1778 – 1783 : Guerre d’indépendance des Etats-Unis
Le traité de Paris de 1763, avait jeté une ombre de tristesse sur la fin du règne de Louis XV. Pour avoir perdu une bataille décisive sur l’océan, le Royaume avait abandonné aux Anglais un empire aux Indes et au Canada. Pourtant, loin de se résigner à la défaite, les Français se mirent à l’ouvrage pour préparer la revanche. Le formidable engouement naval qui précède le règne de Louis XVI annonce le retour aux victoires de la marine lors de la guerre d’Indépendance américaine. Avant d’être emportée par la révolution française, la monarchie a écrit avec Louis XVI l’une des plus belles pages de notre histoire maritime.
Voyages autour monde, les Malouines passent à l’Espagne, la Corse devient Française…
De 1761 à 1770, comprenant que la paix avec l’Angleterre ne sera qu’une trêve, le ministère de Choiseul concentre les efforts diplomatiques et militaires de la France contre ceux que l’on nomme désormais « les tyrans des mers ». Le mariage du Dauphin Louis et de la princesse Marie-Antoinette de Habsbourg avait scellé une bonne alliance avec l’Autriche. Pour la première fois libre de conflit sur le continent, la France allait pouvoir enfin concentrer son regard sur l’océan.
Déjà en 1769, malgré les vaines protestations du bey de Tunis, Louis XV acquiert la Corse annulant ainsi l’avantage exclusif que la Royal Navy retirait en Méditerranée occidentale de sa possession de Minorque. Occupée dans l’autre hémisphère à disputer les Malouines à l’Espagne, l’Angleterre n’avait pu s’opposer aux représailles de la Marine Royale contre les ports de Tunisie pour venger et prévenir les actes de pirateries Barbaresques et Ottomans.
Dès lors, le corps de la marine entame sa préparation au combat. Le matériel, la santé, l’instruction, l’approvisionnement des arsenaux, rien n’est laissé au hasard. La mise au point du vaisseau à deux ponts de soixante-quatorze canons, bientôt imité par toutes les marines européennes, est achevée. Entre 1763 et 1768, pour permettre la reconstruction de la flotte malgré la disette financière, les différents corps de la nation « offrent » un bâtiment au Roi. Dix-sept vaisseaux sont ainsi livrés par les provinces d’Artois, du Languedoc, de Provence, de Flandre, de Bourgogne, les marchands des villes de Paris et de Marseille… qui s’ajoutent à ceux que finance déjà le trésor royal ou récupérés après la dissolution de la Compagnie des Indes. Pour vaincre, on sait désormais qu’il faut préserver la santé des équipages en mer. L’entassement à bord, l’hygiène abominable, la mauvaise alimentation étaient cause de scorbut ou d’épidémies de typhus qui avaient tué infiniment plus de marins pendant les guerres du règne de Louis XV que tous les canons de la Royal Navy réunis. À Brest, à Rochefort et à Toulon sont créés les premières écoles de médecine navale. Enfin, pour entraîner les hommes à la manœuvre et au tir, le successeur de Choiseul constitue à Brest, en 1772, une escadre d’évolution destinée à l’instruction et qui croise dans l’Atlantique à la belle saison.
La Marine royale participe aussi aux voyages scientifiques. Face à une Angleterre qui rêve de supplanter l’Espagne dans l’hémisphère sud, le Comte Louis-Antoine de Bougainville établit au large de la Patagonie une base à Port Louis dans l’archipel des Malouines pour explorer le Pacifique. À la demande du roi de France, l’illustre navigateur remet pourtant Las Malvinas à l’allié espagnol le 1er avril 1767 à Montevideo sur le Rio de la Plata. Port Louis est rebaptisé Puerto Soledad. Bougainville peut alors entamer son « Voyage autour du Monde par la frégate du Roi La Boudeuse et la flûte L’Étoile ». Après les Espagnols, les Hollandais et les Anglais, cette première grande circumnavigation française amorce la cartographie des archipels de l’Océan Pacifique.
Dans les salons de Versailles les imaginations s’enflamment. On songe que pour garantir l’équilibre des terres émergées il doit exister dans l’autre hémisphère un continent inconnu. Le chevalier de Kerguelen, commandant la Fortune et le Gros Ventre, est alors prié de découvrir dans les mers du sud cette « France Australe » dont on rêvait. En fait d’Hespéride et de bons sauvages, Kerguelen ne reconnaît en 1772 qu’un archipel désert, battu par les tempêtes des quarantièmes rugissants, auquel il donne son nom. Arrivant lui-même, peu après, au mouillage dans l’anse de Port Christmas, le capitaine Cook ne s’attardera pas. Pragmatique, le fameux circumnavigateur anglais baptisera ces parages lamentables, « îles de la Désolation », et filera directement vers l’Australie.
1774 : Le roi Louis XVI a vingt ans !
Lundi 10 mai 1774. L’horloge de la Cour de Marbre du château de Versailles marquant le quart de trois heures, un valet souffle la chandelle. Au terme d’un règne de cinquante-neuf ans, le roi Louis XV rend son âme à Dieu. Le mercredi suivant, sous une pluie fine, la dépouille royale gagne la basilique de Saint-Denis, sa dernière demeure. Au bois de Boulogne, sur le passage du triste convoi, de vilaines gens hurlent « Taïaut, taïaut !». Le « Bien-Aimé » est mort et avec lui le respect sacré du peuple pour la monarchie. Alors que le Royaume des Lys se grise de philosophie et de bons mots qui le mènent tout droit à la Révolution, sous son apparence policée l’Europe des Lumière est en réalité une volière d’oiseaux de proies.
En 1772, dans un commun assaut de rapacité, les Aigles impériaux et royaux d’Autriche, de Russie et de Prusse procèdent au premier des trois partages du royaume de Pologne qui conduiront à la disparition de cette nation des cartes de l’Europe entre 1795 et 1920. Sur son île, le lion britannique somnole, tout occupé à sa digestion du Canada et des Indes, et à son commerce. En France, le roi Louis XVI qui monte sur le trône a vingt ans. C’est pourtant avec lui que la France va se hisser au sommet de sa puissance navale. Vis-à-vis des Anglais le nouveau roi nourrit un sentiment double : D’un côté, il est séduit par le système politique britannique dont il lit les gazettes mais de l’autre, il déteste l’orgueil de « cette nation avide et inquiète ». Loin d’être sot et ignorant, il s’entoure d’hommes de valeur : Vergennes aux Affaires étrangère, Sartine à la Marine. Il leur confie des moyens que l’on n’avait plus connus depuis le règne de Louis XIV et s’intéresse en détail aux aspects techniques et pratiques des choses de la mer. Il trace des cartes, dessine selon les préceptes de Nicolas Ozanne et connaît bien la géographie du monde. Il se tient très informé de l’état des découvertes par les récits des explorateurs.
C’est en suivant de près les voyages du capitaine Cook qu’il a souhaité voir un français accomplir de semblables exploits et soutiendra personnellement l’expédition de La Pérouse sur L’Astrolabe et La Boussole. Le roi aime la Marine. A Cherbourg, un jour de juin 1786, devant ses officiers retour d’Amérique, on le verra heureux. Pour l’unique fois de sa vie, le souverain voit la mer et assiste, enchanté, à l’inauguration des travaux de construction de la digue qui doit transformer la grande rade de Cherbourg en port de guerre face à l’Angleterre.
Au milieu de ses marins victorieux, un instant de joie éclaire le visage du prince.
1778-1780 : Révolution américaine… Invasion de l’Angleterre
La proclamation d’Indépendance des États-Unis d’Amérique du 4 juillet 1776 est l’aboutissement du conflit ouvert par la « Boston Tea Party » quelques mois avant la mort de Louis XV. La Fayette et une poignée d’aristocrates de France s’engagent clandestinement courir l’aventure au Nouveau Monde du côté des Insurgent. Vergennes qui mène une politique d’équilibre attend prudemment. La reddition d’une armée anglaise à Saratoga le détermine, en février 1778, à signer un traité d’amitié avec la jeune république. En baie de Quiberon, devant Port Haliguen, La Motte-Picquet rend au Ranger du corsaire américain John Paul Jones le salut du roi. La France est ainsi la première puissance à reconnaître les États-Unis d’Amérique.
C’est la guerre ! La maîtrise de l’océan sera décisive, mais cette fois la Grande-Bretagne est seule et la France n’aura pas à combattre sur le continent. Forte des deux tiers de la puissance de feu de la Royal Navy, la Marine royale est prête à en découdre. L’objectif des Français est d’envahir l’Angleterre en dispersant ses forces navales. L’Amérique est un théâtre d’opération secondaire. Dès le mois d’avril, l’amiral comte d’Estaing appareille de Toulon vers le Nouveau Monde à la tête d’une escadre de douze vaisseaux et cinq frégates. Les hostilités débutent le 17 juillet 1778 en Manche par le rude combat de deux frégates de surveillance britannique et française : l’Arethusa contre la Belle-Poule ! Les deux camps revendiquent la victoire qui inspire aux élégantes de Versailles une coiffure étonnante : « à la Belle Poule !» Le 27 juillet, trente-six vaisseaux de l’escadre de Brest commandée par le lieutenant général d’Orvilliers repoussent devant Ouessant la Home Fleet de Keppel. C’est un combat en ligne traditionnel sans grand résultat : l’adversaire se retire sans être anéanti. « On se salue, on se canonne, on se sépare et la mer n’en reste pas moins salée ». Mais, dans les deux cas, le pavillon français n’a pas cédé. En 1779, cependant malgré son excellente tenue dans tous les combats, la Marine n’a pas remporté la décision du conflit.
Aux Antilles, l’amiral comte d’Estaing renforcé par les petites escadres de Grasse, de Vaudreuil et de La Motte-Picquet s’empare des îles de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Vincent et de la Grenade mais sans jamais porter à la Royal Navy le coup décisif qui ferait céder l’Angleterre. Pour secourir les Insurgent en Caroline du Sud, il renonce à la Jamaïque, et sa tentative de débarquement à Savannah est un échec. Sévèrement blessé pendant l’assaut, il rentre à Brest. À Saint-Malo et au Havre, 20000 soldats attendent pour débarquer autour de Portsmouth et marcher sur Londres. En août, 66 vaisseaux des flottes combinées de France et d’Espagne chassent en Manche les 42 bâtiments de l’amiral Hardy, mais ils ont trop tardé et la saison est trop avancée. En septembre, l’escadre rentre à Brest avec 8 000 malades. Ce nouveau désastre sanitaire sauve in extremis la Grande-Bretagne de l’invasion.
Les Espagnols, qui refusent catégoriquement de soutenir les Insurgent, concentrent leur effort sur Gibraltar. L’année 1780 est marquée par le départ de Brest, pour la Martinique, de l’escadre du lieutenant général de Guichen qui assure la protection des îles et la liberté de navigation contre Rodney mais échoue encore à s’emparer de la Jamaïque. Le 11 juillet, l’amiral de Ternay débarque à Rhode Island six mille soldats du corps expéditionnaire de Rochambeau.
1781-1783 : La revanche en Amérique et aux Indes
Fin 1780, le maréchal de Castries remplace Sartine au secrétariat à la Marine et la Hollande entre bientôt dans la guerre aux côtés de la France et de l’Espagne. La stratégie change et la guerre s’étend à tous les océans du monde. L’idée de débarquer en Angleterre est abandonnée. La décision se fera en Amérique ! Une puissante escadre aux ordres de l’amiral comte de Grasse quitte Brest pour les Antilles le 22 mars 1781. Après une semaine de mer, cinq vaisseaux commandés par le bailli de Suffren se détachent pour faire route vers le Cap de Bonne Espérance soutenir la colonie hollandaise. Au Cap Vert, il surprend la flotte du commodore Johnstone au mouillage dans la baie de Praya, et lui inflige de lourds dommages. Après un mois de traversée, le comte de Grasse contient l’amiral Hood devant la Martinique et s’empare de l’île de Tobago. Le 16 juillet, il est à Port-aux-Français à Saint-Domingue. Il s’apprête à traverser l’Atlantique avec un énorme convoi marchand quand il reçoit une lettre de Washington qui demande l’aide urgente «de la flotte de Sa Majesté très Chrétienne » et une autre de Rochambeau qui réclame des fonds. En Virginie, les Insurgent sont enfermés dans Yorktown. La Royal Navy, maîtresse de la mer, leur interdit tout secours. De Grasse décide de faire voile vers la baie de Chesapeake pour y débarquer trois mille hommes en renforts et empêcher le ravitaillement par la mer des troupes de Cornwallis.
La victoire de l’Amiral comte de Grasse à Chesapeake, décide du sort de Yorktown et de l’Indépendance des Etats-Unis.
Le 5 septembre 1781, la Bataille de la baie de Chesapeake décide du sort de la guerre. La flotte britannique de Graves repoussée par l’escadre de l’amiral de Grasse ne parvient pas à empêcher l’action française. Yorktown capitule le 19 octobre. Ce désastre ne permet plus à l’armée britannique de s’opposer à l’indépendance des États-Unis. Le conflit traîne une année encore avec des fortunes diverses de part et d’autre.
Après l’occupation de la Guyane anglaise et quelques succès aux Antilles devant Saint-Eustache et Saint-Christophe, l’amiral de Grasse est vaincu et pris par Rodney à la bataille des Saintes, le 11 avril 1782. Cette sévère défaite rend désormais impossible la prise de la Jamaïque.
En Méditerranée, si les Anglais perdent définitivement Minorque, les Espagnols ne s’emparent pas de Gibraltar. Au Canada, La Pérouse pousse un raid spectaculaire dans les eaux glaciales de la baie d’Hudson contre des établissements de pelleteries britanniques.
Au large des Indes et de Ceylan, Suffren, que les Anglais ont surnommé « l’amiral Satan », mène avec de modestes moyens une campagne très agressive. Contrairement aux idées de son temps, il recherche constamment la destruction de ses adversaires. À cinq reprises, il défait l’escadre de Hughes.
Mais ces victoires sont connues trop tard en France pour influencer le traité de Paix signé à Versailles, le 3 septembre 1783, qui consacre l’indépendance des États-Unis. Vingt ans après le désastreux traité de Paris, la France obtient sa revanche et retrouve la liberté des mers. Pour la première fois depuis Louis XIV, la Marine royale a remporté des succès décisifs pour imposer la paix. Sur les océans, la France fait désormais jeu égal avec l’Angleterre. Mais la guerre a épuisé les finances du royaume et le vent d’Amérique annonce en France une tempête révolutionnaire.
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