par les tribus encore fidèles) et de Ben Ali en Tunisie (parti dans un confortable exil après avoir lâché les commandes). Dans cet esprit, maintenir une armée nationale et la logistique sociale, industrielle et technique, nécessaire pour cela, paraissait impossible ; cette décision se compare à celle de l’État-major sud-africain conseillant au président de la RSA de mettre fin à l’Apartheid, faute de pouvoir garantir le fonctionnement de la chaîne économico-militaire en 1994.

Quel était l’intérêt de la Syrie pour la Russie ?

Initialement, la position géographique de Damas permettait de bloquer un projet de pipe-line du Qatar vers l’UE via la Syrie et la Turquie, qui va très probablement repartir désormais. L’approvisionnement de l’Europe par Gazprom/gasnapht ayant été terminé par la politique de sanctions économiques suicidaires maintenue par l’UE et par le sabotage des Nord Stream, cette option est désormais stratégiquement non pertinente.

La question des bases militaires semble également surévaluée. Le port de Tartous n’abrite que six navires de surface dont deux frégates et un sous-marin ; c’était seulement le double lors du pic d’intervention, suffisant pour mener une intervention de contre-insurrection mais pas pour jouer un rôle stratégique face aux poids lourds régionaux. Comme le repli de la flotte de la Mer Noire l’a démontré, à l’ère des drones et du missile, et sous observation satellitaire occidentale constante, cette unité navale ne peut pas espérer grand chose, surtout face aux flottes de l’OTAN en Méditerranée. Le fameux « accès aux mers chaudes Â» est tout relatif, car les détroits restent sous contrôle turc. De plus, la géopolitique actuelle redonne plutôt aux mers du Nord (lac otanien de la Baltique, mais aussi Arctique et Atlantique Nord) une nouvelle importance, en termes militaires et économiques. Disposer d’une facilité maritime était surtout important pour le soutien des forces terrestres déployées sur place et comme hub logistique pour l’Afrique. La base aérienne de Khmeimim dans la région de Lattaquié avait un rôle important comme plate-forme des vecteurs de bombardement  (25 à 30 appareils, de transport et d’attaque); dés lors qu’il n’y aura plus de combats au sol, cela tend à devenir inutile. Face à la menace aérienne de Jérusalem et à celle d’Ankara (qui a déployé des batteries de missiles AA d’origine russe pour appuyer les rebelles wahabites et dissuader les VKS russes sur place) une telle base ne présente plus qu’un intérêt relatif. La base d’El-Dafhra en Libye pourrait se substituer pour le support des actions en Afrique. Mais cela ne sera peut-être pas nécessaire car il y a un consensus pour laisser les bases russes en Syrie. Le ministre turc de la défense Güler l’a confirmé, Israël ne s’y dit pas hostile et les pseudo-autorités locales non plus.

On affirme que « Dix années sur place ont donné à l’armée russe un savoir-faire en conditions réelles de combat Â». C’était vrai pour les capacités expéditionnaires et la contre-insurrection. À l’instar des forces occidentales et notamment françaises, les forces russes ont tiré des avantages finalement réduits de ces enseignements lorsqu’elles ont dû mener un combat symétrique de haute intensité ; la re-découverte de la masse, de la durée et de l’attrition, du rôle des armements modernes (drones, FAB, engins de haute précision à longue portée) comme traditionnels (missiles, chars, artillerie), ou celui des tactiques d’infanterie, a dû être acquise « Ã  la dure Â». L’avancée russe dans le domaine des drones d’observation par exemple, et l’aptitude à déjouer les MANPADS en 2016, n’a pas aidé en 2022, face à une masse et une technologie sans commune mesure avec celles des rebelles syriens.

Le maintien du régime Assad renforçait « l’arc de résistance Â» chiite (Liban, Syrie, Irak, Iran) face aux Occidentaux, au profit de Téhéran, l’Iran faisant pièce à la stratégie étasunienne mondiale, et israélienne dans la région. L’affaiblissement de cet axe impacte indirectement la Russie dans sa lutte contre l’hégémon occidental et l’impérialisme pan-turc. Cependant les États n’ont pas d’amis (seulement l’armée et la marine, pour la Russie) mais uniquement des intérêts communs à un moment donné. La politique russe favorise certainement la coopération avec l’Iran, mais doit tenir compte de la proximité turque (et de son rayonnement en Asie centrale) et des accords avec les pays arabes, deux oppositions historiques aux Perses.

Le sauvetage de Damas avait permis de montrer que « la Russie était revenue Â», avec un investissement raisonnable et à l’étonnement des analyses occidentaux. En termes diplomatiques, de prestige et de relations internationales, c’était un contrepoint puissant à l’attitude états-unienne, favorablement perçu dans les pays émergents, dont les dirigeants savent souvent avoir besoin de protecteurs et dont les opinions nourrissent une attitude revancharde à l’égard des anciennes puissances coloniales. Cette dimension était certainement favorable à la cohésion des entités montantes comme les BRICS dans le nouvel ordre mondial multipolaire. A cet égard, la chute de Damas porte un coup à la crédibilité russe. Cependant, la fiabilité et la pérennité des nouveaux accords en Afrique (après l’éviction des Français, du Mali, du Niger, du Tchad et du Sénégal, en attendant la RCI et le Gabon) étaient et restent sujettes à caution. Les difficulté du Corps africain (ex Wagner group) au Mali illustrent la difficulté de collaborer avec des pays en proie à une instabilité endémique ; la France a porté le fardeau près de six décennies. Compte-tenu de la richesse en matières premières de la Fédération de Russie, le contrôle de ces régions n’est pas critique. Quant au potentiel économique de l’Afrique, il réside davantage dans la sphère australe que dans les anciennes colonies de l’AEF. Les relations avec la RPC et l’Inde sont probablement plus essentielles et ces deux nations n’envisagent de toutes façons pas de relations sous prépondérance russe.

Le soutien à Damas était stratégiquement intéressant pour faire pièce à Washington, Jérusalem et Ankara dans la zone. Il est probable que la volonté d’éviter une confrontation régionale pour ne pas obérer les possibilités en Ukraine ait donc pesé.

Il a été peu commenté par les médias mainstream (« de grands chemins Â» selon le mot excellent de Xavier Moreau) la présence de formateurs ukrainiens pour transmettre des compétences en matière de drones (25 formateurs et 200 drones environ), ainsi que les relations entre Kiev et les fondamentalistes islamiques, sous les auspices du MI6. Des échanges ont eu lieu entre ces terroristes et les VSU, particulièrement GUR et SBU. La carte islamiste est jouée par l’Occident (Washington, Londres et Jérusalem) depuis des décennies malgré des retours de flammes, comme l’illustre la conversion de Al Julani, passé de chef terroriste recherché dont la tête était mise à prix 10 millions d’USD, à leader modéré respectable4. L’attaque terroriste du Hamas en Israël en novembre 2023 paraît d’ailleurs un excellent timing pour la relance des hostilités et des tentatives de façonner le Moyen Orient5.

Idlib, fief de HTC, était notoirement site d’accueil de terroristes religieux Ouzbeks et Ouighours soutenus par Ankara, ce qui ne peut laisser Pékin indifférent. Les premières vidéos apparues de la déroute de l’armée d’Assad étaient d’ailleurs tournées en langue russe. Il paraît évident que ces groupes sont manipulés pour contaminer les populations musulmanes du Caucase, d’Asie centrale, et sur le sol même de la Fédération de Russie. A cet égard, les connections entre les terroristes du Crocus avec les diasporas et les services kiéviens, dénoncées par le chef du FSB, semblent trouver une forme de confirmation. Le récent assassinat à Moscou du général responsable des forces NRBC (RKhBZ)de la Fédération, par un Ouzbek, confirme cette implication inquiétante. Il est cependant probable que les commanditaires se trouvaient à Langley ou prés du Vauxhall bridge, car le Lieutenant-général Kirillov communiquait sur les plans de guerre biologiques étasuniens, exposant les projets et travaux de divers laboratoires et contredisant la propagande anglo-saxonne sur le sujet.

Au delà de la dégradation de l’image, cette implication des diasporas est probablement la conséquence la plus négative pour la Russie de la chute du régime syrien. La société russe connaît des tensions à l’égard des migrants des ex-républiques d’Asie centrale ; même le fidèle Kadyrov tient un discours ambigu et sur une base ethno-religieuse. La résilience de l’État islamique, qui vient d’emporter Damas même sous une forme apparemment édulcorée et la persistance de l’idéologie des Frères musulmans, notamment auprès du président Erdogan, créent des exemples et des motivations pour les populations peu éduquées et ouvertes au fondamentalisme. La population russe n’est que de 145 millions d’habitants, à mettre en rapport avec 15 millions estimés d’immigrés des ex-républiques voisines (6,8 millions officiellement), qui totalisent 70 millions d’habitants, et 91 millions de Turcs. L’activation de ces populations sur le sol russe fait partie de la stratégie subversive occidentale, dans le cadre des méthodes indirectes mises en oeuvre, nous le verrons dans une autre analyse, plus globale. Les procédés sont ceux de l’État islamique et de Daesh lorsque la branche « mondialiste Â» a pris le dessus sur la branche favorable à la fondation d’un califat sanctuaire (un peu comme lorsque Staline à éliminé la faction mondialiste). Le recrutement d’agents de piètre qualité, auto-radicalisés, appâtés par le gain et « jetables Â» au sein même de la société d’accueil, permet de mener des attentats à moindre coût, car nécessitant des moyens relativement bon marché (armes légères et explosifs). L’internet et les réseaux sociaux permettent le recrutement et le management de ces agents par des officiers traitants avec une prise de risque minimale, parfois à travers une galaxie de proxys.

En guise de conclusion (très) provisoire

L’affaire est évidemment loin d’être terminée.

  • La capacité des groupes rebelles à devenir une force de gouvernement est, au mieux, douteuse, le potentiel de luttes intestines étant très élevé. → l’hypothèse de la réduction de l’État à un noyau environné d’une myriade de régions satellites sous domination étrangère et apparente autonomie locale est vraisemblable.
  • Israël apparaît comme le principal bénéficiaire de la chute de Damas, mais cela pourrait entraîner des conséquences négatives pour Jérusalem, dans ses rapports avec les autres puissances régionales comme dans la gestion du terrorisme (comme l’exemple du Hamas l’a amplement démontré) et de l’antisionisme dans des sociétés occidentales fortement soumises à une immigration arabo-musulmane. → une influence étasunienne forte (mais a priori non désirée) et l’installation de relais tampons localement efficaces et durables, pour éviter une confrontation directe entre Turquie et Israël sont des préalables nécessaires mais incertains.
  • La Turquie apparaît également comme bénéficiaire, mais cela aussi pourrait être à court-terme. Le contrôle du HTC s’avérera plus compliqué que celui de l’armée syrienne libre, l’engagement direct pose davantage de problème que l’action directe, le coup de poignard dans le dos de la Russie ne sera probablement pas oublié par Moscou, le cas ouïghour ne le sera pas par Pékin, les Arabes ont un vieux contentieux avec les Turcs depuis la fin de l’empire ottoman et la 1 GM et la politique frériste d’Ankara heurte les monarchies du Golfe. → le triomphe immédiat apparent conduit à devoir assumer un leadership direct beaucoup plus exposé et coûteux si les proxys ont besoin d’une assistance pour durer, ce qui est crédible. Le rôle d’acteurs extérieurs à l’égard des Kurdes va jouer un rôle majeur. La disparition de Fetullah Gulen en 2024 prive les USA d’un levier contre Reccep Erdogan et pourrait avoir des conséquences sur la politique antikurde et les relations avec Jérusalem. L’axe Turquie/Qatar se met en place , ce qui impacte non seulement l’Iran mais aussi les royaumes du Golfe, hostiles à l’idéologie des Frères musulmans.
  • Une dérive extrémiste trop visible pourrait conduire l’Occident à revoir sa position, comme ce fut le cas en 2014 lorsque l’EI menaça l’Irak. → la position de Donald Trump risque de ne pas créer un changement de cap brutal, car il se focalise sur la politique intérieure et ne bénéficie d’une relative acceptation par les structures souterraines de force qu’à la condition qu’il ne remette pas drastiquement en cause les stratégies en cours. De plus il reste animé par la volonté de protéger les intérêts états-uniens et considère Téhéran et Pékin comme des rivaux dangereux.

Pour Moscou, la chute de l’allié syrien présente des aspects très négatifs. Cependant, de manière apparemment paradoxale, la Russie, en perdant le statut d’acteur majeur, acquiert certains avantages :

Un investissement plus réduit devient acceptable et les différentes parties en présence ont toutes un intérêt pour un partenaire qui ne soit plus assez puissant pour leur imposer une suzeraineté, mais encore suffisamment pour jouer le rôle d’allié/épouvantail dans leurs jeux complexes avec les autres partenaires/adversaires.

A cet égard, on rappellera les réalités de « l’Orient compliqué Â» qu’évoquait le général de Gaulle ; à la lumière de l’exemple irakien après la chute de Saddam Hussein, et entre autres exemples, on citera :

  • que les « rebelles «  se divisent entre forces concurrentes voire adverses.
  • que Bachar El Assad avait semblé manifester un rapprochement vers les Émirats Arabes Unis, ce qui ne pouvait que déplaire à la fois à la Turquie, et au Qatar, mais aussi à l’Iran, dont il avait apparemment négligé les avertissements depuis trois mois,
  • l’évolution de l’Arabie saoudite, les perspectives par rapport au Dollar et aux BRICS, la rivalité en matière de domination religieuse avec la Turquie en Asie, et enfin les relations turco-israéliennes.
  • S’il est évident que Jérusalem et Ankara ont Å“uvré à la chute d’Assad, sous l’égide du MI6 et avec l’aval de Washington, leurs intérêts vont rapidement s’opposer, au fur et à mesure de l’affaiblissement de leur rival iranien et de leur propres appétits territoriaux.

Un autre constat évident est que les processus diplomatiques débouchant sur des « accords Â» se sont révélés des pièges. Valable pour le Traité de Minsk, celui d’Ankara, cette constatation l’est aussi pour celui d’Astana. On peut imaginer que cela sera pris en compte par Moscou alors que les communications sur des négociations, un gel du conflit et des accords avec Kiev sont largement diffusés.


NOTES

1 Le premier effondrement face à la coalition menée par les USA en 2003 pourrait bien s’expliquer par un intensif travail de sape et de corruption des responsables militaires irakiens, thèse qui ne semble pas totalement invraisemblable dans le récent cas syrien.

2 Le frère du président déchu, Maher, a gagné l’Irak avec la totalité de sa 4ème division blindée, et des unités de l’ancienne armée nationale arabe syrienne et membres des chabiha (quid des tigres de Souleil el Hassan?), semblent s’adosser aux régions alaouites.

3 Avant guerre, la Syrie produisait 15 millions de tonnes de pétrole pour son usage intérieur plus 3,5 exportés. Depuis, la production est tombée à 3 mt, dont le produit de la vente est confisquée par les Kurdes et les USA. Des études envisagent la présence de 200 mt dans le sous-sol syrien, notamment sous le Golan (!). Les phosphates étaient la richesse du pays, mais la production s’est aussi effondrée avec la guerre. L’économie syrienne reposait à 80% sur l’Iran, qui investissait 5 milliards d’USD annuellement ; ce chiffre est à comparer avec la rente de 1,2 milliards d’USD versée par l’UE à la Turquie pour bloquer les flots de migrants et les 5 milliards déversés en Ukraine pour le Maidan et la politique russophobe selon V. Nuland.

4 En 2012, le ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius vantait déjà « le bon boulot Â» des Djihadistes de Al Nosra. CQFD, puisque Abou Mohammed al-Joulani, nom de guerre d’Ahmed Hussein al-Chara, né en 1982 à Riyad, était fondateur et le chef du Front al-Nosra en 2012, puis de Hayat Tahrir al Cham après avoir rompu avec AL Qaeda en 2016. Il est passé en 2006 par un internement au camp Bucca en Irak sous contrôle US, une pépinière de cadres de l’EI. Al Julani s’oppose au Djihad global et son mouvement Hayat Tahir al Cham (HTC) n’est pas directement inféodé à Ankara comme l’armée syrienne libre. On voit que l’exemple des bricolages des service spéciaux pour créer et téléguider les différentes factions terroristes n’a toujours pas été assimilé dans ses conséquences à long terme, lorsque la créature échappe à son créateur.

5 Il ne s’agit pas ici de prendre parti, de nier les atrocités du Hamas en octobre 2023, ni l’écrasement aveugle des civils Gazaouis puis Libanais par Tsahal. Cependant la froide analyse fait apparaître que les tensions entre Sunnites et Chiites s’apaisaient, qu’une communauté hostile à l’imperium occidental se mettait en place, et que les relations entre Israël et les États du Golfe se pacifiaient également, ces derniers faisant en réalité assez peu de cas du sort de Palestiniens. On observe que l’attaque de novembre 2023 a réinitialisé un cycle de violences, réactivé les oppositions datant de 70 ans voire plus et rendu quasi-impossible une solution négociée et d’essence locale, alors que l’appui de l’hégémon US redevenait indispensable pour un Israël dirigé par B. Nétanyahu, pour lequel la guerre signifie une immunité judiciaire et politique dans son propre pays. En revivifiant la suzeraineté états-unienne, cette situation permet de prolonger la stratégie de tension, comme l’a fait l’Ukraine en redonnant à un OTAN « en état de mort cérébrale Â» selon Emmanuel Macron, un rôle prépondérant sur l’UE. Cela permet également d’impacter les politiques économiques visant à dépasser le pétrodollar et à créer des espaces d’échanges échappant au contrôle occidental. Seul un choc très violent pouvait permettre d’initier cette dynamique et on peut s’interroger sur la possibilité du Hamas d’avoir fourni ce détonateur, comme l’effondrement des tours du WTC le fut en 2001.

Olivier CHAMBRIN

One thought on “Rapport de situation sur l’évolution stratégique : l’effondrement syrien

  • Précision : l’expression “médias de grand chemin” a été reprise par Xavier Moreau de Slobodan Despot 🙂

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.