Hôtel Bedford
21 novembre 2018
A l’invitation de Livia LEU,
Ambassadrice de Suisse en France

Nous avons eu le 21 novembre 2018, dans un hôtel parisien, l’immense plaisir d’écouter Carla del Ponte, ex-procureure internationale du TPIY. Plus de vingt ans après les premières inculpations, Madame del Ponte s’est fait un plaisir de défendre, avec un certain brio, sa politique pénale contre les chefs de guerre yougoslaves.

L’idée de la procureure suisse est clair : le TPIY devait être une justice exemplaire, ayant une portée historique. Elle affirma ainsi sans ambage lors de cette soirée que « ce que représentait pour nous le TPIY était le « Plus jamais ça » déclamé à la sortie de la Seconde guerre mondiale. Après Tokyo et Nuremberg, le TPIY devait empêcher tout nouveau massacre de civils en Europe ».

Ainsi pour elle le but premier était d’arrêter les dirigeants supposés être responsables de ces crimes de guerre. Qu’ils soient réellement responsables ne l’intéressait pas en tant que procureur : ainsi, elle a avoué avoir retenu un responsable de guerre (Rwanda) en prison plus longtemps que prévu pour pouvoir le juger et en utilisant  des arguments  illégaux.

De même, Madame del Ponte ne conçoit pas que la défense soit au même niveau que le procureur dans un tribunal. C’est ainsi qu’elle a répondu à un avocat de la salle qui se plaignait que dans ce genre de tribunal politique la défense devait demander l’autorisation au juge pour se défendre et faire venir des témoins, alors que le procureur n’était pas dans cette obligation. Elle a donc reconnu que l’égalité entre la défense et le procureur n’existe pas.

Carla del Ponte admet aussi que les mandats internationaux sont appliqués en fonctions des intérêts des grandes puissances (cas de Milosevic), de même que pour les libérations (Haradinaj ou Gotovina). Pour ce dernier, l’ambassadeur de Croatie lui a reproché d’avoir accusé sans réelle preuve sa présence en Croatie, alors qu’il a été en fin de compte en Espagne (ce qui a entraîné un retard de 2 ans de la Croatie pour intégrer l’UE).

Del Ponte a  reproché à  Milosevic de n’avoir pas seulement cherché à se défendre mais à attaquer sur d’autres points du procès, à retourner les témoins à son avantage : elle ose même dire que s’il s’était contenté de se défendre uniquement, il aurait pu avoir une véritable condamnation ! En substance, elle reproche à Milosevic de s’être battu comme un lion, de remettre en cause le tribunal et que sa mort prématurée a empêché de le juger comme un véritable coupable…

L’autre constat de cette soirée très instructive a été, dans la bouche de Madame Del Ponte, de confirmer ce que nous redoutions depuis longtemps : « Grâce aux Américains le TPIY a été créé, selon la procédure américaine du common law. […] Sans l’argent américain, le TPIY n’aurait pas été créé. »

Elle reconnait, même si selon elle, l’enquête des crimes de guerre est une réussite, qu’elle a été diligentée par Albright et les soldats de l’Otan qui supervisaient les charniers. Donc, les Etats-Unis ont pu orienter les fouilles ou transformer des militaires tués en civils (comme cela a été fait plus tard dans l’affaire de Racack au Kosovo, où les membres de l’UCK ont été transformé en  civils : car la définition d’un  crime de guerre concerne uniquement les civils). Mais justement, dans une guerre civile comme celle en Bosnie, c’est parfois difficile de trancher catégoriquement parmi les combattants qui sont parfois voisins et civils et qui accomplissent des actes de guerre.

En fin de compte le but de ce tribunal n’est pas de trouver la vérité ou de procéder à la réconciliation entre les peuples, mais de juger un dirigeant désigné déjà coupable par les mass médias internationaux aux mains des grandes puissances… Il semblerait que c’est aussi l’influence anglo-saxonne sur la juridiction qui permet beaucoup plus de s’accommoder de la vérité historique que les tribunaux de conception latine (romano-germanique).

Del Ponte est contre les tribunaux hybrides, c’est-à-dire que l’on applique les décisions internationales par les tribunaux locaux. Ce qui se peut comprendre dans un certain sens car elle leur reproche une certaine lenteur et un sabotage de la mise en application des décisions des juridictions internationales. Mais en même temps, on peut comprendre que les juges se rendent compte que c’est une justice des puissants qui ne correspond pas du tout à la réalité du terrain (ainsi pour le cas de la Cote d’Ivoire où aucun des protagonistes soutenus par la France n’a fini en prison, alors que les  anciens dirigeants fidèles  à Gbagbo sont eux emprisonnés…).

Puis, l’ex-procureure internationale n’a de cesse, dans sa démonstration, de citer de façon roborative, comme pour avoir vaincu le mal absolu, le nom des trois plus hauts dirigeants serbes durant les guerres yougoslaves. Milosevic, Mladic et Karadzic sont cités maintes fois pour étayer son propos ; en roulant bien les « r », comme pour terrasser le bête immonde. Désormais, il est clair que la fixation de Madame Del Ponte, et à travers elle, tous les laudateurs du TPIY, était la menace que représentait à leurs yeux uniquement les Serbes. A aucun moment n’est cité, en presque une heure de démonstration, le nom d’un dirigeant bochniaque, croate ou albanais. Comme si les guerres civiles yougoslaves s’étaient déroulées sans aucune implication des autres peuples de la défunte fédération yougoslave, sans parler des implications extérieures.

Del Ponte veut ainsi par cette manœuvre dilatoire effacer toute responsabilité des dirigeants extérieurs dans ces guerres, alors qu’on sait bien que les Etats-Unis, la France l’Allemagne, l’Angleterre, l’Iran et l’Arabie saoudite ont été impliquées dans ces guerres, soit par l’envoi d’armes et de mercenaires, soit par l’imposition de dirigeants.

Cette obsession de punir tous les présumés coupables jusqu’au dernier a amené Carla del Ponte à faire des révélations fracassantes.

A ma question : « Vous parlez de réussite avec l’arrestation de Milosevic, Mladic et Karadzic.  N’y a-t-il pas deux poids deux mesures quand on sait que Naser Oric, responsable du massacre de civils serbes à l’hiver 1992, est en liberté, ou que Ramush Haradinaj, poursuivi par plusieurs cours de justice nationales et passé trois fois par la prison du TPIY est en liberté. Quand on va sur le terrain on sent l’effet boomerang : comment peut-il y avoir réconciliation ? »

Carla del Ponte répondit avec fermeté et un certain aplomb : « On ne nous a pas laissé faire : oui c’est une injustice qu’Ante Gotovina ait été acquitté, j’en ai été malade. » Del Ponte met en cause là le manque de coopération avec les services secrets des puissances occidentales après l’arrestation d’Ante Gotovina, chef de guerre croate.

Et comme heureuse de ma question qui lui permettait de prolonger sa réflexion, elle poursuit : « Moi, j’irai plus loin encore : on a arrêté les hauts dirigeants, mais pour qu’une vraie justice se fasse il aurait fallu arrêter aussi, par exemple dans l’Armée serbe de Bosnie, tous ceux qui occupaient des fonctions subalternes ». Dans une soif de vengeance inassouvie, afin de terrasser la bête, del Ponte n’en a jamais assez contre le peuple serbe : elle exige en 2018 la condamnation des simples sous-officiers de l’armée serbe de Bosnie. Elle soutient donc indirectement les opérations menées en ce moment, plus de vingt ans après les guerres yougoslaves, pour capturer les Serbes de Bosnie.

Les Serbes apparaissent donc clairement comme l’empêcheur de tourner en rond : comme l’avait peint sur un tableau le peintre Stanislas en 1999, « a-t-on encore le droit d’être Serbes » ?

Face à cette somme de haine envers un peuple, la question se pose de quelle réponse politique donner. A la question d’une journaliste serbe portant sur les commémorations du 11 novembre 2018 complètement à côté du sujet (le Président serbe Vucic, d’un pays ayant contribué avec 28% de l’ensemble de sa population décimée, à la victoire de la Première guerre, a été relégué dans la tribune officielle le 11 novembre 2018 loin derrière les représentants de pays vaincus comme l’Allemagne, la Turquie ou la Bosnie), me demandant quelle action politique devait mener le gouvernement serbe face à ce type d’injustice, je lui répondis tout simplement que la diplomatie serbe doit être plus présente. Ainsi, ce 21 novembre 2018, alors que l’ ambassadeur de Croatie était présent et a posé une question embarrassante à Del Ponte concernant Ante Gotovina, nous n’avons noté aucune présence officielle de la Serbie. Tant que l’Etat serbe n’aura pas une diplomatie digne de ce nom, qui occupe le terrain politique ici en Occident et défend un programme national bien établi, la Serbie ira de défaite en rémission.

Stéphane IVIC & Alexis TROUDE

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Alexis Troude

2 thoughts on “Del Ponte persiste et signe !

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  • Je pourrais commencer mon commentaire par : au secours elle revienne.
    Et pourquoi elle revienne toujours et toujours ?
    Est c’est un cas de conscience et peur du jugement dernier ?
    Franchement dis j’en doute.
    En vie de revenir aux affaires ; plausible étant donné que les américains font pratiquement une guerre par année et surtout qu’ils cherchent a rallumer la mèche au Kosovo et en Bosnie.

    Et elle brasse chaque fois ses prétendus crimes de Slobodan Milosevic, son fond de commerce en quelque sorte. Facile, il n’est plus là pour se défendre. Alors…
    Elle tient mordicus à ses accusations malgré les faits que des médias britannique ont écris à plusieurs reprises que le procès Milosevic s’acheminer vers un non lieu.

    Est-ce qu’elle se laissée embrouiller l’esprit par ex-Conseillère Fédérale, serbophobe et slavophobe notoire, dont son seul bilan politique est d’avoir pousser et réussir que le Conseil Fédéral reconnaît l’indépendance autoproclamée de Kosovo ?

    Mais tout compte fait ce n’est pas important de savoir pourquoi elle revient. Ce qui est sûre qu’elle a eu ses « cinq minutes de gloires » et c’est fini maintenant. L’histoire ne se répète jamais ; c’est bien connu.

    Alors le mieux est qu’elle disparaisse, à jamais. Les serbes lui seront reconnaissants.
    Au moins ça…

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