Introduction. Nouveaux enjeux d’un clivage récurrent depuis les indépendances africaines.
Faut-il garder le franc CFA ou en sortir ? Cette question est à l’origine d’un clivage qui dure en Afrique francophone depuis les indépendances nationales. Cause d’un contentieux politique parmi les Etats et gouvernements africains comme entre certains d’entre eux et le gouvernement français, cette question semble n’avoir jamais été aussi brûlante qu’au cours de la décennie que nous traversons. Le franc CFA fait à présent débat au-delà du continent africain et déborde largement des cercles traditionnels du pouvoir pour nourrir un débat public franco-africain. Symbole à la fois d’un ordre économique (hier, le capitalisme français, aujourd’hui celui des marchés de la zone euro) et d’un pouvoir politique (dont la gestion est en partie transférée, via des accords de coopération monétaire, au gouvernement français et les orientations sont déléguées de facto à la Banque centrale européenne), le franc CFA est devenu l’étendard d’un nombre incalculable de luttes politiques, et réunit contre lui des voix très différentes. L’existence du CFA induit le maintien de relations étroites avec la France à travers un rattachement à l’euro-zone et au marché unique européen, aussi derrière les critiques portant sur les modalités de son fonctionnement ou sur sa légitimité, on lit des prises de distance, plus ou moins radicales, avec l’ancienne métropole et avec le système d’échanges marchands qu’elle entretient et relaye par la coopération monétaire.
Pour répondre à la question « qui veut sortir du franc CFA et pourquoi ? » nous nous intéresserons d’abord au fonctionnement et au rôle tenu par cette monnaie en Afrique, avant de caractériser son opposition parmi les dirigeants africains. Enfin, nous mettrons à jour l’émergence d’une nouvelle forme de contestation de cette monnaie sur les deux continents, celle d’une opinion publique qui se nourrit des impasses de la décolonisation.
Photo : ISSOUF SANOGO / AFP
I. Le franc CFA : un « euro tropical » qui importe les règles de Maastricht en Afrique.
Des politiques budgétaires contre-indiquées pour sortir les Etats africains du sous-développement.
Dès leur création, les deux franc CFA furent liés au franc via des accords de coopération monétaire avec le Trésor français, ils le sont désormais avec l’euro et se doivent de respecter les règles de son union monétaire depuis 1999. D’un point de vue africain, l’arrimage du Franc CFA à l’€, monnaie de puissances européennes industrialisées qui ont un rôle majeur dans la conduite de la mondialisation, n’est pas sans créer de violents paradoxes pour des Etats et des économies sous-développées ou en voie de développement. Sans doute l’un des plus aggravants d’entre eux est-il le partage arbitraire d’une discipline budgétaire, c’est-à-dire de règles communes à des économies qui ne connaissent pas le même niveau de développement, et à des Etats ne partageant pas le même niveau de ressources et de charges pour fonctionner correctement. A cet égard, les pays-membres du FCFA sont tenus de respecter un déficit public inférieur à 3% du PIB, comme en Allemagne ou en France, sans quoi ils encourent des sanctions.
La stabilité monétaire a un prix : celui de l’atrophie des Etats africains.
Le plafonnement arbitraire des dépenses publiques des membres du FCFA a pour effet de brider le financement des politiques publiques d’Etats encore peu solides, où les ressources fiscales sont faibles, réduisant, en même temps que le périmètre de leur puissance publique et leurs capacités d’intervention, leur importance politique, économique et sociale. Pour donner un exemple, le budget de l’Etat ivoirien pour 2018, qui est l’un des plus élevés d’Afrique francophone, est de 10,2 milliards d’€ pour une population de 23,7 millions d’habitants, où trois personnes sur quatre ont moins de 35 ans, pour un taux de pauvreté de 46,3% (2015, Institut Nationale de la Statistique). Il correspond à 1/10e du déficit de l’Etat français pour 2017. Contraints de faire financer plus ou moins exclusivement leurs politiques publiques économiques et sociales par de l’aide publique au développement donnée ou prêtée par des bailleurs de fonds internationaux, il semble impossible pour les pays-membres du FCFA de bâtir des administrations modernes et de mettre leur puissance au service de leur économie et du bien-être de leurs populations, selon le modèle de l’Etat-stratège ou de l’Etat-providence. Cela est en partie la conséquence d’une discipline budgétaire pensée pour limiter les dépenses d’Etats très développés comme l’Allemagne (328,7 Md € de dépenses publiques en 2017) ou la France (381,7 Md € de dépenses publiques en 2017), bien que la pertinence de cette règle fasse l’objet de nombreuses critiques et discussions parmi les Etats signataires du traité de Maastricht.
Un outil essentiel de l’intégration africaine au libre-échange européen.
Indexé à l’euro, le franc CFA est une monnaie souvent considérée comme surévaluée pour les productions africaines, qui facilite l’achat de produits importés notamment dans l’eurozone, et alourdit, pèse à la baisse sur les exportations africaines. Mais le plus gros handicap des membres du FCFA est la libre-transférabilité des capitaux vers la zone euro, qui constitue un des quatre principes fondamentaux de la coopération monétaire avec la France. Il en résulte un rapatriement massif dans les banques européennes des bénéfices engrangés en Afrique, qui n’y sont pas investis.
Le paradoxe du franc CFA : monnaie la plus critiquée d’Afrique, elle est aussi la plus ancienne et la plus stable du continent.
La plupart des territoires et des Etats de la zone franc sont d’anciennes colonies de l’empire français qui ont majoritairement pris leur indépendance nationale dans les années 1960. Quant aux autres, ils ont choisi de devenir des collectivités de la République française. En Afrique, certaines anciennes colonies ou anciens protectorats français ont choisi de ne pas conclure d’accords de coopération monétaire avec leur ancienne métropole : c’est le cas de la Guinée-Conakry, qui a créé le franc guinéen dans la foulée de son indépendance en 1958, du Maroc en 1959, de l’Algérie en 1963. C’est aussi le cas du Mali, qui a expérimenté pendant 22 ans une monnaie nationale avant de ré-adhérer au FCFA en 1984 après avoir vu son économie s’effondrer. D’autres Etats, comme la République islamique de Mauritanie ou la République de Madagascar ont fait partie de la zone franc avant de lancer leur propre monnaie, en 1972 et en 1973. Enfin le franc CFA s’est révélé particulièrement attractif auprès de deux Etats qui n’ont jamais été colonisés par la France : la Guinée équatoriale a rejoint la zone franc d’Afrique centrale en 1985 et la Guinée-Bissau a adopté le CFA d’Afrique de l’Ouest en 1997. On peut d’ores et déjà relever que le franc Pacifique ne fait pas l’objet de remises en cause ou de réfutations telles qu’on peut en entendre à propos du franc CFA, et ceux qui le détiennent semblent actuellement moins portés à créer une monnaie nationale qu’à adopter l’euro. De même, on remarquera que certains gouvernements comme ceux de la Guinée-Bissau, de la Centrafrique et de la Guinée équatoriale ne s’inscrivent pas dans cette querelle et ne participent à aucune surenchère à son sujet et il semble aussi que leurs diasporas ne se soient pas manifestées dans cette critique à l’étranger.
II. Nouvelles discordes autour d’une monnaie dont la pertinence divise depuis sa création.
Ce rapport conflictuel au franc CFA est fortement ancré dans les imaginaires politiques en Afrique francophone. Mais les héros de l’indépendance, les pères-fondateurs – et leurs successeurs – n’ont pas tous combattu cette monnaie, loin s’en faut. Les socialistes Ahmed Sékou Touré en Guinée-Conakry ou Modibo Keita au Mali ont saisi la question de la souveraineté monétaire comme un cheval de bataille, pour donner un plus grand écho à leur opposition au capitalisme français et au pouvoir de la République française à l’aube des indépendances nationales. Le franc malien a existé 22 ans ; seul le franc guinéen est encore soutenu par la Guinée, contre vents et marées. Plus près de nous, le Burkinabè Thomas Sankara ou l’Ivoirien Laurent Gbagbo ont vivement critiqué le franc CFA comme « instrument de domination » ou « monnaie néocoloniale » pendant leur présidence mais n’en sont pas sortis et n’ont pas participé à le réformer. Enfin des présidents dont le règne a duré près de 40 ans comme Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire ou Léopold Sédar Senghor au Sénégal ne semblent pas avoir émis publiquement de critiques, ni s’être jamais opposés à cette monnaie créée quinze ans avant les indépendances, et dont le maintien induit la poursuite de relations étroites avec l’ancienne métropole coloniale.
Le franc CFA et les nouveaux désaccords africains : le camp de l’opposition est au Sahel.
Aujourd’hui, sur 14 Etats africains membres du CFA, seuls les quatre dirigeants sahéliens du Burkina, du Mali, du Niger et du Tchad ont manifesté leur opposition officielle à cette monnaie, sans toutefois chercher à en sortir unilatéralement. De tous les Etats-membres du FCFA, seuls ceux qui ont un passé colonial avec la France ont des gouvernants qui contribuent au débat sur la coopération monétaire, quand certains dirigeants ne participent ni d’un camp ni d’un autre, comme ceux de la Centrafrique, de la Guinée équatoriale ou de la Guinée-Bissau. Les Etats les plus puissants et les plus stables des deux zones CFA, Côte d’Ivoire, Sénégal, Cameroun, Bénin revendiquent leur maintien dans la coopération monétaire franco-africaine. Ils sont suivis de près par les dirigeants du Congo, du Gabon ou du Togo, dont les soutiens sont plus nuancés, mais qui restent fidèles au système monétaire actuel. Enfin se détache le camp des opposants officiel au franc CFA, composé des quatre dirigeants sahéliens, qui sont à la tête des Etats les plus vulnérables des deux zones monétaires africaines. Reste à savoir si ces derniers ont les moyens de leurs ambitions, considérant que le retrait unilatéral est permis par les traités de coopération, et qu’ils ne l’ont pas déclenché jusqu’à présent.
Sortir du franc CFA : menace crédible ou coup de pression diplomatique et bluff électoraliste pour les Etats du Sahel ?
Il semble que les virulentes critiques émises par les dirigeants burkinabè, malien, nigérien et tchadien sur le franc CFA comme « monnaie coloniale » ou « instrument de domination économique » ne portent pas tant sur les fonctions de cette monnaie, qui garantit des importations encore nécessaires pour leur survie, que sur ce que cette devise représente au Sahel. Alors que l’influence économique française est de plus en plus relative sur le continent, le franc CFA demeure un symbole de puissance économique de la France en Afrique et, depuis son enchâssement dans l’euro, il est aussi devenu un symbole de la mondialisation des économies sahéliennes. Avec cette monnaie, on achète des produits français, européens, chinois, indiens, états-uniens ; pas des produits locaux, excepté ceux de l’agriculture vivrière, en quantités insuffisantes. Les indépendances politiques n’ont pas été suivies par un demi-siècle de prospérité, et cette devise, créée sous la colonisation est toujours garantie par l’ancienne métropole, dont la présence au Sahel est à la fois nécessaire et exaspérante. On dénombre 14.000 ressortissants Français dans leurs capitales, soit trois fois plus que le nombre de Chinois y travaillant. Les activités françaises au Sahel ont un rôle stratégique pour la France mais pas moins que les activités chinoises dans la région ; aussi le monopole d’Areva sur les mines d’uranium du Niger a été brisé avec l’arrivée du groupe chinois Sino-Uranium, qui exploite une partie de ces hydrocarbures pour garantir une partie des approvisionnements énergétiques de la République populaire.
Où la critique du symbole de la puissance économique française en Afrique aveugle les Africains quant au renforcement de la domination chinoise sur le continent.
A focaliser uniquement leurs critiques sur l’ancienne métropole coloniale, les détracteurs du franc CFA en viennent à confondre son influence, de plus en plus relative, avec celle des « nouveaux maîtres de l’Afrique », les Chinois, dont le poids économique est exponentiel sur le continent. Cependant il apparaît que la présence chinoise au Sahel, qui porte un modèle analogue de relations macroéconomiques avec les Etats de la sous-région (exploitation et achat des matières premières, vente de produits transformés en Chine) est plus discrète que celle des Français, et accompagnée de davantage de dons directs, quand le gouvernement français privilégie les prêts, qui occasionnent des dettes. Les Chinois sont présents comme investisseurs dans des projets d’infrastructures de transport, d’habitat, comme commerçants et hôteliers, membres d’instituts culturels. Leur influence croissante est éclipsée par un autre symbole du pouvoir français omniprésent dans la région : l’armée française. Après Serval, lancée en 2013 au Mali, l’opération Barkhane maintient 4000 soldats répartis dans 7 bases sahéliennes depuis 2014, qui protègent les populations et les activités économiques de toutes les nationalités. Mais l’intensification de la présence française au Sahel ne s’est pas accompagnée d’un redressement de l’activité économique dans ces Etats et face à une Chine principalement intéressée par les affaires commerciales et la construction d’infrastructures, la France apparaît, avec son récent redéploiement militaire, comme une puissance aux abois, accrochée à son ‘‘pré carré’’.
L’opposition sahélienne au franc CFA : plus bravache que crédible.
Les quatre dirigeants sahéliens motivent leur opposition au franc CFA par leur volonté d’adopter au plus vite une monnaie commune africaine, celle que prévoit de lancer la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest. Seulement ce projet est très incertain et ne constitue pas encore une option de remplacement du franc CFA : repoussé à 2020, sa mise en œuvre ne fait encore l’objet d’aucun consensus. Ces quatre Etats du Sahel n’ayant jamais non plus demandé le retrait unilatéral de leur pays de la zone franc, qui est pourtant prévu aux articles 12 et 17 des accords de coopération monétaires conclus en 1972 et 1973 par le gouvernement français avec chacune des zones CFA, il semble que les prises de position anti-FCFA de leurs gouvernants soient à considérer comme des coups de menton. Un bluff, qui aurait pour motivation première de séduire des électeurs excédés par la pauvreté et l’impuissance de leurs Etats. Peut-être à travers ces postures exercent-ils un chantage, une pression sur l’ex-métropole en vue d’obtenir davantage d’aides : la France et les Etats d’Europe ne cessent de démontrer depuis 2013 qu’ils ont besoin d’un Sahel stable pour leur sécurité, et dans le même temps l’importance des Français comme partenaires politiques et économiques est de plus en plus dépréciée par la présence accrue d’une autre grande puissance mondiale, la Chine, dans les affaires de la région. C’est donc le meilleur moment pour exercer une pression sur l’ancienne métropole, qui est tout à la fois affaiblie et impopulaire sur le continent, et dont la sécurité migratoire se joue entre Ouagadougou et N’Djaména.
Photo : Grégoire Nartz
III. Sous le feu des critiques depuis les indépendances, la coopération monétaire franco-africaine rencontre de nouvelles formes de contestation dans l’opinion publique.
En 60 ans, le clivage pour ou contre le franc CFA a beaucoup évolué. Depuis bientôt vingt ans, la France n’a plus de monnaie nationale et l’essentiel des intérêts économiques français sont situés hors de la zone franc, mais le Trésor français continue à garantir la convertibilité illimitée en euros de quatre monnaies dans le monde : celles des deux zones CFA, le franc Pacifique, ainsi qu’une monnaie nationale, le franc comorien (depuis 1979). En tout, quinze Etats d’Afrique et trois territoires du Pacifique sont intégrés dans des accords de coopération monétaire avec le gouvernement français. A travers cette coopération, l’Etat français joue un rôle d’agent de l’intégration économique des membres de la zone franc aux marchés de la zone euro. Désormais, sortir du franc CFA ne revient plus seulement à échapper à la seule l’influence de l’ancienne métropole, mais à décrocher une partie de l’Afrique de partenaires commerciaux et d’investisseurs de tout le continent européen. En Afrique, cette contestation n’est plus relayée par des chefs d’Etat en quête d’indépendance nationale : elle procède désormais du souhait de certains gouvernants d’adopter une monnaie unique africaine, qui ne dépende pas de l’étranger. Mais la bataille anti-FCFA est surtout menée depuis la France par les diasporas africaines qui y résident, et qui ont choisi d’en faire le fétiche des ressentiments qui les animent, à la fois à l’endroit de la société française dans laquelle ils s’intègrent de plus en plus mal, et vis-à-vis de la vulnérabilité et de l’impuissance de leurs pays d’origine, où leur retour n’est pas envisageable.
De la marche des Beurs à la lutte anti-FCFA les revendications des immigrés africains en France ont beaucoup changé.
Pourquoi le discours anti-franc CFA traverse-t-il autant les frontières et pour quelles raisons le FCFA fait-il maintenant débat en France ? Il y a trente ans, une partie des enfants d’immigrés africains défilaient en France avec la marche des Beurs ; il y a vingt ans d’autres enfants de l’immigration africaine s’engageaient pour la France « Black, Blanc, Beur » et réclamaient une meilleure intégration dans la société française. Aujourd’hui leurs enfants manifestent contre le franc CFA et pour la rupture des liens entre leurs pays d’origine et la France. On entend dans leurs bouches et on lit sur leurs slogans que cette monnaie serait « une monnaie coloniale », ou même « un viol économique et politique ». Pourquoi se saisissent-ils de la question monétaire et d’où procède cette aversion ?
Si, parmi les dirigeants des Etats africains membres du franc CFA, les opposants à cette monnaie sont largement minoritaires, être anti-FCFA est un positionnement politique de plus en plus populaire parmi les diasporas africaines présentes en France et la contestation de cette monnaie crée des rassemblements gigantesques. Ces dernières années, le franc CFA est devenu le symbole maudit des revendications politiques des « afro descendants », qui ont organisé à de multiples reprises des manifestations prônant son abandon. Le 11 février 2017, les manifestants anti-FCFA défilaient à Ouagadougou, Niamey, Yaoundé, Paris, Metz, Marseille, Bordeaux ; le 16 septembre dernier ces rassemblements se tenaient à Dakar, Cotonou, Libreville, Bamako, Villeneuve-la-Garenne, Montreuil et place de la Nation à Paris.
Le discours anti-franc CFA prospère en France sur la mauvaise intégration des diasporas africaines.
Avec les Maliens, les Sénégalais et les Ivoiriens ont une histoire migratoire avec la France depuis plus d’un demi-siècle. Ils forment aujourd’hui les plus importantes communautés africaines en France. Après les indépendances nationales, à partir des années 1960, leur immigration a été favorisée par le gouvernement français à travers des accords sur la libre circulation de la main-d’œuvre entre la France et ses anciennes colonies ; le regroupement familial, rendu légal et institutionnalisé en France depuis 1976, a participé à les installer durablement dans l’ancienne métropole. En 2014, le ministère de l’intégration africaine de Côte d’Ivoire estimait à 700.000 le nombre de ses compatriotes vivant en France, le consulat général du Sénégal à Paris chiffrait quant à lui en 2015 à 300.000 le nombre de Sénégalais y résidant. Quant à la communauté malienne en France, elle était estimée à 700.000 d’après des données déjà anciennes (2007) de l’Organisation Internationale pour les Migrations. Plus pauvres en moyenne que les ménages issus de l’immigration européenne (Observatoire des Inégalités, 2013) ils occupent des emplois souvent précaires et peu qualifiés. Alors que les premières générations d’immigrés subsahariens trouvaient sans peine un emploi, l’enquête « Trajectoires et Origines » menée par l’INED en 2016, nous indique que le chômage est plus fort chez les fils d’immigrés africains (27%) que chez leurs parents (15%) nés en France. Cette même enquête souligne aussi un échec scolaire plus fort chez les 18-35 ans originaires d’Afrique, dont environ 30% n’ont pas de diplôme du secondaire (bac général ou professionnel, BEP ou CAP) et 20% n’ont pas le brevet des collèges, tandis que chez les autres étudiants, ces proportions sont de 17% et de 9%.
L’installation dans l’exil : un obstacle à un enracinement en France ou en Afrique.
Cette situation illustre un double échec, sur les deux continents. D’un côté les immigrés et les Français d’origine africaine peinent de plus en plus à s’intégrer à la vie sociale, économique et nationale d’une France où le taux de chômage est à 10% et où la pauvreté concerne près d’un Français sur six. De l’autre, leurs pays d’origine n’ont toujours pas réuni les conditions d’un décollage économique propice au rapatriement durable des expatriés. Pire : les Etats africains demandent à leurs Ministères des Affaires Etrangères de maintenir des liens forts avec leurs diasporas à l’étranger, dont les ressources économiques ne sont pas négligeables. Cette responsabilité à la fois morale et économique des Africains de l’étranger vis-à-vis de leurs pays d’origine, les place dans un entre-deux communautaire et fait balancer leurs existences entre la France et l’Afrique. Pire encore : le sort réservé à l’immigration semble plus enviable ailleurs dans le monde, sur d’autres continents et dans d’autres Etats, comme le Canada, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, comparaison qui, on peut l’imaginer, renforce les reproches adressés à l’ancienne métropole coloniale. Ce déclassement économique et social des populations africaines immigrées en France, ainsi que le défaut d’intégration des nouvelles générations qui n’ont pas non plus de perspectives dans leurs pays d’origine, ne sont pas sans provoquer des tensions et des rancunes qui s’incarnent à la fois dans des attitudes communautaires et dans des discours de revanche. Aussi on peut supposer que c’est sur ce terreau de ressentiments que la critique du FCFA pousse et prospère, bien plus que sur l’expertise économique et monétaire de ses contradicteurs.
Conclusion. La colère anti-FCFA : monnaie des impasses de la décolonisation ?
Plus d’un demi-siècle après les indépendances nationales, les Etats africains membres du franc CFA semblent toujours aussi impuissants et leurs expatriés se sont massivement installés dans l’ancienne métropole. La France paraît moins puissante qu’il y a cinquante ans : d’un côté il est plus difficile d’y réussir et de s’y intégrer qu’auparavant, de l’autre, elle tend à devenir sur le continent un partenaire parmi d’autres, dont la puissance économique est de plus en plus relative avec la concurrence féroce de la Chine, de l’Inde, des Etats-Unis et d’autres Etats européens. Depuis l’adoption de l’euro, l’Etat français ne maîtrise plus ses orientations macroéconomiques et se contente de garantir la parité entre la monnaie africaine et la monnaie européenne. Même la langue française paraît offrir moins d’opportunités que l’anglais. Dans ce contexte, le maintien du franc CFA, trait d’union entre les périodes coloniale et postcoloniale, apparaît de moins en moins légitime. Au-delà de son rôle technique et économique garantissant une stabilité économique et financière à ses Etats-membres, toujours pertinent (quand bien même ce rôle serait tenu par une autre puissance que la France) pour des économies africaines essentiellement tournées vers l’exportation de matières premières et dépendantes de l’importation de produits finis, son symbole rappelle aux Africains leur vulnérabilité toujours très forte à l’égard du monde extérieur et de la France en particulier. A cet effet, il semble que cette monnaie syncrétise tous les ressentiments et les échecs issus de la décolonisation. Aussi on peut estimer que sa remise en cause exprime la volonté de sortir d’une situation d’entre-deux, d’un piétinement : celui de l’incapacité des Etats africains à s’en sortir par eux-mêmes, celui de l’impossibilité de leurs diasporas et des descendants de celles-ci à trouver un avenir stable entre les deux continents. S’il est vrai qu’elle n’occasionne aucune critique de gouvernants ou de ressortissants d’Etats-membres du FCFA qui ne sont pas des anciennes colonies de l’Empire français comme la Guinée-Bissau ou la Guinée-équatoriale, c’est sans doute parce que leurs liens avec la France sont bien moins développés, qu’elle n’est pas pour eux une terre d’émigration, qu’elle ne leur évoque aucune humiliation. A l’inverse, il semble que parmi les communautés africaines présentes en France, comme parmi les ex-colonies de l’Empire français, cette monnaie rappelle des sentiments d’amertume et une rancœur directement liés aux nombreuses impasses politiques qu’ils traversent sur les deux continents.
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Article pas du tout objectif car il ne rentre absolument pas dans les contraintes monétaires, techniques et structurelles que pose cette monnaie au pays de la zone CFA. Ce n’est pas pour rien que les pays africains de la zone cfa sont les pays les plus pauvres d’Afrique a part quelques exceptions comme la Cote d’Ivoire et encore.