La Serbie, longtemps considérée comme paria de l’Europe et vilipendée par les médias comme coupable des guerres yougoslaves, est aujourd’hui vue comme le pôle de stabilité essentiel à l’apaisement des relations communautaires dans les Balkans occidentaux. Aux confluents de la Save et du Danube, la Serbie occupe une place centrale en Europe du sud-est, qui ne peut pas être négligée par les décideurs occidentaux.

Photo : Le Figaro

La Serbie comme môle des valeurs occidentales en Europe du sud-est

En outre, son passé marqué par un prisme occidental plaide en sa faveur. Au XIX° siècle, c’est la France qui a aidé les Serbes à s’extraire de l’empire ottoman et à épouser les valeurs libérales et occidentales. Le colonel Hippolyte Mondain met sur pied l’armée régulière de la toute jeune principauté de Serbie dès 1863. Mais surtout en 1918, la république française, désireuse de consolider son rôle dans la région, crée la Royaume des Serbes, Croates et Slovènes autour de dynastie du roi Alexandre, avec une Constitution calquée sur le modèle français et des frontières dessinées par des géographes français.

Cela s’explique par une fraternité d’armes jamais démentie depuis deux siècles ; que ce soit lors de la Première guerre mondiale avec l’Armée Française d’Orient combattant côté à côte avec l’armée serbe, ou lors de la Seconde guerre mondiale avec les liens entre les deux figures de la Résistance nationale, le général de Gaulle en France et le colonel Dragoslav Mihajlović en Serbie.

Le nouveau Président des Etats-Unis, qui veut marquer une inflexion pro-slave de sa politique extérieure, prend compte plus que ses prédécesseurs des spécificités du monde slave. Dans cette nouvelle orientation de la politique extérieure des etats-uUnis, Donald Trump a été, durant sa campagne, le premier haut responsable américain à s’excuser des « bombardements contre le peuple serbe », faisant référence à la campagne d’agression de l’OTAN du printemps 1999.

Enfin, la politique d’excuses menée par l’ex-Président Boris Tadić à l’encontre des musulmans de Bosnie –Herzégovine, qui se poursuit avec Tomislav Nikolić, facilite le dialogue régional, propice à la construction européenne.

La Serbie comme facteur de stabilité dans les Balkans sous tension

Mais l’ensemble de la région est aujourd’hui plus ou moins touchée par des mouvements de déstabilisation. Au Monténégro et en Macédoine, des pouvoirs élus légitimement, mais parfois marqués par l’usure (23 ans sans discontinuer pour le Monténégrin Milo Djukanović) sont contestés par des manifestations de rue violentes et continues depuis plus d’un an. En Bosnie-Herzégovine, le divorce maintenant consommé entre le musulman Bakir Izetbegovic et le serbe Milorad Dodik, chacun à la tête d’une des deux entités issues des accords de Dayton, s’envenime chaque jour et peut amener à l’éclatement de la fédération bosniaque. Enfin le Kosovo, terreau ancien de trafics mafieux haut plus haut niveau de l’Etat, est maintenant miné par le terrorisme islamiste, avec le plus gros contingent en Europe de djihadistes envoyés par l’Etat islamique se battre au Moyen Orient.

La Serbie est donc devenu, notamment pour les dirigeants européens, le môle centrale auquel il faut s’attacher afin de stabiliser la région, mais aussi de développer sur ses marges orientales la puissance européenne. Le Président Nikolić en a pris conscience et c’est pourquoi il a accepté des concessions importantes, notamment concernant le Kosovo. Celui-ci, que tous les partis serbes sans exception considèrent comme le cœur de la Serbie, est aussi accepté par les plus hautes autorités de l’Etat comme une province, conformément à la résolution 1244. Mais cela n’a pas empêché les dirigeants de cette province serbe, ces tous derniers mois, d’imposer un numéro de téléphone national et une armée quasi indépendante, baptisée « Forces Armées du Kosovo » !

La Serbie courtisée par les puissances émergentes

Mais l’Union Européenne aurait tout à gagner d’atténuer certains désidératas vis-à-vis de la Serbie, car d’autres puissances marquent de leur empreinte cet espace balkanique. La Russie a tissé des relations particulières avec la Serbie, où un Centre d’aide humanitaire a été installé en plein cœur ; elle marque de son empreinte tous les Balkans occidentaux par nombre d’accords énergétiques et commerciaux.

La Turquie est aussi dans un rapprochement intéressant. Les ministres turcs se sont rendus à Belgrade pour clarifier leurs positions concernant le gazoduc « Turkish stream » qui, même s’il venait à éviter la Serbie dans son parcours central, pourrait être lié par des ramifications. Tomislav Nikolić a aussi accéléré les rencontres au plus haut niveau avec le groupe de Višegrad, recevant en début 2017 le Premier ministre tchèque. Enfin la Serbie est devenue la tête de pont de la Chine aux confins de l’Union européenne. On ne compte plus les accords commerciaux et logistiques qui lient les deux pays. Et depuis début février 2017 les Chinois n’ont plus besoin de visa pour venir travailler ou séjourner en Serbie !

L’action du Président Nikolić en direction de l’apaisement régional

Tomislav Nikolić est Président de la Serbie depuis le 31 mai 2012. Ancien ingénieur ayant présidé aux destinées de la compagnie ferroviaire reliant Belgrade(Serbie) à Bar (Monténégro), Nikolić est rentré en politique à l’occasion des conflits yougoslaves. Dès 1991, il occupe la fonction de Vice-Président du Parti Radical Serbe, parti ultra-nationaliste dont la figure tutélaire, Vojislav Sešelj, est connue pour ses positions philorusses et anti-occidentales.

Après une période d’opposition virulente au Président yougoslave Slobodan Milošević (qui lui même valu un court passage en prison politique), Nikolić rentre, en tant que vice-Président, au gouvernement socialiste de Milošević dans un gouvernement de coalition socialiste/radical. Dans les années 2000, le radical Tomislav Nikolić parvient par deux fois au second tour des élections présidentielles, battu à chaque fois par le candidat libéral Boris Tadić. Cela explique en partie sa dispute avec Sešelj sur le choix européen : Nikolić claque la porte du Parti Radical en septembre 2008 pour créer, avec l’actuel Premier ministre Aleksandar Vučić, le Parti Progressiste serbe (SNS) , favorable à l’UE. C’est ce revirement, considéré de traîtrise par Vojislav Sešelj, qui va lui permettre d’être enfin élu à la Présidence de la Serbie en mai 2012.

Tomislav Nikolić est donc un des principaux instigateurs du l’ouverture des négociations d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne. Au moment où la Serbie, contre de nombreux sacrifices, négocie ardemment son chapitre 25 sur 33 de l’adhésion définitive à l’UE prévue aux alentours de 2022, Nikolić se place comme un fervent défenseur de l’adhésion à la sphère de l’UE ; il se pose ainsi dans la droite ligne des occidentalistes qui depuis la renaissance de l’Serbie au XIX° siècle ont adhéré aux valeurs de liberté et de progrès.

Mais il est aussi un fervent partisan, contrairement à son premier ministre Aleksandar Vučić, d’un réchauffement des relations avec le grand frère russe ; Nikolić a amené la Serbie, ces deux dernières années à signer plusieurs accords militaires et commerciaux d’envergure avec la Russie, profitant notamment de la politique européenne de sanctions à l’encontre de la Russie, pour lui fournir des produits agricoles et minéraux.

La question est donc de savoir si la Serbie pourra longtemps mener cette politique de « neutralité », théorisée et défendue depuis 2012 par le président Nikolić.

 

Alexis Troude – 24 Mars 2017

Alexis Troude

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