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Brennus: Près de 50% des ETI allemandes envisagent une délocalisation de leur production

Un des sujets les plus étonnants de l’évolution mondiale, c’est l’auto-destruction de l’économie allemande suite à l’alignement de Berlin sur la politique de Washington vis-à-vis de la Russie. Une enquête de la première confédération patronale allemande menée auprès des ETI montre que 16% des ETI allemandes ont déjà délocalisé tout ou partie de leur production. Et que le double, environ, envisage une délocalisation.

Cet article est publié en partenariat avec Le Courrier des Stratèges

Presque une moitié des patrons allemands d’ETI songeraient à délocaliser leurs sites de production

Le Bundesverband der deutschen Industrie (BDI), plus importante confédération patronale allemande, a publié le 6 juin 2023 un état des lieux des intentions d’investir en Allemagne dans le secteur des Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI). Pour le BDI :  

La situation reste très préoccupante en ce qui concerne la situation des investissements sur le territoire allemand. 16 % des entreprises interrogées sont déjà en train de délocaliser activement des parties de la production et des emplois à l’étranger. 30% supplémentaires y songent concrètement ».

On a donc presque une moitié des patrons du « Mittelstand » allemand qui songeraient à délocaliser !

Suit une revendication bien connue :

« Pour investir davantage, l’industrie a besoin d’une réduction sensible de la bureaucratie ainsi que de baisses d’impôts ciblées. La politique a la responsabilité d’améliorer les conditions-cadres sur le territoire allemand ».

La fin de la doctrine ordo-libérale

Fondamentalement, l’économie de la République Fédérale d’Allemagne a toujours fonctionné, depuis les années 1950, sur une claire séparation des domaines : l’Etat n’a pas à se mêler de politique industrielle. Il doit créer le cadre adéquat pour l’économie de marché et l’activité des entreprises du pays.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui un des piliers de l’économie allemande vient de s’effondrer : l’accès à une énergie bon marché. Et c’est bien ce que déplore le BDI, qui se lance dans une curieuse incantation, demandant au gouvernement allemand de changer cette situation :

« La situation des prix de l’énergie et des matières premières s’est certes quelque peu détendue par rapport à l’année dernière, mais elle reste l’un des défis les plus urgents pour près de deux tiers des entreprises interrogées. Il est urgent que le prix de l’électricité industrielle baisse de manière fiable et durable à un niveau compétitif, sinon la transformation dans l’industrie risque d’échouer. La BDI attend du gouvernement fédéral qu’il présente rapidement un concept concrètement réalisable qui garantisse durablement un approvisionnement sûr en énergie à des coûts compétitifs au niveau international ».

La crise déclenchée par la guerre d’Ukraine montre les limites de la façon traditionnelle de fonctionner entre gouvernement et entreprises en Allemagne : Depuis 70 ans, les entreprises se contentaient de réclamer du gouvernement un cadre adéquat pour le déploiement national et international de leur activité. Mais que se passe-t-il quand le gouvernement allemand n’est plus capable de garantir ce cadre ?

De fait, les engagements de politique étrangère et de défense de l’Allemagne (OTAN, Union Européenne) ont conduit Berlin à faire des chjoix géopolitiques contraires à l’intérêt du Mittelstand entrepreneurial allemand.

La fin du « modèle Schröder »

C’est un fait, le gouvernement allemand n’a pas défendu les intérêts des entreprises allemandes, qui passaient par le maintien d’une énergie bon marché. L’intérêt économique du pays et de ses entreprises auraient dû conduire l’Allemagne à prôner une médiation rapide et une négociation pour mettre fin à la guerre d’Ukraine, de manière à préserver (1) les délocalisations d’une partie de la production industrielle en Ukraine ; (2) l’accès à l’énergie peu coûteuse et au marché russe.

Les conversations que j’ai pu mener, depuis un an, avec des chefs d’entreprise, y compris des représentants des plus grandes entreprises m’ont fait comprendre clairement que le patronat allemand ne souhaitait pas changer d’attitude : le gouvernement fait son travail, nous faisons le nôtre. En pratique, que se passe-t-il si le gouvernement n’est plus en mesure de mener une politique favorable au « site industriel Allemagne » ?  J’ai rencontré, depuis un an, beaucoup de fatalisme : des représentants de « Die Wirtschaft » que la guerre d’Ukraine était un désastre pour l’économie allemande, sans que pour autant mes interlocuteurs n’envisagent de faire pression sur le gouvernement allemand pour infléchir sa politique étrangère. Et les tensions montantes entre la Chine et les Etats-Unis font empirer la situation.

En réalité, l’économie allemande reposait, jusqu’à la guerre d’Ukraine, sur un équilibre créé par Gerhard Schröder. L’ouverture, assumée, à partir de 2000, à la financiarisation de l’économie s’accompagnait d’une capacité à maintenir la production industrielle en Allemagne grâce à trois facteurs : (1) une répartition de la chaîne de production industrielle de l’Ukraine au « site industriel allemand » en passant par l’Europe centrale, pour jouer sur le coût de la main d’œuvre. (2) Une capacité à contenir les coûts salariaux en Allemagne, (3) Un accès privilégié au gaz et aux hydrocarbures russes. (4) Une capacité à dire non aux Etats-Unis quand leur politique étrangère ne coïncidait pas avec les intérêts allemands.

La réorganisation de l’appareil de production allemand entreprise à partir de 2004 a été couronnée de succès, comme le montraient entre autres les excédents commerciaux allemands.

C’est ce modèle qui est en train de s’effondrer. Déjà fragilisé par la sortie de l’énergie nucléaire et le COVID-19, il ne peut désormais plus fonctionner, c’est ce que signifient les envies de délocalisation.

Edouard Husson

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