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Brennus: Le Brésil juge sévèrement l’attitude de la France, l’Allemagne et l’UE dans la guerre d’Ukraine

L’Institut Brennus a été créé début 2023. En partenariat avec le Courrier des Stratèges, il aide les décideurs français à décrypter le grand basculement géopolitique que la guerre d’Ukraine a considérablement accéléré

Cet article est publié en partenariat avec Le Courrier des Stratèges

Le site german-foreign-policy.com – source essentielle d’informations sur la politique étrangère du gouvernement allemand –  a mené une enquête sur le décalage croissant entre l’Allemagne et l’Union Européenne, d’une part, et le monde « non-occidental » où, pourtant, l’Allemagne et ses partenaires devraient aller chercher de nouveaux marchés et débouchés pour leur industrie.

Hier, nous parlions du point de vue indien. Continuons notre exploration au sein des BRICS, en donnant quelques éléments sur la position brésilienne. Nous précisons que la personnalité et la couleur politique du président brésilien récemment élu n’ont rien changé à l’orientation de la politique brésilienne. La politique étrangère est l’un des rares éléments de continuité entre Bolsonaro et Lula.

Le point de vue d’un ancien conseiller du président Lula

Giorgio Romano Schutte, professeur associé de relations internationales et d’économie à l’Universidade Federal do ABC de São Paulo, ancien conseiller du Président Lula, déclare à propos des réactions à la visite de Lula en Chine : “Les dirigeants politiques et les faiseurs d’opinion européens prouvent qu’ils n’ont pas la moindre idée des points de vue et des attentes du monde non occidental“. Le fait que des Etats “comme le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde” ne suivent aujourd’hui “pas aveuglément les récits et la politique des pays de l’OTAN et de leurs alliés” ne doit “surprendre personne“, explique Schutte. Il ne faut pas déduire de leur rejet de la politique de guerre occidentale “qu’ils approuvent l’invasion de l’Ukraine par la Russie“. Le mécontentement du Sud global s’explique plutôt par le fait que l’Occident ne reconnaît pas “les plaintes justifiées et les préoccupations de la Russie en matière de politique de sécurité” et “accueille avec arrogance les opinions des autres et tentatives de solution“. Le fait que le chancelier allemand Olaf Scholz ait même exigé des livraisons de munitions à l’Ukraine lors de sa visite au Brésil fin janvier montre que Berlin ne fait “pas le moindre effort” pour “comprendre et respecter la position du Brésil”.

La fin d’un monde eurocentrique

 Schutte fait en outre remarquer que la double morale politique de l’Occident se heurte également au refus du « Sud global ». Le chercheur brésilien rappelle que ni la guerre contre la Yougoslavie en 1999, ni celles contre l’Irak en 2003 et contre la Libye en 2011 n’étaient conformes au droit international. En Afghanistan, “des milliards de dollars américains ont été investis” pour “ruiner le pays” et “finalement le laisser à nouveau aux talibans“. Le traitement inégal des réfugiés en provenance d’Ukraine et d’Etats non européens en dit long également. L’affirmation selon laquelle les pays de l’OTAN et leurs alliés sont “la voix de la communauté internationale qui respecte un ordre fondé sur des règles” est “tout simplement inexacte“, écrit Schutte : “L’Europe peut affirmer avec fermeté que la Russie s’isole elle-même, mais la situation est tout à fait différente dans la perspective du Sud global “. Tout cela renforce “dans le Sud global la conscience qu’il faut coopérer entre soi plus intensément ...”. Schutte en est convaincu : “Le monde eurocentrique touche à sa fin, la suprématie des États-Unis est remise en question. Cette évolution ne pourra pas être stoppée par l’augmentation des livraisons d’armes à l’Ukraine ».

Difficulté européenne à comprendre les nuances du point de vue géopolitique de Lula

Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a récemment confirmé que le monde non occidental n’était plus prêt à se soumettre à l’Occident, non seulement en défiant ostensiblement la politique de sanctions des États-Unis lors d’un voyage en Chine – en rendant visite à Huawei – mais aussi en appelant les États-Unis et l’UE à s’engager enfin dans une solution négociée dans la guerre en Ukraine. Lula a en outre explicitement fait savoir que son pays souhaitait “équilibrer la géopolitique mondiale”.

German-foreign-policy.com écit : « Quelques jours [après son voyage en Chine], Lula a reçu à Brasília le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Si, lors de sa visite en Chine, on avait déjà entendu des rapports désobligeants selon lesquels Lula, parce qu’il espérait des investissements de la part de groupes chinois, ne faisait que dire “ce que la Chine voulait entendre”, on a maintenant parfois suggéré que le Brésil ne rompait pas ses relations avec la Russie uniquement parce qu’il dépendait de ses livraisons d’engrais. Lula est en train de “perdre son bonus en Occident”, disait-on de manière menaçante. A l’inverse, on s’est félicité que Lula ait déclaré hier, lors de sa visite au Portugal : “Nous condamnons la violation territoriale de l’Ukraine et croyons en un ordre international fondé sur le droit et le respect de la souveraineté nationale“. Cela semblait confirmer les positions occidentales ».

Lula en phase avec l’opinion du monde, y compris européenne ?

En réalité, les milieux dirigeants occidentaux, même les dirigeants européens, semblent avoir du mal à comprendre les nuances du point de vue du président brésilien.

German-foreign-policy.com se réfère au sondage publié en février dernier par le European Council on Foreign Relations (ECFR) basé à Bruxelles. Reproduisons juste une planche, qui compare l’attitude des opinions publiques face à la guerre en Ukraine. L’intérêt de ce sondage réalisé en décembre 2022 et janvier 2023 est qu’il compare entre eux l’opinion des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de neuf pays de l’Union Européenne, de la Russie, de la Chine, de la Turquie et de l’Inde

Il y a bien entendu des biais dans ce sondage : il a été mené par trois instituts de sondage différents. D’autre part, le choix des neuf pays de l’Union Européenne empêche d’avoir une vue complète de l’opinion dans la zone. On voit néanmoins que le bloc anglo-saxon est le plus intransigeant ; que l’Union Européenne hésite et que le reste du monde est favorable à 40% ou plus à une solution négociée.

Les analystes de l’ECFR ont tendance à survalorisé l’opposition entre l’Occident et les autres. Nous préférons poser la question du rôle de médiateur que pourrait jouer l’Union Européenne, certes assez partagée, à première vue, entre les partisans d’un cessez-le-feu et ceux d’une guerre à outrance aux côtés de l’Ukraine, mais dont les Etats-membres ont tout à perdre dans une coupure définitive avec les pays qui seront leurs marchés naturels demain.  

Et c’est là que le Brésil – de Lula comme de Bolsonaro – est intéressant. De façon significative, les sondages auprès de l’opinion brésilienne sur la guerre sont peu nombreux. Mais ils reflètent tous la même position fondamentale : la majorité des Brésiliens critiquent l’attaque de la Russie ; mais une majorité équivalente (près de 60%) souhaite que leur pays reste neutre dans le conflit et développe des relations économiques avec la Russie. Une position en fait très compatible avec la position de l’opinion européenne (continentale).

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Edouard Husson

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