Chaque jour qui passe pousse à hocher la tête d’étonnement, non seulement devant le comportement des institutions fédérales européennes mais devant l’absence de réaction des gouvernements des Etats membres. Voire, dans le cas de l’Allemagne, une attitude à l’opposé de ses intérêts économiques. Au moment où les Européens auraient pu faire de l’euro une monnaie de réserve se substituant au dollar, ils semblent être fascinés par un naufrage de leur monnaie sur le même bateau que la monnaie des Etats-Unis

Cet article est publié en partenariat avec Le Courrier des Stratèges

Sanctions contre des entreprises chinoises

La Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen, prévoit depuis plusieurs mois de prendre des mesures punitives à l’encontre de sept entreprises chinoises qu’elle accuse d’approvisionner des groupes d’armement russes.

Fin mars, Madame von der Leyen avait laissé entendre que l’on limiterait les investissements des entreprises européennes en République populaire de Chine. Si jusqu’à présent, seules les reprises d’entreprises européennes par des investisseurs chinois pouvaient être contrôlées par les autorités et, si elles le souhaitaient, interdites, il devrait être possible à l’avenir d’interdire également les investissements de groupes européens dans la République populaire par décision officielle.

Les entreprises allemandes dans la confusion

Un certain nombre d’entreprises allemandes protestent énergiquement contre cette décision – elles qui veulent échapper au renchérissement de l’énergie européenne en allant investir en Chine autant qu’aux Etats-Unis. Cependant, une des fédérations patronales, le BDI, va dans le même sens que la Commission. Selon german-foreign-policy.com : « Les restrictions imposées aux acquisitions chinoises dans l’UE ont déjà clairement porté atteinte aux relations commerciales avec la République populaire ; en 2022, seules 26 acquisitions (valeur de la transaction : 290 millions de dollars US) ont été réalisées en Allemagne par des entreprises de Chine, contre 242 par des entreprises des Etats-Unis. Les départements de recherche que les groupes allemands implantent en Chine pour ne pas perdre le contact avec l’élite mondiale seraient entre autres concernés par les nouveaux contrôles ».

Comme si cela ne suffisait pas, en République fédérale, on a récemment fait état de réflexions visant à interdire l’exportation vers la Chine de produits chimiques indispensables à la production de semi-conducteurs. La Chancellerie a certes démenti avoir déjà concrètement planifié cela, mais on y reconnaît à demi-mot que le sujet est déjà discuté avec les États-Unis. Pékin envisage désormais des mesures de rétorsion si l’Allemagne passait à exécution.

Le ministre allemand des Finances a été désinvité par Pékin

D’ores et déjà, une visite du ministre allemand des Finances Christian Lindner a été annulée.

Lindner devait notamment s’y entretenir avec son homologue chinois Liu Kun. German-foreign-policy.com explique : « Diverses raisons peuvent expliquer cette annulation de dernière minute. Certains pensent qu’il s’agit d’une réaction à la récente visite de la ministre de la Recherche Bettina Stark-Watzinger à Taiwan, qui est, comme Lindner, membre du FDP. La République populaire avait vigoureusement protesté contre son voyage à Taiwan. Lindner lui-même a récemment snobé Pékin lorsqu’il a cru devoir interpeller la République populaire pour sa position sur la guerre en Ukraine après une réunion des ministres des Finances du G20 en février. En 2019, Lindner avait conduit une délégation du FDP à Hong Kong et s’y était publiquement solidarisé avec des manifestants. Il se peut aussi que Pékin ne soit tout simplement plus disposé à se laisser sermonner publiquement, comme ce fut le cas récemment lors de la visite de la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock, qui a estimé qu’il était approprié de faire la leçon à son homologue Qin Gang devant la presse ».

Qin Gang se trouvait à Berlin mardi 9 mai. Il a affirmé que son pays réagirait “avec fermeté aux sanctions de l’UE afin de défendre les intérêts légitimes de notre pays et de nos entreprises”.

Le mimétisme suicidaire de l’Union Européenne : vers une extraterritorialité du droit européen….sans outil monétaire !

En réalité, il est difficile de ne pas voir combien les mesures anti-chinoises doivent à l’influence de l’actuelle administration américaine.

Le site german-foreign-policy.com donne des détails sur les sept entreprises que la Commission européenne voudrait voir sanctionner : « Leurs avoirs dans l’UE seront gelés. Au moins quatre des sept entreprises ont déjà fait l’objet de sanctions aux États-Unis, notamment 3HC Semiconductors et King-Pai Technology de Shenzhen. Alors que King-Pai Technology est accusée de fournir à la Russie des composants pouvant être utilisés pour produire des systèmes de contrôle électronique pour les missiles guidés, l’UE accuse 3HC Semiconductors de se procurer des produits américains qui ne peuvent pas être exportés vers la Russie et de les revendre à des entreprises russes ».

A propos de la volonté de ralentissement des investissements allemands et européens, le même site écrit : « Dans les faits, il s’agit d’une part d’une contribution de l’UE à la tentative [américaine] de freiner l’essor technologique de la République populaire. D’autre part, il s’agit de dissuader les entreprises de l’UE de poursuivre leurs activités en Chine. Madame von der Leyen a présenté sa proposition peu de temps après sa visite aux Etats-Unis, au cours de laquelle elle a notamment été reçue par le président américain Joe Biden à la Maison Blanche. Washington prépare actuellement l’introduction de mesures identiques ».

Figurez-vous que l’Union Européenne n’a pas l’intention de s’en tenir là. Dans le onzième paquet de sanctions contre la Russie, il est question de sanctionner les Etats tiers qui réexporterait des biens importés de l’UE vers la Russie.

L’UE aurait pu substituer l’euro au dollar….

« Le projet de onzième paquet de sanctions contre la Russie contient déjà une liste d’entreprises de divers pays tiers contre lesquelles l’UE veut prendre des mesures. Parmi elles, on trouve notamment des entreprises arméniennes et ouzbèkes. Dans leur cas, la Commission européenne mise sur le fait que les Etats économiquement et politiquement plus faibles du Caucase du Sud ou d’Asie centrale seront si fortement intimidés par la menace de sanctions qu’ils inciteront leurs entreprises à cesser de revendre des biens de l’UE à la Russie… Deux entreprises des Émirats arabes unis figurent également sur la nouvelle liste de sanctions ; il est en outre question d’y inscrire des entreprises turques ».

Je vous décris régulièrement l’émergence de nouvelles relations commerciales entre la Russie, la Biélorussie, l’Asie Centrale, la Turquie, les Pays du Golfe, l’Iran, l’Inde et la Chine. L’Espace Economique Eurasiatique, l’Organisation de Coopération de Shanghai, les BRICS deviennent des instances incontournables. Des pays de plus en plus nombreux veulent quitter le dollar comme monnaie de réserve et/ou de transaction.

Eh bien que fait l’Union Européenne ? Elle décide de se rallier à la pratique des sanctions au nom de l’extraterritorialité du droit européen – sur le modèle américain. L’extraterritorialité du droit américain, cela a souvent été dit, est un abus de puissance, elle n’a aucun fondement dans le droit international. Cependant, les USA avaient jusqu’à maintenant un argument : le rôle de monnaie mondiale du dollar. L’Union Européenne se met à faire comme les USA – sans disposer pour autant d’une monnaie aussi puissante.

Surtout, en se comportant ainsi, l’Union Européenne prend le risque de voir les Etats détenant des euros, les revendre pour les remplacer par des yuans ou d’autres monnaies.

Il existait une chance historique pour l’Union Européenne, si elle avait gardé dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie, un rôle de médiation et une position de neutralité : substituer dans les réserves des banques centrales et dans les transactions internationales, l’euro au dollar. Mais là on est à l’extrême opposé : le risque de voir l’euro perdre sa valeur d’instrument d’épargne et de monnaie de réserve suite à une chute brutale des actifs en euros à travers le monde. Jusqu’à maintenant, nous l’avions vu, c’est surtout le dollar qui a pâti des sanctions anti-russes. Vis-à-vis de l’euro, le reste du monde était en position d’attente. Il est à redouter que beaucoup de pays arbitrent à notre détriment.

Edouard Husson

2 thoughts on “Brennus: Connaissez-vous l’extraterritorialité du droit européen?

  • “Extraterritorialite du droit”? Et qu’est-ce que cela, Monsieur, s’il vous plait?

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  • Il paraît évident que les “élites” européennes sont des agents des US, l’Europe est la seule à parir des sanctions contre Russie,
    les entreprises européennes, obligées de desinvertir la Russie et à acheter les hydrocarbures US, cherchent à s’installer sous des cieux plus cléments, USA, Chine, etc.
    Ces nouvelles mesures limitent leurs possibilités d’installation aux seuls USA.
    Bref c’est le pillage de toute l’industrie européenne organisé par les européens eux mêmes au profit des US.
    Empêcher que l’euro ne puisse être avantagé par rapport au dollar est une évidence pour tous ces traitées.

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