I- Un Etat garant de l’identité serbe dans les Balkans occidentaux

Ce  vendredi 23 février, nous sommes reçus en grande pompes par les autorités de la Republika Srpska. Le périple de 15 heures à travers toute l’Europe centrale enneigée aura valu son pesant d’or. Invités au Premier Forum de la Diaspora serbe jamais organisé, c’est le second Etat serbe, l’entité de la Republika Srpska qui sera notre hôte. La Serbie, engoncée dans ses problèmes intérieurs et tout à sa volonté de négocier son entrée dans l’UE, n’y avait pas pensé. C’est donc Milorad Dodik, fin tacticien politique et Président de la Republika Srpska, qui se fera fort d’inviter plus d’une centaine de participants, venus de 26 pays d’Europe et d’Amérique dans la capitale, Banja Luka.

Mais derrière les gros bataillons venus d’Europe centrale (Autriche, Allemagne, Hongrie, Tchéquie) la délégation française n’était pas plus mal lotie. Roméo Milosevic, Président de l’Union des Serbes de France, Ivica Jovic adjoint au maire d’Epône et Arnaud Gouillon, Président de l’association humanitaire «Solidarité Kosovo» accompagnaient votre serviteur. La «French connection» se faisait fort de nouer des contacts et dès la soirée d’investiture, entretenait une franche et fructueuse discussion avec la Première ministre de Republika Srpska, Madame Cvijanovic.

Le samedi 24 février fut en quelque sorte l’apothéose et la consécration de tant d’années de travail associatif et humanitaire pour nos quatre mousquetaires. En séance plénière, Arnaud pût expliquer aux diasporas serbes du monde entier le bilan déjà important de son action au Kosovo-Métochie et annoncer ensuite devant les caméras locales la volonté de «Solidarité Kosovo» de venir en aide aux Serbes de Bosnie-Herzégovine qui « se trouvent eux aussi parfois en souffrance et démunis ». Roméo Milosevic ensuite développait sa stratégie politique, évoquant les « 400 000 Serbes de France qui sont déjà intégrés car de seconde, voire de troisième génération ». Votre serviteur usant de l’extrême souplesse et réactivité des fonctionnaires locaux (merci Nina et Natacha) pour réaliser l’interview officielle de la Première ministre Cvijanovic pour la chaîne française TV Libertés. Nous éprouvions déjà à la fin de cette journée le sentiment du devoir accompli et le douce sensation que les bonnes surprises ne faisaient que commencer.


Cvjetni spomenik, Jasenovac / Source : Spomenik Database

L’après midi fut consacré à une visite à Bosanka Dubica, là où lors de la Seconde guerre mondiale, le camp de Jasenovac fut tenu par les autorités de l’« Etat Indépendant de Croatie » dirigées par le sinistre Ante Pavelic. Jasenovac fut un camp où les tortionnaires oustachis (fascistes croates) organisèrent de façon brutale le massacre d’au minimum 300 000 Serbes, Tziganes et Juifs entre  1941 et 1944 ; leur sauvagerie était telle que 54 000 enfants y périrent , souvent à coups de pioche ou de couteau. Le romancier Malaparte décrit très bien, dans « Kaputt », ce repas où l’officier allemand est lui-même écoeuré par le fait que l’officier oustachi lui propose de manger des… yeux de Serbes assassinés le matin même !

Or notre visite à Bosanska Dubica fut un moment de recueillement devant ces crimes atroces, mais aussi un moment de fête comme seuls les Serbes savent l’organiser. Dans une bonne humeur inimitable, ils nous gâtèrent de cevapcicis et autres pljeskavica dignes des repas d’un petit village gaulois qui résiste à l’empire romain !

Le clou de la journée fut cette réception au sommet de la tour gouvernementale située en plein coeur de la capitale. Milorad Dodik pour nous remercier avait mis les petits plats dans les grands. Après une ascension dans une cabine qui donnait le vertige à plus d’un, nous étions arrivés au nirvana. Accueillis par des beautés certes triées sur le volet mais néanmoins aux atours avenants et aux doux regard bleu ciel, elles nous délestaient de nos manteaux et autres écharpes par un sourire enjôleur et un clin d’oeil qui en disait long. Dans la salle de réception, nous étions tout de suite happés par cette atmosphère très balkanique : de grandes tablées de 20 personnes se faisaient face comme pour mieux partager nos joies et entre embrassades et grandes tapes dans le dos, chacun y allait de son toast. Le plus marquant était que durant tout le repas, très « nouvelle cuisine » cette fois, on était accompagné par une orchestre qui lançait des chansons traditionnelles ou « turbo-folk » reprises à l’unisson par la centaine de participants. Il fallait ponctuer ces agapes par un discours que je tins, un verre de sljivovica à la main, aux côtés du Président Dodik.

 

II- Banja Luka, une capitale moderne à l’énergie débordante

Banja Luka est une ville de 180 000 habitants située au coeur d’une vallée ondoyante et dotée de parcs chatoyants. Coeur de la Republika Srpska, elle est à la fois fière de ses églises orthodoxes, comme la nouvelle cathédrale du Christ Sauveur qui gît au coeur de la ville, mais aussi de son caractère musulman, avec le quartier turc situé aux abords de la forteresse médiévale du Kastel. Banja Luka était parée de ses plus beaux atours, car drapée d’un blanc manteau qui ne faisait que s’épaissir jour après jour. Contrairement à certains grincheux d’une capitale gauloise, ici la neige et le froid galvanisent la population. Les transports comme les organes de l’Etat fonctionnent normalement. On en eut pour preuves les déneigeuses passant constamment sur l’autoroute principale, mais aussi des scènes plus cocasses où le taxi, habitué à 30 cm de neige, s’arrête au milieu de la chaussée lorsqu’une belle de jour, emmitouflée dans son manteau de fourrure et pointant ses talons dans la neige déjà épaisse, enjambe le carrefour.

Le plus frappant en venant de France est la modernité et l’énergie des Serbes de Bosnie. Deux autoroutes flambant neuves sillonnent le pays, l’une vers la Croatie et l’autre vers la Serbie, en attendant que les vols low cost n’atterrissent, au bonheur des gens de la diaspora, sur l’aéroport déjà bien agencé de Laktasi. Les bâtiments publics (postes, hôpitaux) sont relativement neufs ainsi que les rues et avenues bien aménagées. Même si cela nous vaut parfois des critiques, on sent l’influence de l’empire austro-hongrois, à la fois dans l’organisation et le calme, contrairement aux Serbes de Serbie plus marqués par le rythme trépidant et la désorganisation de l’Empire ottoman.

Mais ce qui fait le lien avec la Serbie est évidemment, vous l’aurez compris, la vie nocturne. C’est comme si une ville moyenne comme Dijon ou Caen se transformait d’un coup de baguettes magiques, la nuit tombée, en New York ! Restaurants sur le fleuve Vrbas, salle d’opéra ou de théâtre battant le pouls au centre-ville, et une multitude de cafés-concerts s’offrent à vous dans une joie communicative. Ces derniers sont vraiment uniques et nous rappellent les heures de gloire de la Movida en Espagne post-franquiste. Déjà dans le choix très éclectique de musiques proposées: rock, jazz, rap mais aussi et surtout le « turbo-folk », mélange de pop et de mélopées balkaniques, très prisé par la jeunesse serbe. Vous rentrez dans un des ces estaminets et vous avez l’impression qu’un tremblement de terre va arriver : dans un bruit digne des grands concerts en plein air, vous écoutez des très jeunes musiciens, la clope au bec, développer une musique débordante d’énergie. Le nec plus ultra, ce sont ces chanteurs qui, par magie, se baladent dans la salle enfumée entre les tables bondées et donnent le rythme à une jeunesse ivre de musique et de bonheur.

 

III- La campagne électorale bat son plein en Bosnie-Herzégovine

La Republika Srpska, créée aux Accords de Dayton en 1995, qui fête cette année ses 23 ans d’existence, a toutes les prérogatives d’un Etat : gouvernement, Parlement, police, drapeau et frontières. Les accords de Dayton, signés en 1995 après trois ans d’une guerre fratricide, avaient créé en Bosnie deux entités , la Fédération croato-musulmane et la Republika Srpska. Cette dernière contrôle 49 % du territoire de Bosnie-Herzégovine, et sur le modèle suisse, a un gouvernement représenté par un Président Milorad DODIK.

La Republika Srpska — l’une des deux entités qui forment cet État né sur les cendres de l’ex-Yougoslavie — voulait organiser, en septembre 2015, un référendum en faveur de l’autonomie de son système judiciaire. Mais les Etats-Unis et l’U.E., prenant pour des velléités indépendantistes l’acte souverain d’un peuple aux droits garantis par les accords de Dayton, ont empêché par un oukaze digne de l’ex-URSS que l’entité serbe de Republika Srpska se prononcent sur sa destinée. En novembre 2015, la cour Constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a considéré également comme illégale la célébration par les autorités de la Republika srpska de leur fête nationale le 9 janvier suivant. Quand on sait que pas moins de trois des juges de cette Cour sont des citoyens étrangers, on comprend qu’ici la lutte est et restera féroce entre souveraineté populaire et système mondialiste imposé de l’extérieur.


Source : srpskainfo.com

Mais le 10 décembre 2015, c’est un autre type de conflit qu’a eu à régler la Republika Srpska. Des policiers de la SIPA (« Agence pour les poursuites et la protection de la Bosnie-Herzégovine », créée par le Haut Représentant) intervenaient dans plusieurs bâtiments publics comme le commissariat de la ville, afin d’arrêter cinq suspects serbes de crime contre les musulmans, vingt ans après le conflit bosniaque. Comme à Banja Luka et à Laktasi la semaine précédente, ces actions menées par une agence internationale ne tenaient aucun compte du droit de prescription, amenant une certaine nervosité de la part de la police serbe qui jusque là collaborait parfaitement avec le SIPA.

Cela fut vécu comme une provocation de la part de Milorad Dodik, Président de la Republika Srpska, qui estimait que la collaboration avait été toujours bonne entre police serbe et SIPA, mais que par cet acte la SIPA, émanation de l’EUFOR, exerçait un fait accompli. Dodik décidait donc de rompre le 11 décembre 2015 la collaboration avec la SIPA, remettant en cause le fragile équilibre des Accords de Dayton.

Dans ce contexte, le président de la Republika Srpska (RS) a une grande partie de l’avenir entre ses mains. Milorad Dodik est un homme d’affaires reconverti dans la politique à la fin des années 1990. À la tête de l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants (SNSD), socialiste et pro-européen, il a été à deux reprises premier ministre de la RS dans les années 2000, avant d’être élu président en octobre 2010 puis réélu en octobre 2014. La communauté internationale l’a au départ soutenu, satisfaite de voir à ce poste un modéré et non pas un nationaliste. Mais, dernièrement, M. Dodik a évolué dans ses positions : face à ce qu’il perçoit comme l’aspiration des Bosniaques musulmans de réduire l’autonomie de la RS, il souhaite le retour à une application stricte des Accords de Dayton.

En attendant, M. Dodik doit également relever un défi colossal : celui de la reconstruction d’une économie encore touchée par les traumatismes post-conflit et profondément affectée, en 2014, par une grave inondation. En outre, la question du retour des réfugiés n’est toujours pas réglée. L’agriculture est exsangue et peine à subsister sous la pression des grands groupes agro-alimentaires de l’UE qui, depuis 2014 et l’ouverture des frontières de la Bosnie-Herzégovine aux produits agricoles de l’UE, déversent leur surproduction à bas prix, menaçant l’existence de milliers de producteurs. L’enjeu énergétique est de taille : le pays dispose de ressources hydrographiques importantes, mais peu exploitées et convoités par des groupes étrangers. Surtout, sa situation géographique et sa traditionnelle proximité avec Moscou peut en faire un acteur clé dans le très délicat dossier de l’acheminement du gaz russe vers l’Europe occidentale — que ce gaz soit acheminé via le gazoduc « Turkish stream » voulu par la Turquie et la Russie ou via l’« Anneau oriental » que promeut l’UE[i][footnote title=”i”]Le « Turkish stream » est un gazoduc, reliant la Russie à l’Europe, soutenu par Vladimir Poutine depuis la disparition du « Southstream » en novembre 2014. Il partirait des réserves de gaz en mer Caspienne, traverserait ensuite la Turquie puis les Balkans occidentaux, pour aboutir à l’Autriche. Mais les récents conflits diplomatiques entre Russie et Turquie à propos de l’avion russe abattu en Syrie par la Turquie risque de suspendre ce projet.
L’ « Anneau oriental » est depuis le début de l’année 2015 apparu dans la presse spécialisé. Pour la Commission européenne,  ce gazoduc représente un tracé concurrent, en Europe centrale, au gazoduc Northstream déjà existant entre Russie et Allemagne.[/footnote].

Dodik profita ainsi du Premier Forum de la Diaspora serbe pour annoncer sa candidature au poste de Présidence collégiale ! Son calcul assez simple repose sur le constat suivant : comme les Serbes, sur tout le territoire de la BH représentent 380 000 voix, si les élections d’octobre 2018 se déroulent sur une base ethnique, il aurait toutes ses chances d’accéder à la Présidence collégiale. En face, les candidats bosno-musulmans sont pour le moment assez nombreux et divisés et l’heure de gloire de la dynastie Izetbegovic (Alija président de 1990 à 1996, puis son fils Bakir, Président du collège présidentiel à trois reprises depuis 2010) semble en passe de se terminer. Troisième peuple constitutif, les Croates, sont en minorité dans la population mais ont les pouvoirs à égalité au niveau collégial, avec un Président au collège présidentiel fédéral. Ils semblent évoluer vers une demande de forte autonomie sur les territoires où ils vivent de façon dense, en particulier en Herzégovine.

Alexis Troude

[i] Le « Turkish stream » est un gazoduc, reliant la Russie à l’Europe, soutenu par Vladimir Poutine depuis la disparition du « Southstream » en novembre 2014. Il partirait des réserves de gaz en mer Caspienne, traverserait ensuite la Turquie puis les Balkans occidentaux, pour aboutir à l’Autriche. Mais les récents conflits diplomatiques entre Russie et Turquie à propos de l’avion russe abattu en Syrie par la Turquie risque de suspendre ce projet.

L’ « Anneau oriental » est depuis le début de l’année 2015 apparu dans la presse spécialisé. Pour la Commission européenne,  ce gazoduc représente un tracé concurrent, en Europe centrale, au gazoduc Northstream déjà existant entre Russie et Allemagne.

Alexis Troude

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