Ukraine, automne 2023, depuis le mois de juin, au prix de lourdes pertes, les forces de Kiev tentent courageusement de reconquérir les territoires perdus face à l’armée russe le long de la mer Noire. Pourtant, à ce jour, la contre-offensive ukrainienne vers le sud se heurte à un mur de défense infranchissable. L’économie russe malgré les trains de sanctions successifs pour la faire plier tient le coup. Dans cette guerre longue contre l’Occident la Russie s’organise pour durer et n’a visiblement aucune intention de rendre les territoires annexés au prix du sang de ses soldats.

Fin mars 2022, après son retrait de la région de Kiev, le commandement russe avait annoncé le report de son effort militaire sur la région du Donbass. Odessa qui vivait jusqu’alors dans l’incertitude des préparatifs pour contrer un éventuel assaut amphibie des forces russes pouvait souffler un peu. La perspective d’une nouvelle offensive paraissait s’éloigner. Après 18 mois de combats fratricides, les Russes ont perdu le croiseur Moskva qui était leur navire amiral en mer Noire, puis ils ont évacué Kherson pour se retrancher solidement à l’est du Dniepr. Mais l’armée russe apprend de ses échecs et demeure une force considérable que l’essentiel des média européens par sympathie pour l’Ukraine s’applique à sous-estimer.

Pour user ses adversaires occidentaux, la Russie compte désormais sur un allié inattendu, le temps ! En l’absence de succès décisif et de toute volonté apparente de négociation de la partie ukrainienne qui interdit par un décret au Président Zelenski d’entrer en pourparlers avec son homologue russe, les positions semblent donc devoir rester figées et la guerre ne jamais finir. Depuis 2008, la Russie a repris le contrôle du littoral de l’Abkhazie en Géorgie avec le port de Soukhoumi, de la Crimée et de Sébastopol en 2014 et de Marioupol et de toute la mer d’Azov en 2022 et elle atteint aujourd’hui le Dniepr. Il reste 200 kilomètres à parcourir à la Russie par Nikolaïev pour atteindre Odessa et recouvrer le littoral de l’URSS. En cet automne 2023, le grand port cosmopolite de la mer Noire pourrait donc bien revenir au centre de l’actualité. Pour Kiev sa chute serait un coup dur porté à l’existence même de l’état ukrainien qui perdrait là son ultime débouché maritime, des industries lourdes de premier ordre, un terminal pétrolier, des usines pétrochimiques et bien d’autres choses encore. Cela signifierait la perte du contrôle d’un carrefour essentiel des grands oléoducs qui assurent encore le transit du gaz entre la Russie et l’Europe et l’impossibilité d’exporter des céréales par la mer. Un vrai désastre !

Pour Moscou, la conquête d’Odessa – ville russe fondée par l’impératrice Catherine II en 1794 – rétablirait un contrôle exercé presque sans interruption sur le nord de la mer Noire, du Kouban à la Transnistrie depuis le XVIIIème siècle. Quelques mois après le déclenchement de Barbarossa en 1941, la ville a été occupée par l’armée roumaine et des milliers de Juifs y ont été assassinés avant sa reprise par l’armée rouge en 1944. Pour les Russes, Odessa reste une des douze « villes héros de L’Union Soviétique » qui possède une stèle dans un jardin de Moscou au pied des remparts du Kremlin où brule une flamme que des soldats gardent jour et nuit en mémoire des morts de la « grande guerre patriotique contre les fascistes allemands ». Plus récemment, le 2 mai 2014, après la révolution et le coup d’État du Maïdan qui avaient précédé l’intervention russe en Crimée, des affrontements homicides d’une violence extrême ont opposé les partisans de Kiev et de Moscou à Odessa où une quarantaine de militants pro-russes retranchés dans la Maison des syndicats ont péri dans les flammes d’un incendie criminel. En attendant des jours meilleurs, les Russes qui demeurent encore à Odessa se terrent pour échapper à l’enrôlement dans l’armée de Kiev. Enfin, Odessa est aujourd’hui la base navale de l’Ukraine d’où partent des raids de harcèlement de missiles et de drones visant la marine russe à Sébastopol et le pont de Crimée.

Washington n’est pas obnubilé par la même passion de reconquête des territoires que ses alliés de Kiev. Les Américains soutiennent à bout de bras l’effort de guerre car ils ont trouvé en Ukraine les meilleurs soldats d’Europe pour combattre la Russie et parvenir à un changement de régime à Moscou qui est leur objectif. Après le retrait calamiteux d’Afghanistan, la perte d’Odessa, si elle devait survenir, serait pour l’Amérique un revers fâcheux spécialement vis-à-vis de la Pologne, son allié le plus important dans cette guerre. La Pologne ne fait aucun mystère de son intérêt pour Odessa et sa région. C’est le débouché maritime d’une vaste continuité géographique qui s’étend de la Baltique à la mer Noire et où les Polonais ont brillé par le passé notamment à l’apogée de la Rzeczpospolita polono-lituanienne au XVIIème siècle, avant que le pays ne soit rayé des cartes de l’Europe jusqu’en 1920 après l’ultime partage de 1795 décidé par la Prusse et la Russie. L’idée d’une fédération d’entre deux mers est en Pologne une vieille ambition nationale inscrite dans l’histoire et la géographie. Varsovie est la capitale d’un état aux fondements historiques solides mais qui n’a jamais eu par le passé, c’est le moins que l’on puisse dire, de rapports cordiaux avec ses voisins ukrainiens. Membre de l’Union Européenne, forte du parapluie de l’OTAN et de sa relation privilégiée avec Washington, la Pologne aujourd’hui brule de ferveur patriotique et célèbre son armée avec l’objectif d’en faire la première force conventionnelle d’Europe. Le noble aigle blanc symbole de la nation se dresse une fois encore contre l’énigmatique aigle noir bicéphale de l’empire Russe ! De Gdansk à Odessa, on s’exalte face à la steppe pour un destin de sentinelle sur cet isthme européen entre Baltique et mer Noire. L’Ukraine qui était le pont entre L’Europe et la Russie est en train de devenir une ligne de front face à une Russie inquiétante à la fois proche et lointaine, aux frontières introuvables de deux mondes.

Odessa automne 2023… Moscou veut la ville ; Kiev la tient et la défendra pied à pied sous peine de disparaitre. Un assaut russe par la terre sans moyens amphibie parait hasardeux. Washington sera bientôt en année électorale verrait sans doute bien l’armée russe se saigner à blanc pour Odessa mais soupèse cependant soigneusement les cartes. Varsovie trépigne. Pour tenter d’enrayer l’escalade cependant des voix dissonantes commencent à se faire entendre comme celle de Nicolas Sarkosy en France. L’ancien chef de l’Etat interroge sur le cynisme de l’UE à soutenir une guerre jusqu’au sang du dernier Ukrainien. Personne n’anéantira la Russie car c’est une puissance nucléaire majeure qui peut déclencher l’Apocalypse. Si dans une guerre l’anéantissement de l’adversaire se révèle impossible alors il faut trouver d’autres moyens pour faire cesser les combats, ou alors « que ceux qui veulent mourir lève le doigt ! » pour paraphraser Cyrano.

Après la chute de l’URSS, Alexandre Soljenitsyne, au retour d’exil des Etats-Unis, s’était rendu à Rome pour une audience avec le Pape Jean-Paul II. En Russie et en Pologne ces deux athlètes du Christ avaient surmonté l’épreuve totalitaire par la seule force de la vérité. Méditant sur le fait qu’aux mille ans de christianisme en Russie correspondait à peu près mille ans de séparation des mondes orthodoxes et catholiques, l’écrivain était parvenu à la conclusion que c’était le caractère orthodoxe et non l’Empire qui façonnait l’identité russe à l’aube du troisième millénaire. Trente ans après la fin de l’Union Soviétique, l’Union européenne a-t-elle transformé sa singularité culturelle fondée sur le respect absolu de la personne humaine mûrit par vingt siècles de christianisme en une banale ambition impériale ?

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Jean de Joinville

12 thoughts on “Ukraine automne 2023…

  • On se demande vraiment comment la Russie pourrait reprendre -LIBERER – Odessa … quand elle continue à piétiner devant la “ligne Maginot” édifiée par l’Ukraine – et l’OTAN – dans le Donbass, tirant profit de l’ESCROQUERIE et la FORFAITURE des accords de Minsk … Certes, la stratégie russe, offrant une frappante analogie avec celle de von Falkenheyn durant la “Grande guerre”, est en train de … “saigner à blanc” l’armée ukrainienne … Mais … faudra-t-il quatre, cinq, DIX MILLIONS de morts ukrainiens pour qu’ENFIN “Kiev” accepte de s’asseoir à la table des “négociation” afin d’y recevoir son arrêt … ? Et combine de morts russe dans l’intervalle … ?

    Qu’attendent donc les Russes – puisque les Ukrainiens kiéviens et de l’ouest REFUSENT de se rendre – pour transformer Kiev, Lviv et tant d’autres villes du centre et de l’ouest de l’Ukraine en autant de ruines fumantes … Cela a “réussi” aux Occidentaux durant la Seconde guerre mondiale ou en Irak … Que cela FIISSE !!!

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  • Le fond de la question se trouve dant l’affrontement entre la Russie, heritiere de la civilisation orientale romano-byzantine, et le barbarie des Anglo-Saxons cousins de la barbarie wisigothique (la culture du contrat, l’economie de marche, le demantelement des monopoles). Nous sommes dans un conflit de la meme nature que celui qui a oppose le roi de France Clovis au roi des Wisigoths Alaric II, mort sur le champ de bataille a Vouille (507). Le sujet est suffisamment serieux pour inciter Poutine a la prudence. D’ailleurs il lui suffit d’assister a la decompositon et l’effondrement de l’ociddent submerge par la barbarie anglo-saxonne pour prendre une decision.

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  • Vous êtes bien de la sale race de français de merde sur ce site d’enculés, hein ! Le moindre commentaire, hop poubelle, t’as raison bâtard, joue les beaux derrière ton écran de pédé, tu ne le feras pas toute ta vie ….

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    • Et toi tu es de quelle “race” ?

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    • la rage des perdants , tu pues la défaite Rémi

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  • Excellente analyse géo stratégique qui s’appuie avant tout, sur la stratégie géo politique financière en débâcle de l’occident que j’analyse à défaut de préambule guerrier à venir. Alors que voir après que l’Ukraine avec ses alliés USA OTAN et UE organisme et pays bafouant les traités, vivant à crédit sur le dos du monde. L’ONU soumis vocifère par son représentant Mr Biden qui veut ignorer les holocaustes des USA en Irak Syrie Lybie, lui même tellement aigri et frustré qui fonctionne aux amphétamines, voudrait voir le monde en guerre afin de mettre les 200’000 milliards de dettes insolvables des Etats Unis en standby. La Russie est solide très peu de dettes et 50% des ressources mondiales sur son sol, une jalousie atroce des USA L’Occident avec sa frénésie de consommation, l’argent facile à crédit, l’UE sans ressources, bref le tout pointe son nez dans une inflation alimentaire de 32 % et énergétique de 60% à 200% selon le choix. C’est loin d’être terminé. L’Ukraine effondrée économiquement et financièrement a du dollars virtuel d’opérette en stock mais jusqu”à l’effondrement final. Alors oui Odessa la mer Noire le tout est secoué par un conflit mais non une guerre. Puisque c’est l’Ukraine qui a commencé avec ses massacres, génocide au Donbass, barbaries atrocités exécutions par milliers, ses missiles des USA, Cuba en sens inverse, brûlant les opposants pire que les SS d’Hitler, son coup d’état avec les USA, ses laboratoire à virus pour infecter la Russie, son marché d’enfants de mère porteuse, ses trafics d’armes et de drogue etc. Le tout sous dictature ou près de 4 millions d’ukrainiens ont fuit. Le peuple d’Ukraine est à 40% Russophones et avoir l’est russe ou pas, cela n’a aucune importance parmi les réfugiés aisés. En leur parlant ils ont une peur viscérale d’être poursuivi par le régime de dictature de l’Ukraine. Mais c’est interdit de le prononcer dictature et censure de Zelinsky oblige à 100% sinon vous êtes exécuté par les agents de l’Ukraine et la CIA.

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  • M.S.Blueberry semble avoir une bonne opinion de lui même et de la valeur de son temps. Je trouve néanmoins un peu cavalier le procédé pour clore un débat qui n’a pas commencé et qui n’a peut être pas lieu.
    Suivant assidument les écrits et émissions de Stratpol, j’y pioche quelques idées. Premièrement sur les raisons de la retenue russe, due à la personnalité de Mr. poutine et sa volonté de ne pas se heurter frontalement aux USA. Je suis plus dubitatif sur sa position attentiste par rapport à un choc OTAN/Russie.
    Je partage entièrement la vision de Odessa clef de voute du reste de l’Ukraine mais je trouve que Mr. de Joinville donne encore trop de considération à ce qui reste de l’armée Ukrainienne. Les combattants de la plus grande valeur ont disparu dans les chaudrons. Les réfugiés que la Pologne renverra vers la mort auront-ils la capacité la volonté et le courage de défendre Odessa pied à pied dans les unités ainsi constituées. J’en doute.
    Je ne doute pas un instant que la volonté russe soit aujourd’hui, de reconstituer la novoRossia et de la couronner par Odessa et je prend pour certain l’assertion de Stratpol qui est que la Russie avait accepté une paix qui n’allait pas aussi loin et qui a été refusée par deux fois avec brutalité par les anglo-saxons.
    Néanmoins si l’on se regarde en chiens de faïence sur le terrain, l’avancée russe est maintenant magmatique: lente et inexorable.La seule possibilité pour l’OTAN de sauver Odessa (si la conserver à l’Ukraine est vraiment la sauver) sera de poser sur le terrain des bottes européennes et, accessoirement américaines. La 101ème aéroportée est bien en stand-by en Roumanie, des manœuvres maritimes conjointes USA-UK-Roumanie-Ukraine sont bien annoncées en mer noire. Mais est-ce vrai? Je crois, quant à moi, que la Roumanie a bien été sélectionnée par les USA comme fresh blood de remplacement pour pallier à la carence ukrainienne. C’est de ça dont j’ai peur.

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    • Bonjour Olierick.
      La question était , dans le texte : serait il envisageable en l’état d’une opération ( par exemple combinée aéroportée-amphibie ) pour les russes afin de prendre Odessa.
      Faute de réponse sérieuse, partielle ou non, à ce propos, je me vois dans l’obligation de décliner votre opinion à mon propos même si elle semble des plus appréciables tant il est vrai que je n’ai pas mauvaise opinion de moi même et que j’estime ne pas vouloir gâcher mon temps, cependant , exceptionnellement, permettez moi de vous en consacrer quelques instants afin de reformuler ma question en des termes simples en la souhaitant explicite cette fois.
      Cdlt.
      M.S.BLUEBERRY.

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  • L’auteur développe une vision prospective sur Odessa que je rejoins totalement depuis longtemps ( malgre les doutes, sarcasmes , oppositions développés par de nombreux orateurs parfois même stupidement vindicatifs ) sur son importance à tous égards , les enjeux représentés.
    Sans culture militaire particulière, il me plaît d’imaginer une action combinée aéroportée et amphibie sur aéroport – port d’Odessa et région limitrophe immédiate.
    Quid volonté et moyens russes nécessaires, disponibles ou non côté russe, je n’en sais rien.
    La prise de l’aéroport de Kiev réussie par troupes aéroportées au début operation speciale , étrillées ensuite dans un retrait car n’ayant pas étés soutenues par l’arrivée de l’infanterie mécanisée , si ma mémoire est bonne, pourrait être répétée combinée avec débarquement amphibie .
    Troupes et moyens, anti aériens notamment et mines navales ukrainiens sur Odessa ?
    Nous arrivons à l’automne , ce type d’opération est possible ou pas pour la saison ? En hiver ?
    Il est certain que ce gros morceau , Odessa, peut être alléchant mais raison gardée , est ce possible en pratique dans le contexte?
    La parole à ceux qui peuvent prendre le risque de répondre en vertu de leurs connaissances réelles ou supposées , rigolos s’abstenir pas de pertes de temps, merci.
    M.S.BLUEBERRY.

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    • Ce qui rend possible une opération aéroportée tient en ces quelques lignes :
      – Une météo favorable
      – Un soutien et du matériel à la hauteur d’une telle opération
      – Une volonté du commandement ainsi qu’une préparation minutieuse de l’opération
      – Une formation et une abnégation sans faille des troupes prévues
      Le reste c’est de la littérature …

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      • Bonjour Rémi.
        Merci de vos éléments de réponse concernants une opération aéroportée.
        Cdlt.
        M.S.BLUEBERRY.

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  • Tout a fait d’accord l’orthodoxie et différente du catholicisme, comme le catholicisme et différents de la réforme, je vie en Roumanie orthodoxe parmi les maghiars catholique la différence et flagrante même si fondamentalement ces pratiquement les mêmes mode de vie .

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