Bandeau du site internet du Conseil de sécurité des Nations Unies
De temps à autre, s’élèvent des voix afin de proposer une réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies. Faudrait-il supprimer le droit de veto ? Ou au contraire l’octroyer à d’autres membres ? Faudrait-il intégrer plus de membres au Conseil de sécurité ? Ces sièges supplémentaires devraient-ils être permanents ou tournants ? Assortis ou non du droit de veto ? Ces quelques questions présentent, quand on les combine, de fort nombreuses possibilités. Elles sont l’objet, en particulier pour certains pays, d’âpres débats. Mais qu’en est-il réellement ?
Qu’est-ce que le Conseil de sécurité des Nations Unies ?
Comme nous le dit lui-même le Conseil de sécurité des Nations Unies, sur son site internet :
« La Charte des Nations Unies confère au Conseil de sécurité la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Le Conseil compte 15 membres disposant chacun d’une voix. Aux termes de la Charte, tous les États Membres sont tenus d’appliquer les décisions du Conseil.
Le Conseil de sécurité est compétent au premier chef pour constater l’existence d’une menace contre la paix ou d’un acte d’agression. Il invite les parties à un différend à régler ce différend par des moyens pacifiques et recommande les méthodes d’ajustement et les termes de règlement qu’il [sic] juge appropriés. Dans certains cas, il peut imposer des sanctions, voire autoriser l’emploi de la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. »
Le Conseil de sécurité des Nations Unies est composé de quinze membres. Cinq sont permanents et pourvus du droit de veto : la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique[footnote title=”1″]Il est d’usage, aux Nations Unies, de nommer les pays par ordre alphabétique, en considérant leur nom en langue anglaise.[/footnote].
Au moment de la fondation des Nations Unies et de son Conseil de sécurité, ces cinq nations[footnote title=”2″]La Russie a succédé, à ce siège, à l’Union soviétique en décembre 1991.[/footnote], dénommées « P5 » (pour « Permanent Five ») dans le jargon onusien, représentaient, en incluant les empires coloniaux britannique et français, bien plus de la moitié de la population de la planète. De surcroît, ces cinq pays étaient les grands vainqueurs[footnote title=”3″]Il peut sembler étonnant, à certains, que la France soit comptée parmi les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. C’est que le concept même de victoire n’est pas si clair… Quoi qu’il en soit, c’est de haute lutte que l’énergique Charles de Gaulle obtint un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, siège obtenu avec le soutien persévérant de Winston Churchill, alors que les présidents des États-Unis d’Amérique, tout d’abord Franklin Roosevelt, puis, après le décès de celui-ci, Harry Truman, étaient farouchement opposés à l’idée de laisser à la France quelque rôle majeur que ce soit dans le règlement à venir des questions internationales.
Le lecteur curieux d’approfondir cette féroce lutte diplomatique lira avec intérêt le passionnant ouvrage De Yalta à Potsdam rédigé par l’historien Arthur Funk qui fut, entre autres, Président du Comité américain d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale.[/footnote] de la Deuxième Guerre mondiale.
Les dix[footnote title=”4″]Initialement, le Conseil de sécurité des Nations Unies ne comptait que six membres tournants. En 1963, un amendement, entré en vigueur en 1966, porta ce nombre à dix.[/footnote] autres membres sont élus pour une durée de deux ans, renouvelés pour moitié tous les ans, à la majorité des deux tiers par l’Assemblée générale selon deux critères. Premièrement, la contribution des pays candidats au maintien de la paix et de la sécurité internationale ; deuxièmement, l’application d’un principe de juste répartition géographique qui alloue les sièges selon la clef de répartition suivante :
• trois à l’Afrique ;
• deux à la région « Asie-Pacifique » ;
• deux à la région « Amérique latine et Caraïbes » ;
• deux au groupe « Europe occidentale et autres États » ;
• un à l’Europe orientale.
À propos du droit de veto
« Veto » est un mot latin signifiant en français « Je m’oppose ». Exercer son droit de veto signifie empêcher, interdire, qu’un acte donné soit posé, par exemple le vote d’un projet de loi.
Au sein d’une assemblée votante, le droit de veto constitue, avec le monopole de l’initiative législative, le pouvoir le plus important qui soit.
Le fantastique privilège du droit de veto accordé aux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies a été élaboré par Winston Churchill, Joseph Staline et Franklin Roosevelt lors de la conférence de Yalta qui s’est tenue en février 1945.
La puissance même de ce pouvoir rend tout à fait illusoire l’idée qu’un des membres permanents du Conseil de sécurité renoncerait à son droit de veto. En effet, aucun chef d’État, aucun gouvernement, digne de ce nom ne permettrait que son pays abandonnât son droit de veto. Il existe certes des projets, des pressions même, pour que la France cède, à l’Union européenne, son siège permanent au Conseil de sécurité, et, par cela-même, son droit de veto ! Cela n’arrivera que si les plus hautes instances au pouvoir en France le permettent, ce qui constituerait une inqualifiable trahison envers le peuple français !
Par ailleurs, et hormis le fait que les membres du P5 ne le permettront jamais, la suppression du droit de veto aurait une conséquence potentielle extrêmement dangereuse pour la paix ! En effet, sans droit de veto, la majorité des deux tiers des membres du Conseil de sécurité suffirait pour adopter une résolution qui ne relèverait que de leurs intérêts ! La dureté des relations internationales étant ce qu’elle est, une telle situation ouvrirait la porte à toutes sortes d’abus de pouvoir de la part des membres du moment du Conseil de sécurité des Nations Unies, ce qui discréditerait au plus haut point cette institution et, de façon bien plus importante, présenterait, répétons-le, un danger objectif pour la paix ! C’est ainsi, par exemple, que l’existence du droit de veto de la Russie et de la Chine a empêché, ces dernières années, une intervention armée légale, mais inique, contre la Syrie.
Quant à savoir s’il serait opportun d’accorder le droit de veto à d’autres membres du Conseil de sécurité, il est permis d’en douter. En effet, plus il y a de membres disposant du droit de veto dans une assemblée, plus celle-ci devient impuissante. Un cas archétypique en fut la situation qu’a connue, entre 1652 et 1791, la République des Deux Nations quand tous les membres de sa diète jouissaient du droit de veto, appelé alors « liberum veto » ou « Nie pozwalam ! », en polonais. Alors justifié par l’idée que, tous les nobles polonais étant égaux entre eux, il était logique que toute mesure proposée à la diète fût adoptée à l’unanimité, le liberum veto fut la cause principale de la déliquescence de la République des Deux Nations qui était pourtant, au faîte de sa puissance, notamment quand elle occupa Moscou pendant plus de deux ans entre 1610 et 1612, l’État le plus étendu en Europe. Cette nécessité d’obtenir l’unanimité afin de mettre en Å“uvre quelque réforme que ce soit entraîna la paralysie institutionnelle du pays qui, en plus d’être incapable de s’opposer aux visées des puissances étrangères, fut même sous leur influence car il suffisait de corrompre, ou de contraindre, un seul député pour paralyser le gouvernement. Cette situation absurde, qui entraîna la disparition de ce pays suite aux trois partages de la Pologne qui eurent lieu durant le XVIIIe siècle, est une illustration du stratagème des chaînes, celui-là même qui empêche de modifier les traités européens.
Chapitre XVIII : amendements
Winston Churchill, Joseph Staline et Franklin Roosevelt savaient parfaitement ce qu’ils faisaient, en février 1945, à la conférence de Yalta quand ils s’assuraient, à chacun, un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies assorti d’un droit de veto. En effet, ce droit de veto leur garantissait de cadenasser l’accès même au droit de veto !
C’est ce que prévoit, dans ses deux articles, le Chapitre XVIII, intitulé « Amendements », de la Charte des Nations Unies :
« Article 108
Les amendements à la présente Charte entreront en vigueur pour tous les Membres des Nations Unies quand ils auront été adoptés à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée générale et ratifiés, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives, par les deux tiers des Membres de l’Organisation, y compris tous les membres permanents du Conseil de sécurité.
Article 109
1.Une conférence générale des Membres des Nations Unies, aux fins d’une révision de la présente Charte, pourra être réunie aux lieu et date qui seront fixés par un vote de l’Assemblée générale à la majorité des deux tiers et par un vote de neuf quelconques des membres du Conseil de sécurité. Chaque Membre de l’Organisation disposera d’une voix à la conférence.
2.Toute modification à la présente Charte recommandée par la conférence à la majorité des deux tiers prendra effet lorsqu’elle aura été ratifiée, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives, par les deux tiers des Membres des Nations Unies, y compris tous les membres permanents du Conseil de sécurité.
[…] »
La cause est entendue : puisqu’ils ont le pouvoir institutionnel d’empêcher d’autres qu’eux-mêmes d’exercer le tout puissant droit de veto, on comprend que ceux qui en disposent n’accepteront jamais de partager un tel pouvoir.
De plus, et de façon amusante, on conçoit que plus il y aurait de membres permanents au Conseil de sécurité des Nations Unies, plus il serait difficile d’en amender la Charte !
Cela ne vous rappelle rien ? Encore une construction autobloquante !
Finalement, notons bien que, par définition, tout membre permanent du Conseil de sécurité dispose du droit de veto, à moins de réformer en profondeur la Charte des Nations Unies.
Un élargissement du Conseil de sécurité ?
Il peut sembler aimable, juste même, d’élargir le Conseil de sécurité des Nations Unies. Mais la question se pose alors de savoir dans quelle mesure et à quels pays.
Même si cela peut sembler juste à certains, d’autres estimeront injuste d’élargir le Conseil de sécurité à la totalité des pays de la planète. En effet, n’oublions pas que, comme nous l’avons vu au premier paragraphe de cet article, la contribution des pays candidats au maintien de la paix et de la sécurité internationale est un critère qui détermine la validité de la candidature d’un pays pour l’obtention d’un siège tournant au Conseil de sécurité.
Posons-nous donc la question de savoir quels pays seraient intéressés par un élargissement du Conseil de sécurité. Nombreux sont les prétendants et, afin d’appréhender la complexité des intérêts en présence, nous nous contenterons de présenter deux groupes rivaux en la matière : le G4 et le Coffee Club.
Le G4
Le Groupe des quatre, également appelé G4 ou encore G-4, se compose des quatre pays suivants : Brésil, Allemagne, Inde et Japon.
L’objectif du G4 est l’obtention, pour chacun de ses membres, d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Chacun de ces quatre pays a un poids démographique et économique important ; de plus, ils prennent une part active aux missions de maintien de la paix, même le Japon dont la constitution stipule pourtant, en son article 9 au Chapitre II, intitulé « Renonciation à la guerre » :
« Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l’ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux.
Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l’État ne sera pas reconnu. »
Cela n’a aucunement empêché le Japon, sous l’influence de l’occupant états-unien, de se doter, dès 1954, d’une force armée baptisée, par euphémisme, « Forces japonaises d’autodéfense ».
Ces forces militaires japonaises ont même été envoyées, entre 2004 et 2008 , dans une zone de combat en Irak ! Le Japon arguant que ses Forces d’autodéfense opéraient, dans une zone de combat rappelons-le, dans un but humanitaire et de reconstruction. Voilà une « justification » qui serait hilarante si elle n’était aussi désolante… Le Japon ferait de l’autodéfense en Irak ? De l’humanitaire dans une zone de combat ? De la reconstruction dans une zone de combat ? Disons plutôt que les Japonais servent de supplétifs à leur occupant, occupation que le Japon doit, aujourd’hui encore, financer !
Il n’y a donc rien d’étonnant au fait que la Corée du Sud, et encore plus la Chine, soient fermement opposées à l’attribution au Japon d’un siège permanent au Conseil de sécurité, attribution a contrario, et logiquement, soutenue par l’occupant états-unien.
D’autres oppositions aux prétentions du G4 existent. C’est ainsi, par exemple, que divers pays tels que, entre autres, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, l’Espagne, la Tchéquie et particulièrement, comme nous le verrons au paragraphe suivant, l’Italie, refusent que l’Allemagne obtienne un siège permanent au Conseil de sécurité.
Par ailleurs, le Pakistan ne saurait tolérer que l’Inde obtînt un siège permanent ; et des pays comme l’Argentine, la Colombie et le Mexique s’opposent à l’octroi d’un siège permanent au Brésil.
Ce ne sont là que quelques unes des oppositions aux prétentions du G4 qui aura bien du mal à faire valoir son point de vue.
Uniting for Consensus : le Coffee Club
Le fait d’octroyer plus de sièges permanents au Conseil de sécurité sans en augmenter le nombre total pose un sérieux problème à tous les autres pays de la planète : une telle opération diminuerait le nombre de sièges tournants !
C’est ainsi que fut fondé, en 1995, par l’Italie, qui le dirige, ainsi que par l’Égypte, le Mexique et le Pakistan, le mouvement « Uniting for Consensus », également surnommé le « Coffee Club ».
Depuis, le Coffee Club a été rejoint par divers pays tels que l’Argentine, le Canada, la Colombie, le Costa Rica, la Corée du Sud, l’Espagne, Malte, San Marino et la Turquie.
L’objectif premier du Coffee Club consiste à faire échouer le G4 dans ses revendications d’obtenir quatre sièges permanents au Conseil de sécurité. Le Coffee Club Å“uvre aussi à une réforme du Conseil de sécurité. C’est ainsi, par exemple, qu’il a proposé, sans succès, diverses réformes afin d’élargir celui-ci.
Conclusion
Nos lecteurs l’auront compris : les divergences d’intérêts en présence et, bien plus encore, la possibilité qu’a chacun des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies d’exercer son droit de veto ont pour conséquence qu’une réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies n’est pas près d’avoir lieu.
Au moins existe-t-il pour le moment un droit international, certes imparfait, mais sans doute préférable à un vide juridique laissant toute liberté d’action au plus fort ou au plus agressif.
N’oublions jamais, par exemple, que l’invasion de l’Irak, perpétrée le 20 mars 2003 par les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni a vu établi son caractère indiscutablement illégal grâce au fait que les États-Unis d’Amérique ont renoncé à présenter au Conseil de sécurité des Nations Unies une proposition de résolution contre l’Irak car ils savaient que la France exercerait son droit de veto contre tout projet de résolution visant à permettre une intervention armée contre l’Irak. Le droit de veto est un instrument diplomatique fantastique, particulièrement puissant, dont la France ne devrait jamais accepter de se départir !
Mike Werbrouck
Les propos tenus et opinions présentées ne représentent que l’opinion des auteurs des contributions libres et n’engagent pas STRATPOL ni son équipe.Â
¹Il est d’usage, aux Nations Unies, de nommer les pays par ordre alphabétique, en considérant leur nom en langue anglaise.
²La Russie a succédé, à ce siège, à l’Union soviétique en décembre 1991.
³Il peut sembler étonnant, à certains, que la France soit comptée parmi les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. C’est que le concept même de victoire n’est pas si clair… Quoi qu’il en soit, c’est de haute lutte que l’énergique Charles de Gaulle obtint un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, siège obtenu avec le soutien persévérant de Winston Churchill, alors que les présidents des États-Unis d’Amérique, tout d’abord Franklin Roosevelt, puis, après le décès de celui-ci, Harry Truman, étaient farouchement opposés à l’idée de laisser à la France quelque rôle majeur que ce soit dans le règlement à venir des questions internationales.
Le lecteur curieux d’approfondir cette féroce lutte diplomatique lira avec intérêt le passionnant ouvrage De Yalta à Potsdam rédigé par l’historien Arthur Funk qui fut, entre autres, Président du Comité américain d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale.
4Initialement, le Conseil de sécurité des Nations Unies ne comptait que six membres tournants. En 1963, un amendement, entré en vigueur en 1966, porta ce nombre à dix.
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