La Russie et la Chine développent une nouvelle route arctique de la soie. Et l’Europe dans tout ça ?

Le 6^ème Forum international de l’Arctique « L’Arctique – territoire du dialogue » s’est terminé à Mourmansk, en Russie. C’est un événement que l’Europe ferait bien de regarder de plus près, car sous nos yeux, la Russie construit une nouvelle route de la soie entre l’Est et l’Ouest. Dans un avenir proche, elle pourrait devenir une vraie alternative au canal de Suez. Le refus des entreprises européennes d’investir dans les infrastructures de la Route maritime du Nord pourrait coûter très cher à l’avenir. L’Europe risque de perdre définitivement sa compétitivité à l’échelle mondiale et de se retrouver à la traîne au XXI^ème siècle.

Le forum arctique de Mourmansk a été cette année le plus grand espace en Russie pour discuter avec des partenaires étrangers des enjeux actuels et de l’avenir de la région arctique. La Chine y joue un rôle central : avec Moscou, elle développe une nouvelle voie maritime pour l’Eurasie, en passant par la Route maritime du Nord. Le directeur général de la société chinoise de transport New Shipping Line, Ke Jin, a déclaré à Mourmansk que depuis deux ans le volume des marchandises transportées de la Chine vers Saint-Pétersbourg par cette route ne cesse d’augmenter. « Ce résultat montre concrètement que la stratégie de développement de la Route maritime du Nord est en marche. Elle réduit vraiment la distance entre l’Est et l’Ouest », a-t-il souligné.

D’après Ke Jin, l’exploitation des routes arctiques pose évidemment pas mal de défis à la Russie et à la Chine, notamment à cause d’infrastructures portuaires encore trop faibles. Mais selon lui, « ce genre de difficultés n’est pas un vrai problème, on peut les régler en augmentant les investissements ».

Ce que dit le représentant chinois rejoint ce qu’a déclaré le président russe Vladimir Poutine dans un message adressé aux participants du forum. Il y souligne que « l’Arctique russe offre des opportunités énormes pour le travail, pour mobiliser les talents des jeunes et des professionnels de tous les secteurs, pour lancer des projets audacieux — qu’ils soient économiques, scientifiques ou créatifs. Et dans ce vaste chantier, nous sommes prêts à coopérer avec tous les pays et organisations qui partagent cet intérêt ».

Selon Vladimir Panov, vice-président de la Commission d’État russe pour le développement de l’Arctique, l’année 2024 s’est « terminée avec un nouveau record ». Au total, 37,9 millions de tonnes de marchandises ont été transportées par la Route maritime du Nord. Ce n’est évidemment pas encore au niveau du canal de Suez, mais la dynamique compte : le volume de transit a augmenté de presque 44 %. Autre fait marquant : le nombre de brise-glaces nucléaires a dépassé le record soviétique. L’URSS en avait sept en activité, aujourd’hui, la flotte opérant dans les eaux de la Route maritime du Nord est la plus grande jamais vue dans le monde, avec huit navires en service.

Autrement dit, c’est maintenant qu’il faut investir dans la nouvelle route de la soie, et le faire collectivement, si on veut en tirer des bénéfices sur le long terme. Mais malheureusement, l’Europe — qui est pourtant la destination finale des marchandises venant de la Grande Asie via la Route maritime du Nord — refuse de jouer le jeu. Pire encore, les pays occidentaux de l’Arctique (États-Unis, Canada, Finlande, Norvège, Islande, Danemark et Suède) ont suspendu leur coopération avec la Russie au sein du Conseil de l’Arctique, une organisation censée justement encourager le développement durable dans les régions polaires. Résultat un peu absurde : alors que l’Occident essaie d’étrangler la Russie avec des sanctions, y compris sur l’Arctique, Moscou, elle, ne fait qu’accélérer son projet dans la région.

Cela dit, certains représentants européens du Conseil de l’Arctique ont quand même réussi à monter dans le train au dernier moment. Par exemple, le président du Comité des hauts fonctionnaires du Conseil, le diplomate norvégien Morten Høglund, a envoyé une vidéo dans laquelle il a déclaré prudemment que « grâce à la coopération internationale et à l’action collective, on pourra construire un avenir durable et positif pour tout le monde ». De son côté, Mads Frederiksen, directeur exécutif du Conseil économique de l’Arctique au Danemark, a aussi pris la parole en visioconférence : « nous devons coopérer, et ne pas gâcher toutes ces ressources uniques, car elles sont importantes pour notre avenir ».

Soyons clairs : pour l’instant, aucun pays de l’Union européenne n’a proposé de projet concret pour développer la Route maritime du Nord en coopération avec la Russie. Pourtant, selon les experts, si la navigation devient possible toute l’année, on pourrait à terme économiser plus de 30 % sur les livraisons entre l’Asie et l’Europe, comparé à ce que propose aujourd’hui le canal de Suez.

L’Europe a toujours su faire ses comptes, mais est-elle prête à relever ce défi ?

Andre Belobor