Viallet/Kabuya : dialogue sur le patriotisme économique et le nouveau code minier congolais.
« Les dialogues de Loup Viallet (France, auteur de « Questions africaines » et Patrick Kabuya (RDC, Président des Jeunes de Mont-Ngafula) »
Loup Viallet : Vendredi 9 mars dernier, le président de la République du Congo Joseph Kabila a promulgué un nouveau code minier, qui relève les taxes sur l’exploitation des minerais « stratégiques ». Ainsi la redevance gouvernementale sur le cobalt, dont la RDC assure 60% de la production mondiale, a été multipliée par cinq. Une décision de patriotisme économique qui devrait relever quelque peu le minuscule budget de l’Etat (environ 5 milliards de dollars pour environ 79 millions d’habitants). Ces nouvelles ressources fiscales seront-elles affectées à la modernisation de l’appareil d’Etat congolais ? Quels chantiers seront ouverts en RDC avec ce financement ?
Patrick Kabuya : Il y a présentement environs 76 projets primordiaux pour lesquels la RDC est en quête de financement. Ces sont plus de 76 chantiers vitaux qui sont évoqués sur le site officiel de l’Agence Nationale pour la Promotion des Investissements et ce sont tous des opportunités d’investissements vers lesquels une part des taxes sur l’exploitation des minerais « stratégiques » pourrait être affectée au profit de la modernisation de l’appareil de l’état. Il s’agit, entre autres, pour n’en citer que quelques-uns :
- Le Parc agro-industriel de Kinzau – Bas-Congo ;
- Le Parc agro-industriel de Businga à l’Equateur (65.000 ha) ;
- Le Parc agro-industriel de Lowa au Nord-Kivu (187.000)Â ;
- Le Projet d’acquisition des machines-outils et équipements d’ateliers pour les ateliers centraux et le réseau SNCC ;
- Le Projet d’électrification des territoires de Beni et Boende ;
- Le Transport Fluvial Inter Urbain Kinshasa-Maluku (3 bateaux + 2 ferry)Â ;
- Le Projet d’asphaltage de la voie d’accès du parc de Virunga à partir de Goma et autres sites touristiques (63km) ;
- Le projet de création des sociétés de transport ferroviaire touristique reliant trois Provinces du Centre et deux Provinces de l’Ouest : – Katanga/Kasaï Oriental ; -Kasaï Occidental ; Kinshasa/Bas-Congo…
Loup Viallet : La République Démocratique du Congo a fréquemment été qualifiée de « scandale géologique » tant ses territoires sont dotés en ressources naturelles (métaux, minerais), dont les constructeurs de téléphones et d’automobiles de nouvelle génération sont de plus en plus en dépendants. Le cobalt, par exemple, dont la RDC assure 60% de la production mondiale, est nécessaire pour faire fonctionner des batteries de véhicules électriques. Il en faudrait plus de 10kg en moyenne pour une voiture Tesla. Compte-tenu que la moitié des véhicules de la planète sera électrique ou hybride d’ici 2030 (selon le Boston Consulting Group), la RDC dispose d’un avantage comparatif incontournable pour tirer son épingle du jeu des mutations industrielles et technologiques en cours. Sous réserve qu’aucune substitution ne soit trouvée pour les applications industrielles du cobalt, pourriez-vous nous expliquer comment la RDC entend utiliser cet avantage comparatif dans la décennie qui vient ?
Patrick Kabuya : Rappelons que c’est en date du 05 février 2018 et en marge de la Conférence Mining Indaba que le ministre des mines congolais faisait valoir à Jeune Afrique que la République n’avait pas besoin de Glencore et autres miniers si ces derniers ne veulent pas du nouveau code minier. A son tour, la société Générale de carrières et des mines (Gécamines) avait par la même occasion annoncé que son plan stratégique de redressement entrevoyait un changement de tous ses partenariats miniers en cours en RDC et Albert Yuma, président de la Fédération des Entreprises du Congo et du conseil d’administration de la Gécamines n’a pas hésité à évoquer très clairement l’option de nouer des accords commerciaux directement avec les constructeurs automobiles et les fabricants de batteries dans le but de court-circuiter des négociants actuels tels que Glencore et autres (les 7 miniers).
C’est cette perspective qui réexamine les contrats miniers en cours avec la volonté affichée de nouer des accords commerciaux avec les constructeurs automobiles qui pourrait permettre à notre République de tirer profit de son privilège sur le marché mondial du cobalt et de bénéficier des mutations industrielles et technologiques en cours. L’opportunité est là , et le pays doit la saisir puisque étant en position de force inédite et détenant les deux tiers des réserves mondiales avec à lui seul, un impact certain sur environ la moitié du marché international !
Photo : Samir Tounsi / AFP
Loup Viallet: Le patriotisme économique dont fait preuve le gouvernement de la RDC à l’égard de ses minerais stratégiques est-il une attitude isolée en Afrique ? Quel est le niveau des redevances sur l’exploitation des minerais tels que le cobalt, le coltan, le cuivre, dans des pays tels que la Zambie, le Ghana, la Tanzanie ? Doit-on s’attendre, dans les années à venir, à une régulation commune des matières premières première de cette nature entre pays africains ?
Patrick Kabuya : Nous ne pouvons pas brûler les étapes, pour l’heure, la seule chose que nous pouvons affirmer est qu’il y a un cas sans précédent qui se déroule en RDC ; tous les grands producteurs de matières premières sur le continent comme dans le reste du monde observent très attentivement ce qui se passe chez-nous.
Loup Viallet : Aujourd’hui 80% de la production congolaise de cobalt est raffinée en Chine. Le gouvernement congolais vise-t-il à relocaliser au Congo des unités de raffinage et de transformation du cobalt ? La RDC exportera-t-elle un jour des produits finis à destination de des firmes ou des consommateurs étrangers ?
Patrick Kabuya : Le chapitre 5 du nouveau code minier, portant sur l’industrialisation du secteur minier stipule très clairement qu’il est de l’obligation des miniers de traiter ou faire traiter les substances minérales en produits marchands dans leurs propres installations ou auprès des entités de traitement agréées établies sur le territoire national.
Il y est aussi précisé que ces derniers (les miniers) sont tenus de présenter à la Direction des mines, leurs plans d’industrialisations contenant leurs programmes de traitement des produits miniers extraits de leurs périmètres, dans leurs propres installations ou auprès des entités de traitement agréées établies sur le territoire national de la République Démocratique du Congo.
Toutefois, ce même chapitre 5 autorise aux titulaires de droit miniers d’exploitations à faire traiter leurs produits miniers à l’extérieur du territoire national mais seulement pour une durée d’une année moyennant :
- Leur acceptation que les statistiques du métal produit à l’issue du traitement à l’étranger soient comptabilisées en exportation pour le compte de la République Démocratique du Congo ;
- Leur acceptation d’être assujettis aux droits et taxes dus au Trésor public en rapport avec le traitement exceptionnel des substances minérales brutes à l’étranger.
Voilà donc ce que la loi prévoit, reste à s’assurer de sa mise en application intégrale car la RDC doit absolument commencer à tirer réellement profit de son potentiel minier.
Photo : Phil Moor /AFP
Loup Viallet : Le dernier code minier congolais a été promulgué en 2002. En ce début de millénaire, la ruée vers le cobalt n’avait pas encore commencé, cependant la demande mondiale de cuivre, dont la RDC est le premier producteur africain, connaissait au même moment, une progression de 30% sur dix ans. Pourquoi les dirigeants de RDC n’ont-ils pas jugé opportun de protéger l’exploitation du cuivre comme aujourd’hui ils protègent l’exploitation du cobalt ? Quelles étaient les limites du précédent code minier ? Dans quelles conditions avait-il été conçu et adopté ?
Patrick Kabuya : La législation minière promulguée en 2002, donc à l’époque du cuivre, avait pour priorité d’attirer plus d’investisseurs et de faciliter la relance du secteur, vu que la République sortait, à l’époque, d’une longue période de guerre et était en position de faiblesse évidente.
Dans les faits, son application fut à la base de l’augmentation considérable du nombre des sociétés minières, et facilita ainsi l’accroissement de la production minière en RDC mais en dépit de tout ceci, cet ancien code minier qui été censé rapporter à l’Etat des recettes importantes pour son développement, n’a pas su rencontrer les attentes de l’Etat congolais.
C’est surtout cela qui motiva ce réexamen du texte promulgué en 2002 et « la protection de l’exploitation du cobalt » tel que vous le dite car la République devait se doter d’un texte capable d’équilibrer le régime fiscal, douanier et de change, de repréciser les éléments relatifs à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises minières, d’accroître le niveau de contrôle de la gestion du domaine minier de l’Etat, des titres miniers et des carrières.
Il n’y a pas meilleur contexte qu’aujourd’hui pour le faire, étant donné que les solutions vertes/écologiques proposées par les industries des véhicules électriques et de production de smartphones auront du mal à se passer du cobalt congolais (2/3 de la production mondiale), ce qui inévitablement place la RDC en position de force vis-à -vis des opérateurs miniers.
Loup Viallet : A quelles réactions s’attendre de la part des multinationales concernées par ce nouveau code minier ? Glencore, géant qui pèse 100 milliards de dollars, se laissera-t-il faire ? Doit-on s’attendre à des troubles politiques d’ici à l’organisation de la future élection présidentielle, dont le calendrier a été fixé à décembre prochain ? Les multinationales peuvent-elles soutenir un candidat favorable à une réécriture du code minier, plus favorable à leurs intérêts ?
Patrick Kabuya : On ne peut prédire cela avec exactitude et tout reste possible en politique mais la chose la plus certaine qui soit est qu’il y’a beaucoup d’autres miniers qui ne demandent qu’à prendre la place de Glencore et autres en RDC…
Loup Viallet : Doit-on comprendre, au moment où l’Union Africaine et 44 pays africains choisissent d’éliminer 90% des barrières douanières entre leurs marchés, que les matières premières stratégiques, comme les minerais rares, ne feront pas partie du marché unique africain ?
Patrick Kabuya : S’ouvrir au libre-échange ne signifie pas qu’il faut tout faire pour ne pas bénéficier des richesses de son sous-sol…
Loup Viallet : Comment aimeriez-vous travailler avec des équipementiers, constructeurs automobiles ou entrepreneurs français dans les nouvelles technologies, dont les activités supposent des approvisionnements en minerais rares, présents en RDC ?
Patrick Kabuya : Au dernier Mining Indaba, les propos de M Albert Yuma, président de la Fédération des Entreprises du Congo et du conseil d’administration de la Gécamines, furent assez clairs à ce sujet lorsqu’il affirma que le pays, à travers la Gécamines, était prêt à nouer des accords commerciaux directement avec les constructeurs automobiles et des fabricants de batteries. Nous créons ici une ouverture pour les constructeurs automobiles et fabricants français. A mon sens, ces derniers devraient envisager d’établir des contacts directs avec la Gécamines. Il y a beaucoup de travail à faire ici.
Loup Viallet : Pensez-vous que le patriotisme économique, qui fait la marque de fabrique du nouveau code minier congolais, séduira les foules congolaises et constituera un argument fort en faveur de la réélection de Joseph Kabila en décembre prochain ?
Patrick Kabuya : Il n’y a pas de calcul politique ou électoral à la base de la révision et de la promulgation du nouveau code minier. Beaucoup l’ignorent peut-être, mais cela fait déjà environ dix ans qu’un nombre innombrable de membres de la société civile congolaise militait pour la révision de la loi qui réglemente le secteur minier en RDC et tout cela sans l’appui de la classe politique congolaise. Cette même société civile a toujours voulu mettre fin à la clause de stabilité de dix ans qui protégeait les opérateurs miniers contre le changement du régime fiscal et douanier ; aucun leader politique ne s’était jamais joint à leurs efforts.
Nous avons multiplié les ateliers et campagnes pour l’obtention d’un nouveau code minier plus contraignant, transparent et profitable à l’Etat, aux investisseurs et aux communautés locales. C’est cette volonté-là du peuple qui est aujourd’hui reprise dans ce nouveau code minier. Il ne s’agit donc pas d’un agenda politique quelconque visant à séduire les foules congolaises mais plutôt du résultat d’un combat mené par des simples citoyens. Le fruit d’un combat d’une décennie.
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