Nous saurons dimanche soir 28 mai si Erdogan est réélu président de la Turquie pour un dernier mandat. Reconnaissons, du point de vue occidental, que la surprise l’emporte : non seulement Erdogan est arrivé à quelques encablures d’une élection dès le premier tour ; mais son parti a gagné la majorité absolue aux élections législatives ; et le troisième homme, doté de 5%, appelle à voter pour lui. Le message du peuple turc exprime la grande révolte contre “l’Occident collectif”.
Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle en Turquie, le 14 mai dernier, M.K. Bhadrakumar écrivait :
« Il n’est pas surprenant que les États-Unis et l’Union européenne n’aient pas eu le courage de saluer la performance de Recep Erdogan et de son parti lors des élections présidentielles et législatives qui se sont déroulées dimanche en Turquie. Les résultats des élections ne servent pas les intérêts géopolitiques des États-Unis et de leurs alliés européens. (…)
Les puissances occidentales espéraient un gouvernement faible et instable et s’inquiètent au contraire de voir un Erdogan survolté, disposant d’une majorité écrasante au parlement, présider un gouvernement fort et ne pas se laisser marcher sur les pieds. (…)
La légitimité de la victoire d’Erdogan sur son rival de l’opposition, Kemal Kilicdaroglu, soutenu par l’Occident, est remise en question. Un rapport en temps réel des conclusions préliminaires de la mission d’observation électorale de l’OSCE est venu à point nommé, alléguant des tentatives de remaniement des résultats de l’élection. Le rapport accuse Erdogan de bénéficier d’un “avantage injustifié” et de recourir à une “utilisation abusive des ressources administratives”, et la commission électorale d’un “manque de transparence, de communication” et d’indépendance. (…)
Le département d’État américain a rapidement exhorté les autorités turques à mener “la prochaine phase de l’élection présidentielle conformément aux lois du pays et d’une manière qui soit compatible avec ses engagements envers l’OSCE ainsi qu’en tant qu’allié de l’OTAN”.
Le principal porte-parole adjoint du département d’État, Vedant Patel, a déclaré lundi que l’administration Biden “continuait à suivre de près le processus électoral en cours dans le pays”. Il a ajouté que “nous félicitons le peuple turc pour avoir exprimé pacifiquement sa volonté dans les urnes, et nous félicitons également le parlement nouvellement élu”.
M. Patel a réitéré la position américaine selon laquelle “nous continuerons à travailler avec le gouvernement choisi par le peuple turc, quel qu’il soit, afin d’approfondir notre coopération et nos priorités communes”. (…) (Il est intéressant de noter que le ministère turc des affaires étrangères a souligné qu’un total de 489 observateurs internationaux ont suivi les élections du 14 mai en Turquie et qu’il est également “reflété dans les rapports de ces délégations que les élections se sont déroulées conformément aux normes d’élections démocratiques libres et avec une participation exemplaire dans la géographie de l’OSCE et du Conseil de l’Europe”).
Erdogan est n’est pas certain de remporter le second tour. La grande question concerne le troisième candidat, Sinan Ogan, qui a obtenu 5,2 % des voix lors du premier tour de dimanche et qui se retire maintenant de la course. Où iront ses partisans au second tour ? Il ne fait aucun doute que cela affectera le “rapport de force” au second tour et fera pencher la balance de manière décisive. (…)
Il est clair que si Erdogan parvient à conserver sa base électorale, qui dépasse les 49,5 %, et à obtenir ne serait-ce qu’un quart des voix obtenues par Ogan, il sortira vainqueur du second tour. Il est fort probable qu’Erdogan l’emporte.
Le fait que l’AKP ait obtenu une majorité confortable aux élections législatives – contre toute attente – crée également une nouvelle dynamique. Le succès de l’AKP montre que les électeurs turcs recherchent un gouvernement stable à Ankara alors que l’environnement extérieur devient extrêmement dangereux pour le pays et que la crise économique exige une attention particulière. Or, le type de coalition arc-en-ciel que Kilicdaroglu dirige a été le fléau de la politique turque pendant plusieurs décennies, avant l’ère Erdogan, et une recette pour l’instabilité. De même, il faut tenir compte du fait que la vague de fond de l’opinion publique turque reste farouchement anti-occidentale ».
Sinan Ogan appelle à voter Erdogan
Depuis que Bhadrakumar a écrit cette évaluation des résultats du premier tour, le troisième homme est sorti de l’ambiguïté en surprenant tout le monde : il a annoncé qu’il apportait son soutien à Erdogan. L’élection semble donc jouée :
« Sinan Ogan, qui est arrivé en troisième position lors de l’élection présidentielle de la semaine dernière en Turquie, a apporté son soutien le président Recep Tayyip Erdogan lors du second tour de scrutin prévu dimanche prochain, 28 mai.
S’adressant aux journalistes lundi [22 mai] à Ankara, M. Ogan a déclaré : “….nous soutiendrons le président Recep Tayyip Erdogan lors du second tour (…) Nous avons mené toutes sortes de consultations avant de prendre cette dernière décision. Nous avons pris cette décision parce que nous pensons que notre décision est la bonne pour notre nation et notre peuple“.
En outre, dès le 14 mai, l’Alliance populaire d’Erdogan a remporté la majorité au parlement :
« L’Alliance du peuple, la coalition menée par Recep Tayyip Erdogan, remporte 321 sièges sur 600. Soit 23 députés de moins que lors des élections générales de 2018. Malgré ce léger recul, la majorité du président Erdogan reste solide. Son principal allié, le Parti d’action nationaliste (MHP, extrême droite), conserve une cinquantaine de sièges. »
“L’Occident collectif” a-t-il involontairement aidé Erdogan?
La question se pose de savoir dans quelle mesure les pressions des médias occidentaux pour appeler à la défaite d’Erdogan ont contribué à le faire réélire, les électeurs turcs n’aimant pas plus que d’autres qu’on leur dicte leur choix de l’extérieur. Une autre question évidente, et à laquelle il faudra bien répondre, est celle de savoir dans quelle mesure, en temps de guerre, la population turque a choisi la continuité. La Turquie n’est pas partie prenante au conflit : elle est restée dans l’ambiguïté, livrant des drones à l’Ukraine mais gardant des relations permanentes avec la Russie ; faisant appliquer strictement la Convention de Montreux, qui lui donne le contrôle des Détroits et interdit qu’ils soient franchis par une puissance belligérante ; mais obtenant de l’Ukraine et de la Russie qu’elles signent un accord sur les exportations de blés.
Il semble que cette attitude ambiguë mais prudente ait rassuré la population turque, malgré les difficultés économiques et la situation terrible créée par le tremblement de terre. Du coup, les élections turques prennent leur place dans le mouvement le plus décisif, actuellement, à l’échelle internationale : une révolte contre la prétention euro-américaine à décider pour les populations des autres continents quelle est la bonne décision politique.
Cet article est publié en partenariat avec le Courrier des Stratèges
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Plutot que “d’occident collectif”mieux vaudrait parler “de barbarie anglo-saxonne totalitaire”.