Le 26 février dernier la République autoproclamée du Kosovo élisait son nouveau président. Selon sa constitution ce sont les membres du parlement qui ont élu le nouveau président qui est amené à prendre la suite d’Atifete Jahjaga, dont le mandat ne restera pas dans les anales de l’histoire de la région.
Photo : Visar Kryeziu / AP
Comme toute la vie politique contemporaine au Kosovo l’élection fut une véritable tragi-comédie. L’opposition nationaliste de Vetëvendosje fit interrompre le scrutin en lançant du gaz lacrymogène dans l’enceinte parlementaire comme elle le fait depuis des mois, sous les regards larmoyants de l’ambassadeur des Etats-Unis Greg Delawie et du représentant de l’UE au Kosovo Samuel Zbogar. Pendant ce temps des milliers d’Albanais manifestaient à l’extérieur lançant même des cocktails Molotov contre les forces de l’ordre rameutés en surnombre dans les rues de Priština, capitale de la République autoproclamée. Il aura fallu trois tours et quasiment 10 heures de tractations pour que le président soit finalement élu avec le quorum nécessaire et pourtant il n’y avait que deux candidats lors du dernier tour : l’actuel ministre des affaires étrangères Hashim Thaçi et un membre du même parti que Thaçi, le Parti démocratique du Kosovo, Rafet Rama. Au dernier tour Hashim Thaçi est élu avec 71 voix contre 0 pour son rival ce qui signifie que Rafet Rama n’a même pas voté pour lui même… D’ailleurs, pour l’ancien responsable économique du Bureau Civil International au Kosovo, Andrea Capussela, l’élection est invalide d’après la constitution même du Kosovo car Rama n’était pas un vrai candidat car il n’a pas fait campagne pour le poste et également parce que tous les députés doivent être présents ou excusés pour le vote ce qui ne fut pas le cas.
Quand les anti-Thaçi eurent fini leur démonstration de force à l’extérieur du parlement, quelques centaines de militants de Thaçi paradèrent dans les rues de Priština avec des drapeaux américains, albanais et occasionnellement kosovars en tirant leurs révolvers en l’air et en scandant UCK, le nom de l’organisation terroriste dont Thaçi était le chef pendant la révolte contre le régime yougoslave.
A la lecture de ce résumé on pourrait se croire plus facilement dans un film loufoque et délirant du réalisateur Emir Kusturcia que dans la nouvelle « démocratie » kosovarde mise en place suite aux bombardements illégaux de l’OTAN en 1999. Malgré les milliards de dollars d’aide de Washington et de l’Union européenne pour essayer de créer un Etat moderne ex nihilo sans justification historique et au détriment du droit international la réalité est que la construction du Kosovo est un échec. Soutenir Hashim Thaçi à la « présidence » du Kosovo est la preuve que les Atlantistes n’ont jamais voulu la paix aux Balkans et qu’ils ne le prévoient pas à court terme non plus.
Qui est donc Hashim Thaçi, le nouvel homme fort du Kosovo ? Né en 1968 à Srbica au Kosovo en Yougoslavie, Thaçi est ethniquement Albanais. A la fin de sa scolarité il poursuit des études de philosophie et d’histoire à l’université de Priština et rejoint les rangs des nationalistes albanais qui réclament l’indépendance du Kosovo. Après une condamnation par un tribunal yougoslave à 22 ans de prison pour une attaque terroriste contre une patrouille de police, Thaçi s’enfuit en Suisse quelques années où il obtient le statut de réfugié politique. En Suisse il milite auprès de la diaspora et il suit les cours du professeur Albert Stahel à l’Université de Zurich sur la guerre des moudjahidins en Afghanistan de 1979 à 1989. Thaçi n’est pas un moudjahidin ou un islamiste mais il étudie leurs techniques de guérilla pour préparer son retour en Yougoslavie. Il profite de ce moment pour organiser le combat armé avec d’autres réfugiés en Suisse comme Bardhyl Mahmuti, Xhavit Haliti, Ramush Haradinaj, Ali Ahmeti, Kadri Veseli ou Jashar Salihu. Bien que réfugié politique Thaçi retourne souvent au Kosovo en passant par l’Albanie où le régime de Tirana soutient le mouvement terroriste en le finançant et en l’armant. En 1998 Thaçi retourne définitivement au Kosovo pour s’engager pleinement dans la lutte armée dans l’UCK[1], groupuscule que même l’envoyé spécial de Bill Clinton dans les Balkans, Robert Gelbard, qualifiera de terroriste.
Thaçi est doué et violent, son nom de guerre est « Gjarpri » ce qui en albanais signifie le serpent. A la surprise de beaucoup d’observateurs c’est cet homme qui va être choisi par les Etats-Unis et l’Europe pour négocier au nom des Albanais avec les Serbes lors des négociations début 1999 à Rambouillet en France. Madeleine Albright, la secrétaire d’Etat américaine donna un signal clair et net à Belgrade en choisissant le terroriste Thaçi contre le plus modéré Ibrahim Rugova qui était le représentant naturel des Albanais du Kosovo avec lequel le président yougoslave, Slobodan Milošević, s’était déjà entretenu et qui n’avait pas la vision extrémiste et violente de Thaçi. Washington et Bruxelles, en choisissant Thaçi, l’homme que les tribunaux serbes avaient condamné pour terrorisme, savaient que la paix était impossible avec Belgrade. Ce qu’ils voulaient c’était poursuivre la guerre contre les Serbes. Le prix Nobel de la paix et ancien Secrétaire d’Etat américain Henri Kissinger dira à propos de ces négociations : «Le texte de Rambouillet (…) était un prétexte, une excuse pour commencer à bombarder. » L’attaché militaire britannique à Belgrade, John Crosland, dira en tant que témoin au Tribunal pénal International pour l’ex-Yougoslavie que le président américain Bill Clinton, son envoyé spécial Richard Holbrooke et sa secrétaire d’Etat Madeleine Albright voulaient changer le régime en Serbie et qu’ils avaient décidé d’utiliser l’UCK, entre autres, pour y arriver.
Thaçi devient donc l’homme lige de l’OTAN et se déclare premier ministre par intérim du Kosovo une fois que l’OTAN aura commencé ses bombardements illégaux en mars 1999. Sulfureux, il ne sera pas mis en avant au départ par les Atlantistes mais continuera à être leur protégé. En 2003 Thaçi est arrêté à l’aéroport de Budapest sur la base d’un mandat d’arrêt international lancé par Belgrade mais sera libéré suite à une intervention du chef de la Mission des Nations Unies au Kosovo, l’Allemand Michael Steiner. Comme de très nombreux chefs de l’UCK, Thaçi sera arrêté mais jamais condamné. En 2007 l’ancien étudiant suisse remonte sur le devant de la scène politique et devient premier ministre du Kosovo en 2008, c’est lui qui fera la déclaration illégale d’indépendance du Kosovo le 17 février de la même année. En 2014, le PDK de Thaçi remporte les élections mais les députés n’arrivent pas à former un gouvernement. Après 7 mois de négociations entre les ex-mafieux-terroristes de l’UCK devenus politiciens, c’est à l’ambassade des Etats-Unis à Priština que le problème va se régler. Thaçi et son concurrent Isa Mustafa, qui s’écharpent en public, vont faire une alliance : Mustafa devient premier ministre et Thaçi rejoint la nouvelle coalition gouvernementale de son opposant politique en devenant le ministre des affaires étrangères, vice premier-ministre du Kosovo. Un an plus tard, les députés élisent Thaçi « président du Kosovo ». L’ex-guerilllero bénéficie dorénavant du prestige et de l’immunité de la fonction et d’aucuns assurent que c’est cela que Thaçi recherche réellement car, même s’il est condamné par un tribunal, le « président » du Kosovo ne peut perdre son immunité que si les deux tiers des députés le démettent de ses fonctions ce qui n’a quasiment aucune chance d’arriver.
Car Thaçi est accusé d’avoir du sang sur les mains. Beaucoup de sang sur les mains. D’après le rapport de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe rédigé en 2010 par le rapporteur suisse Dick Marty sur le « Traitement inhumain de personnes et trafic illicites d’organes humains au Kosovo », Hashim Thaçi est le « partenaire local » préféré des US et de l’occident. Dans ce rapport de 29 pages Thaçi y est cité 24 fois en termes graves où il est tour à tour accusé d’être un des principaux trafiquants de drogue, un commanditaire d’assassinats et tout simplement « le plus dangereux des parrains de la pègre de l’UCK ». Marty dit clairement que l’UCK est une organisation criminelle responsable entre autres du trafic d’organes. Un autre rapport du BND (service du renseignement extérieur allemand ) évoque les relations de Thaçi avec le crime organisé depuis la fin de la guerre et notamment sa responsabilité dans des assassinats politiques. Même un document de l’OTAN, fuité dans le quotidien britannique The Guardian en 2011, révèle que des membres haut placés de l’OTAN savent que Thaçi est un «des plus gros poisson » du crime organisé au Kosovo. Le document de l’OTAN, estampillé « USA KFOR », confirme que les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux connaissent depuis fort longtemps les activités criminelles et les relations mafieuses de l’ancien chef de l’UCK et désormais « président » du Kosovo.
Hashim Thaçi compte en France quelques amis parmi lesquels Bernard Kouchner qui a été le Représentant spécial du secrétariat général de l’ONU au Kosovo ainsi qu’Arnaud Danjean l’eurodéputé Les Républicains, Vice-président de la délégation pour les relations avec l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Danjean et Thaçi se sont bien connus à l’époque où Danjean était au département Balkans de la DGSE et où la France apportait de l’aide militaire et financière à l’UCK. Pour la déclaration d’indépendance du Kosovo en 2008 (9 ans après la guerre), Thaçi invitera personnellement Danjean aux célébrations.
Thaçi est sans aucun doute l’homme de Washington et de Bruxelles. C’est lui le « plus dangereux des parrains de la pègre de l’UCK » que l’occident a choisi pour représenter les Albanais du Kosovo et qui deviendra chef de la rébellion armée, premier minsitre, minsitre des affaires étrangères et maintenant président de la république autoproclamée du Kosovo. Il est le gardien de la doxa atlantiste dans ce pays inventé par les stratèges neo-conservateurs américains que l’ONU, la Russie, l’Inde, le Mexique ou le Vatican ne reconnaissent absolument pas aujourd’hui. Le pacte avec Thaçi est le suivant : l’occident ferme les yeux sur la purification ethnique des Serbes et les trafics de Thaçi et, en contrepartie, Thaçi s’assure que l’agenda atlantiste est bien mis en place au Kosovo. C’est la seule interprétation possible car comment Thaçi pourra-t-il changer demain ce que ni lui ni ses alliés n’ont pu ni voulu réaliser depuis que l’OTAN leur a inventé un Etat sur mesure il y a 17 ans ? La situation au Kosovo est catastrophique pour tous les peuples qui y habitent. En effet depuis 1999 plus de 200 000 Serbes et Roms ont fui le Kosovo, leurs biens ont été confisqués par les Albanais et ne leur sont restitués qu’après de très longs parcours juridiques que peu osent initier. Plus de 1 000 Serbes, Roms et autre minorités ont été assassinés et 1 500 autres sont toujours portés disparus. Alors que 150 églises serbes ont été détruites, 400 mosquées ont été construites sur ce petit territoire de 11 000 km2. Ces mosquées sont financées essentiellement par de l’argent wahhabite et, du reste, le Kosovo représente avec l’Albanie et la Bosnie Herzégovine les régions d’Europe qui fournissent le plus de jihadistes par tête d’habitant aux rangs de l’Etat islamique. Les Serbes qui survivent au Kosovo sont cantonnés dans des enclaves où ils subissent encore des attaques comme récemment à Kline, à Djakovica, Pasijane ou Prizren.
La situation est catastrophique même pour les Albanais qui ne vivent pas des réseaux politico-mafieux du Kosovo. En 2015 plus de 100 000 Albanais ont fui le Kosovo. D’après Eurostat le Kosovo est la 3è provenance la plus importante de l’immigration illégale en Europe en 2015 juste après la Syrie et l’Afghanistan. Au Kosovo aujourd’hui, d’après The World Factbook de la CIA, un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et 35% de la population est au chômage dans cette région où l’âge médian de la population est de 28 ans et où, d’après l’UNDP, le taux de chômage des moins des 15-24 ans est de 60,2% ! Au Kosovo ceux qui ont la chance de travailler gagnent 360€ par mois. Malgré les milliards d’euros versés pour la création du Kosovo albanais, la région est devenue une des plus pauvres d’Europe et explique le mécontentement naturel des Serbes mais également des autres minorités et même des Albanais qui dénoncent chaque jour plus le simulacre de démocratie mis en place par les Atlantistes et les agissement mafieux de leur classe politique. De nombreux Albanais dénoncent la république bananière qu’est le Kosovo. Pour le journaliste albanais, premier éditeur du quotidien le plus important en langue albanaise du Kosovo Koha Ditore et ancien conseiller de Hashim Thaçi, Dukagjin Gorani : « Le Kosovo est un pays à la dérive contrôlé par des mains prédatrices ». Pour le politologue Belgzim Kamberi : «Les Albanais du Kosovo étaient réputés le peuple le plus optimiste d’Europe. Après la guerre, les réfugiés voulaient à tout prix rentrer chez eux, même si le pays était dévasté. Aujourd’hui, un seul rêve hante leurs enfants, partir ».
A part Thaçi, ses amis politiques et les chancelleries atlantistes plus personne ne croit au Kosovo. Le Kosovo est devenue une grosse plaque tournante du crime organisé où des multinationales occidentales s’enrichissent à reconstruire une région que leurs pays ont eux-mêmes détruits. Un tribunal pénal pour les crimes albanais doit voir le jour prochainement suite au rapport de Dick Marty pour juger les crimes commis par les Albanais contre les Serbes et les minorités. Hashim Thaçi se croit peut-être maintenant à l’abri et il est possible qu’il le soit car si le « plus dangereux des parrains de la pègre de l’UCK » est condamné alors il est probable qu’il fasse tomber avec lui tous ses amis qu’ils soient Albanais, Américains ou Européens et ça, ça signifierait la chute définitive…de l’Etat autoproclamé du Kosovo.
Nikola Mirkovic
[1] Ushtria Çlirimtare e Kosovës ou Armée de Libération du Kosovo
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