Bien que la principale accusation contre la Russie porte sur le lancement unilatéral d’une guerre illégale et non provoquée, l’analyse des décisions prises par Joe Biden incitent à conclure qu’au contraire, le nouveau président a acculé Poutine dans un traquenard stratégique qui ne pouvait que déboucher sur une guerre.  (voir Partie 1)

Il est d’abord nécessaire de situer la fonction de la guerre d’Ukraine dans la politique étrangère de l’administration Biden. Cette guerre n’est pas une fin en soi, mais un outil au service d’objectifs stratégiques plus vastes. Comme on l’a vu précédemment, pour les États-Unis, l’impératif est aujourd’hui de stopper la montée de l’Allemagne comme rival industriel et commercial, et de briser l’ascension de la Russie et de la Chine vers le statut de puissance à part entière dans un monde multipolaire.

Dès les années 40, les États-Unis pensaient leur politique étrangère en termes planétaires. L’Eurasie, cette concentration sans équivalent de ressources naturelles, humaines et d’activités économiques, reste pour eux la clé unique de l’hégémonie mondiale. Qui domine l’Eurasie domine le monde. Zbigniew Brzezinski l’avait très clairement exprimé dans son ouvrage phare (Le Grand échiquier), recommandant à l’Amérique de tout faire pour éviter l’émergence d’un rival dans cet espace géographique auquel elle n’appartient pas. Georges Friedman, ancien stratège de la CIA, n’avait-il pas souligné en 2015 que : « l’intérêt primordial des États-Unis (…) a été la relation entre l’Allemagne et la Russie, parce qu’unis ils représentent la seule force qui pourrait nous menacer. Et nous devons nous assurer que cela n’arrivera pas. »

Or, depuis deux décennies, l’Eurasie est le siège d’une coagulation menaçante de dynamisme économique et d’ambitions politico-militaires locales, sur laquelle l’Oncle Sam a de moins en moins prise. L’Allemagne y joue un rôle central dans la mesure où elle a noué avec la Russie un axe d’échanges vertueux qui lui apporte des ressources primaires bon marché, et avec la Chine, un second axe d’échanges vertueux qui offre de vastes marchés à l’échelle de sa redoutable industrie. Avec le temps ce n’est pas un rival mais trois qui sont en train d’acquérir la carrure de concurrents stratégiques de l’Amérique. L’Allemagne impose son Nord Stream 2, la Russie interfère au Moyen-Orient, et la Chine se projette dans le monde entier avec son projet « One Belt, One Road ». Pour les actuels détenteurs du pouvoir à la Maison Blanche, c’est en brisant ces deux axes, tant qu’il en est encore temps, que l’Amérique pourra remettre ces trois rivaux potentiels à leur place et conserver sa position hégémonique sur l’Eurasie.

Logiquement, la première cible choisie par Biden sera la Russie et le premier champ de bataille l’Ukraine. Ce pays est déjà le siège d’une guerre civile larvée qui concerne indirectement Moscou. Son potentiel démographique, son étendue et sa tradition hypernationaliste teintée de post-nazisme, la prédisposent à assumer le rôle de supplétif dans la guerre par procuration à venir contre le Kremlin. Biden sait que l’opinion intérieure n’accepterait pas l’engagement au sol de boys américains et il pense qu’il a les moyens de convaincre Kiev de se lancer dans l’aventure.

L’activation d’un conflit de haute intensité au sol en Europe pourra produire un choc de rupture extrêmement violent sur l’axe germano-russe, et donnera en même temps l’occasion rêvée de dégrader suffisamment le régime et les capacités militaires de la Russie pour la priver de tout rêve de puissance et d’autonomie à moyen terme.

Il est aisé d’élaborer une planification intellectuellement cohérente, mais plus complexe de la mettre en œuvre à cette échelle. Si Biden a le goût du risque, il sait aussi qu’il peut compter sur les jalons que l’Amérique a posés en Europe centrale sous son autorité de vice-président. La conception de la guerre que les États-Unis d’apprêtent à déclencher sur le théâtre ukrainien a déjà fait l’objet d’études et d’évaluations minutieuses, couronnées par des publications. La Rand Corporation (think tank dédié au conseil au Département d’État et aux agences de renseignement) rédige dès 2019 un rapport de 354 pages sur les mesures à prendre pour « Jeter la Russie à terre. » Elles seront scrupuleusement appliquées.

Les plans sont là, mais il faut absolument faire porter le chapeau du déclenchement de la guerre aux Russes. Il faut qu’ils soient perçus comme des agresseurs cruels, des hors la loi détestables, menés par un autocrate à moitié fou, ce qui justifiera devant l’opinion de leur faire une guerre économique et militaire impitoyable.

Les Américains sont des spécialistes de l’intoxication de leurs adversaires qu’ils savent pousser à la faute. En 1979, ils sont parvenus à faire croire au Kremlin que le nouveau chef de l’Afghanistan, Hafizullah Amin, s’apprêtait à les trahir et qu’il allait autoriser des États-Unis à implanter chez lui des fusées qui menaceront l’Union soviétique. Le Kremlin déclenchera une intervention pour le neutraliser mais il sera accueilli par des djihadistes armés jusqu’aux dents par Washington. Zbigniew Brzezinski reconnaitra que les États-Unis avaient entrainé Moscou dans le piège afghan : « nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam ». En déclarant à Saddam en 1990 qu’ils n’interviendraient pas dans le conflit avec le Koweït, ils l’ont poussé à attaquer, leur donnant aux Américains l’occasion de lui infliger une défaite cinglante avec l’approbation de leur opinion.

Ils comptent tenter une manœuvre du même genre avec la Russie. Elle sera forcée de mettre le doigt dans l’engrenage si leurs amis autonomistes russes de souche et la Crimée sont gravement menacés. Il suffira de pousser en coulisse les nationalistes ukrainiens à une offensive dans le Donbass pour déclencher la réaction russe que les media se chargeront de transformer en agression illégale et non provoquée.

Mais affronter la Russie est une affaire sérieuse qu’il faut soigneusement préparer. A la manœuvre, Biden et ses équipes vont commencer par fermer l’alternative du compromis, réunir une coalition puissante, renforcer le proxy ukrainien avant de contraindre l’ours russe à entrer en Ukraine. La Russie n’est pas tombée dans un piège, mais elle ne pouvait pas laisser passer une provocation de plus qui avait des implications existentielles.

I – La fermeture des options diplomatiques

Les contentieux entre Kiev et la Russie et entre les États-Unis et la Russie pouvaient être réglé par un compromis. Mais dans l’optique de Biden, le but recherché n’est pas la solution d’un contentieux, mais son utilisation pour créer un fossé infranchissable entre la Russie et l’Allemagne et dégrader les capacités militaires de Moscou. Les armes devaient parler, et pour leur donner la parole, il fallait rendre au préalable impossible toute alternative diplomatique. C’est à cela que vont travailler les équipes du président.

Le premier torpillage de l’option diplomatique est antérieur à la guerre actuelle, mais il a bien servi à la préparer. En 2014 et 2015, des accords avaient été passés à Minsk entre le gouvernement de Kiev et les autonomistes de Donetsk et de Lougansk pour mettre fin à leur cruelle guerre civile par des aménagements négociés de la constitution. Après ratification par le Conseil de Sécurité de l’ONU, ces accords étaient devenus exécutoires sous l’autorité de garants, France et Allemagne pour Kiev, Russie pour les autonomistes. Ils n’ont jamais été appliqués, et la guerre civile s’est poursuivie jusqu’à l’intervention russe de février 2024. Angela Merkel pour l’Allemagne dès juin 2022 et François Hollande fin décembre pour la France, ont expliqué que les accords de Minsk avaient en fait été utilisés pour donner à Kiev le temps de bâtir une puissante force militaire. Les deux dirigeants faisaient là sans s’en rendre compte la pédagogie de « l’ordre international fondé sur des règles » qu’ils chérissent.

Cependant, il semble que Merkel et Macron aient réellement tenté une relance de Minsk en 2019, dans une réunion à Paris avec Volodomir Zelenky en présence de Poutine. La conclusion signée par Zelensky prescrivait à Kiev d’écouter les propositions des autonomistes et d’élaborer « des dispositions particulières d’autoadministration locale – statut spécial – de certaines zones des régions de Donetsk et de Louhansk ». Français et Allemands voulaient en finir avec la guerre civile ukrainienne et ils savaient que le protocole de Minsk était la seule chance d’éteindre pacifiquement ce conflit inflammable sur le sol européen. Mais le Deep State de Washington voulait entretenir cette plaie infectée, et ses alliés nationalistes/nazis ukrainiens veillaient au grain. Zelensky s’inclina et les garants aussi, Minsk fut enterré. Quand Biden est entré en fonction, il n’y avait plus de solution pacifique sur le tapis, et bien sûr, il se garda bien d’en proposer une.

Le second coup porté à l’option diplomatique consista à introduire le sujet le plus clivant, la « libération » de la Crimée,  dans l’équation des relations russo-américaines. Washington sait parfaitement qu’il s’agit de la pierre angulaire de la défense russe sur son flanc sud et sa seule ouverture vers les mers chaudes. C’est ainsi que Zelensky prend en mars 2021 un décret dit « de désoccupation de la Crimée », qui n’était rien d’autre qu’une déclaration de guerre à la Russie. « L’Ukraine n’a nullement renoncé à récupérer les territoires qu’elle a perdus en 2014. » Il pense évidemment au Donbass, en partie contrôlé par les autonomistes pro-russes, mais aussi et surtout à la Crimée. »

La nouvelle administration de Washington est à l’évidence aux manettes. D’ailleurs, quelques mois après, Washington formalisera son alliance politico-militaire avec Kiev dans la « Charte de partenariat stratégique entre les États-Unis et l’Ukraine »  où les États-Unis épiceront encore le casus belli :

Les États-Unis et l’Ukraine ont l’intention de poursuivre une série de mesures de fond visant à prévenir une agression extérieure directe et hybride contre l’Ukraine et à tenir la Russie responsable de cette agression et des violations du droit international, y compris la saisie et la tentative d’annexion de la Crimée et le conflit armé dirigé par la Russie dans certaines parties des régions de Donetsk et de Louhansk en Ukraine, ainsi que son comportement malveillant continu. »

Or nous sommes le 10 novembre 2021, bien avant l’entrée des troupes russes en Ukraine.

Le troisième cercueil de l’option diplomatique sera ouvert avec le refus formel de Biden de négocier une nouvelle architecture de sécurité en Europe, sujet qui intéresse aussi bien les pays européens que la Russie. Mais cette dernière est au centre de la cible et se considère comme menacée dans son existence même par trois mécanismes :

  1. L’élargissement continuel de l’OTAN désormais sur ses frontières, malgré les engagements de 1990 de Georges Bush 1 et James Baker quand il avait fallu obtenir l’accord de la Russie, pays vainqueur en 1945, pour autoriser la réunification de l’Allemagne ;
  2. La liquidation de l’architecture de sécurité antérieure fondée sur les accords de limitation des armements en vigueur depuis les années 70. Elle découle de la sortie des États-Unis des accords ABM, Open Skies, et INF. Le but de ses stratèges est d’implanter des systèmes mixtes de missiles anti-missile et de missiles de croisière nucléaire à moyenne portée au centre de l’Europe, de plus en plus proches des centres vitaux russes. Avec le programme Aegis Ashore, tout tir de missile depuis les bases ouvertes en Pologne et en Roumanie devrait provoquer le déclenchement instantané d’une contre-frappe nucléaire russe, ceux-ci n’ayant pas le temps de distinguer entre un simple tir anti missile et une frappe nucléaire contre leur territoire ;
  3. La décision du sommet de Bucarest de 2008 d’intégrer l’Ukraine et à la Géorgie dans l’OTAN, alors que la Russie avait fait depuis longtemps de la neutralité de l’Ukraine une ligne rouge. L’impact de cette décision avait été amorti par l’opposition résolue d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy à sa mise en œuvre. Ils avaient obtenu le report sine die de son application. Or il faut faire sortir la Russie de ses gonds. Le chiffon rouge est à nouveau agité le 8 juin 2001 par Blinken lors d’une communication devant le Sénat : « [les États-Unis] soutiennent l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan ». En février 2022, Zelensky pressera à nouveau pour l’adhésion à l’Otan : « Il en va de même pour l’OTAN. On nous dit : la porte est ouverte. Mais jusqu’à présent, l’accès n’est qu’autorisé. »

Dans un contexte aussi incertain et périlleux, la Russie de Poutine pense diplomatie. Elle demandera l’ouverture de négociations pour une nouvelle architecture de sécurité en Europe dès l’installation de la nouvelle administration.

Poutine rencontrera brièvement Biden en tête à tête à Genève le 16 juin 2021, et le 7 décembre suivant par téléconférence. Biden, qui a signé entre temps la très menaçante Charte de partenariat avec Kiev, refuse évidemment d’ouvrir une discussion sérieuse. Dans un ultime effort Poutine présente aux Occidentaux le 17 décembre deux projets de traités dûment rédigés, qui recevront aussi des réponses dilatoires. Quand l’année 2022 s’ouvre, la Russie constate l’échec intégral de ses efforts diplomatiques et la précarité de sa position avant que le 26 janvier la Maison Blanche ne refuse officiellement les traités proposés le 17 décembre.

L’introduction d’une sémantique de guerre sera le quatrième moyen de murer l’alternative diplomatique. Une guerre commence toujours par des mots. Dès son premier coup de téléphone, le 26 janvier 2021, Biden accuse Poutine d’intrusion dans la campagne présidentielle de 2020 et de cyber attaques. Dans un crescendo calculé, Biden va introduire des injures ad hominem de plus en plus blessantes.

Après un rapport accusatoire publié la veille reprochant à Poutine d’avoir voulu favoriser Trump lors de la présidentielle, Biden est interrogé le 17 mars 2021 sur ABC par George Stephanopoulos. Le questionnement a été préparé : « Vous connaissez Vladimir Poutine. Pensez-vous que c’est un tueur ? » Joe Biden hoche la tête, puis répond : « Oui, je le pense. » Stupéfaits, les media titreront « Biden a dit que Poutine était un tueur. »

Ce n’est que le début d’une litanie d’imprécations. Poutine devient un « criminel de guerre » le 17 mars 2022 devant une assemblée de parlementaires US. Le 26 mars, en Pologne, Biden prie« Pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir » non sans avoir au préalable qualifié Poutine de « boucher ». Dmitri Peskov, le porte parole du Kremlin, en tire la conclusion politique : « les insultes personnelles de ce genre réduisent le champ des possibles pour nos relations bilatérales avec le gouvernement américain actuel. »

Il est intéressant de comparer les anathèmes anti poutiniennes de Biden aux remarques de Barack Obama sur la personnalité du leader russe qu’il a beaucoup fréquenté. Dans son interview fleuve de 2016, il dit à Jeffrey Goldberg de The Atlantic :

Poutine n’est pas particulièrement méchant. »

« La vérité, en fait, c’est que Poutine, dans toutes nos rencontres, est scrupuleusement poli, très franc. Nos réunions sont très professionnelles. »

« Il est constamment intéressé à être vu comme notre pair et à travailler avec nous, parce qu’il n’est pas complètement stupide… Vous ne le voyez pas, dans aucune de ces réunions ici, aidant à façonner l’ordre du jour. D’ailleurs, il n’y a pas une seule réunion du G20 où les Russes fixent l’ordre du jour sur les questions importantes. »

En bref, sur tous les sujets, Joe Biden a fait ce qui était en son pouvoir pour fermer les portes de la parole, du compromis, donc de la paix. C’est la première marche de son projet de défaite militaire et de dégradation du statut international de la Russie. Et cela marquera toute la première année de son mandat. Mais il aura aussi traité d’autres préalables inscrits dans son plan de guerre.

II – La mise sur pied d’une coalition indispensable

Les Américains savent qu’ils ne peuvent pas assumer leur guerre contre la Russie seuls. Ils ont absolument besoin, par exemple, d’impliquer des pays d’envergure sur les marchés mondiaux pour assurer l’efficacité de leur système de sanctions. Ils en ont aussi besoin pour partager les charges humanitaires, sociales, logistiques et militaires de la guerre.

L’Europe occidentale et l’Europe centrale sont toutes désignées pour fournir ces alliés car elles sont déjà  intégrées aux deux piliers de l’influence américaine dans la région, l’Union européenne et l’OTAN. Leur situation géographique est idéale comme bases arrière de l’Ukraine. Leur fonction d’alliés de Washington leur imposera une multitude d’obligations : recevoir des millions de réfugiés, assurer des livraisons d’armes et de munitions, organiser la maintenance des engins militaire lourds, sans oublier la formation et l’entrainement des experts et hommes de troupe ukrainiens levés par vagues pour remplacer les effectifs qui allaient fondre comme neige au soleil dans cette guerre d’artillerie.

Mais il y a un hic. Cette guerre n’est pas la guerre des Européens de l’Ouest. Aucun d’entre eux ne se sent réellement menacé par la Russie de Poutine. Aucun n’aspire à s’en prendre aux capacités militaires de la Russie ni à isoler la Chine. Au contraire aucun pays ouest-européen se réjouit de se couper des ressources primaires russes à bon prix, des marchés de la Chine, des occasions d’investissement très lucratifs en Russie et de la coopération scientifique avec Moscou sur des projets de pointe (comme ITER, fusion nucléaire contrôlé, ou la conquête spatiale).

Bien au contraire, la guerre avec la Russie, même sous l’artifice de non co-belligérance, heurte facialement leurs intérêts. Elle fait courir un risque sérieux aux équilibres socio-politiques et à l’avenir industriel d’un continent privé d’énergie et de matières premières, au moment où mal remis du Covid, il pensait en termes de transition climatique.

Comment Biden est-il parvenu à les engager dans son aventure et les maintenir si longtemps dans sa coalition ? La réponse n’est pas simple. On peut seulement évoquer des facteurs qui y ont contribué :

  • la transition de Merkel à Scholz qui a débilisé le pouvoir dans le pays phare de l’Europe, minorant la capacité des autres pays d’affirmer ouvertement leur intérêt national (à l’exception de la Hongrie) ;
  • la puissance des réseaux d’influence américains au sein des élites du pouvoir des pays et des institutions européennes. Elles sont gangrénées de haut en bas par de quasi agents d’Outre-Atlantique que leur langue et leur nationalité de papiers désigne nominalement comme allemands, français, belges, etc. mais qui ont fait allégeance à Washington ;
  • la force des moyens de rétorsion américains sur les alliés récalcitrants. Il n’y a par exemple aucune explication à la destruction « secrète » de Nord Stream 1 et 2 par des unités des forces navales américano-norvégiennes, si ce n’est forcer l’obéissance de Berlin à l’injonction de renonciation définitive au gaz russe ;
  • l’impact de l’influence américaine au sein du mainstream des media dans chacun des pays alliés. Dans de nombreux cas, le mainstream a exercé des pressions formidables sur la politique du gouvernement de leur pays, sous la dictée discrète de l’Oncle Sam. Il n’est pas bon en politique d’avoir l’opinion portée à l’incandescence face à soi. C’est par cet effet de bélier que Scholz a autorisé les livraisons de chars Léopard qu’il avait fermement refusées à Ramstein, et c’est pour la même raison que Macron a battu en retraite après avoir eu l’outrecuidance de parler de garanties de sécurité à accorder aux Russes.

En tout état de cause, Biden ne pouvait se passer de ses alliés européens avant de déclencher sa guerre contre la Russie. Ses équipes ont fourni des efforts considérables pour maintenir l’ordre dans le troupeau et le faire avancer quand il le fallait. Aujourd’hui il lui est demandé de patienter encore jusqu’à l’automne prochain, la limite ultime de la contre-offensive printemps-été que Washington et Kiev s’apprêtent à lancer. Mais nous n’en sommes pas encore là. Avant de provoquer l’intervention de Moscou, il faut permettre au régime supplétif de Kiev de supporter sans rompre le choc inouï de la guerre qui va arriver.

III – La mise en ordre de bataille du proxy ukrainien

Encore une fois, la guerre à venir va s’appuyer sur les réalisations américaines des huit années précédentes, obtenues sous l’impulsion initiale du vice-président Biden, chargé par Obama des affaires ukrainiennes. Depuis le coup de 2014, le pouvoir ukrainien sous ombrelle américaine est solidement installé avec Pedro Porochenko comme président. Une armée nouvelle a été bâtie suite aux défaites subies face aux autonomistes en 2014 et 2015. Elle a été initialement organisée, entrainée et encadrée par les américains. Elle puisera dans les énormes stocks d’armes hérités de l’Union soviétique. Cette armée fera ses premiers pas dans la guerre civile larvée du Donbass. On lui a construit des fortifications dignes de la ligne Maginot sur deux axes, face aux territoires autonomistes de Donetsk et Lougansk.

La question initiale porte sur les rapports entre l’Ukraine de Volodomir Zelensky et les Américains.  Partenariat, vassalité, ni l’un ni l’autre ? Dans ses racines, le régime de Kiev correspond parfaitement à la frontière civilisationnelle entre l’Ukraine orthodoxe à l’est et l’Ukraine uniate à l’ouest, décrite par Samuel Huntington dans son « Choc des civilisations ». Il est repose sur un socle de nationalistes uniates issus de Galicie et de Volhynie, pleins d’un mépris confinant au racisme envers les populations orthodoxes de l’Est. L’aventure de Biden ne réjouit cependant que les plus radicaux d’entre eux, où domine la geste nazie héritée de leurs ainés, et entretenue par la publication de Mémoires, de biographies, et l’organisation de cérémonies rituelles. Zelensky les a brièvement affrontés au moment de la conférence de Paris de 2019, mais il a vite compris le rapport de forces imposé aux semi modérés comme lui. Il a donc été embarqué dans l’aventure mais avec des doutes, on le verra.

L’alignement du régime de Zelensky sur les options de Biden repose sur le courant nationaliste, actif et organisé qui veut en découdre, et sur le mythe d’une solution européenne aux échecs récurrent du pays dans tous les domaines. Il ne se réduit donc pas à l’emprise politique, économique et militaire de Washington. L’oncle Sam s’est réservé les fonctions d’encadrement et de pilotage de la guerre, aux niveaux stratégiques et tactiques. Il a conscience qu’il doit octroyer une certaine autonomie à ses partenaires kiéviens pour qu’ils continuent de rassembler et de motiver les ukrainiens envoyés au front. Cela signifie que malgré sa dépendance de son grand parrain, Zelensky a une certaine prise sur les évènements. Il sait aussi exploiter son prestige dans l’opinion américaine pour le retourner parfois contre ses patrons quand ils ne livrent pas assez d’armes à ses yeux. Mais son impact sur le destin de la guerre est quasiment nul.

Biden va se charger de la mise en ordre de bataille du régime et de l’armée de Kiev quelques jours à peine après être entré dans le bureau présidentiel. Il fixe trois impératifs avant le fatidique mois de février 2022 :

  1. Nettoyer toute opposition gênante au sein du monde politico-médiatique ukrainien,
  2. Être en mesure de transférer légalement des armements modernes américains en fonction des besoins,
  3. Intégrer techniquement les forces armées ukrainiennes dans le dispositif militaire de l’OTAN.

Pour le coup de balai dans l’opposition politique ukrainienne, laissons parler la fiche Wikipedia de Zelensky

« En février 2021, suivant les recommandations du Conseil national de Sécurité et de Défense, [Zelensky] interdit trois chaînes de télévision accusées d’être des organes de propagande en faveur de la Russie. Les médias concernés (112 Ukraine, NewsOne et Zik) appartiennent au député prorusse Taras Kozak mais sont en réalité contrôlés par l’oligarque Victor Medvedtchouk, ami du président Vladimir Poutine. Cette décision intervient à la demande de l’administration américaine du nouveau président Joe Biden dans un contexte de hausse des intentions de vote pour les candidats prorusses. En août suivant, Zelensky fait également fermer le site d’information strana.ua, qualifiant ses journalistes de “propagandistes pro-russes”, et impose des sanctions contre plusieurs internautes. »

Le 20 mars 2022, selon la même procédure onze partis politiques seront interdits (Opération Z Jacques Baud p 216)

Pour le transfert d’armes, le 19 janvier 2022, plus d’un mois avant l’intervention russe, le Congrès adopte une loi pré-bail qui assure le financement d’envois d’armes en Ukraine.

Quant à l’intégration technique des forces ukrainiennes au sein de  l’OTAN, elle atteint des niveaux impressionnants. Lors de la manœuvre américano-ukrainienne en Mer Noire See Breeze, juin/juillet 2021, réunissant 30 pays et 5.000 hommes. Elle est suivie de Rapid Trident en septembre, sur le sol ukrainien, avec 6.000 hommes de 12 pays. Dans son discours du 22 février 2022, deux jours avant le début de son intervention, Poutine dresse un tableau impressionnant de l’inclusion de facto de l’Ukraine dans l’OTAN :

« Ces dernières années, des contingents militaires des pays de l’OTAN ont été presque constamment présents sur le territoire ukrainien sous le prétexte d’exercices. Le système de contrôle des troupes ukrainiennes a déjà été intégré à l’OTAN. Cela signifie que le quartier général de l’OTAN peut donner des ordres directs aux forces armées ukrainiennes, même à leurs unités et escadrons séparés. »

« (….)  le réseau d’aérodromes mis à niveau avec l’aide des États-Unis à Borispol, Ivano-Frankovsk, Chuguyev et Odessa, pour n’en citer que quelques-uns, est capable de transférer des unités de l’armée en très peu de temps. L’espace aérien ukrainien est ouvert aux vols d’avions stratégiques et de reconnaissance américains, ainsi qu’aux drones qui surveillent le territoire russe. »

« (…) Ensuite, notamment, l’article 17 de la Constitution de l’Ukraine stipule que le déploiement de bases militaires étrangères sur son territoire est illégal. Or, il s’agit là d’une convention qui peut être facilement contournée. L’Ukraine accueille des missions d’entraînement de l’OTAN qui sont, en fait, des bases militaires étrangères. Ils ont simplement appelé une base une mission …. »

La neutralité de l’Ukraine et son statut de non membre de l’OTAN sont déjà des paroles creuses ou comiques. La préparation de la guerre américaine contre la Russie sur le sol ukrainien, est achevée au début de l’année 2022. Le régime de Kiev est prêt pour la guerre que désirait sa faction nationaliste/nazie et la Maison Blanche. Cela ne signifie pas que face à la réalité de la boucherie qui se profilait, Volodomir Zelensky n’ait pas hésité, n’ait pas tenté de reporter le clash à plus tard, ni qu’une fois la guerre venue, il n’ait pas essayé d’y mettre rapidement un terme. Mais il était entre des griffes trop puissantes pour lui.

IV – Le déclenchement des hostilités

En fait, la guerre est présente en Ukraine depuis le coup de février 2014. Dès le lendemain, la Rada avait interdit l’usage de la langue russe dans l’administration et l’enseignement. Ce sera l’étincelle de la révolte de l’est ukrainien. Kiev répondra par l’envoi de l’armée et des milices néonazies financées par des oligarques, dont le fameux Ihor Kolomoïsky qui inventera le groupe Azov. C’est une guerre civile entre Kiev et les autonomistes qui commence, même si Moscou, qui n’a jamais envoyé ni troupes ni d’armes lourdes, leur apporte un parcimonieux soutien. Elle fera environ 14.000 morts dont les deux tiers selon des civils des zones autonomistes.

Biden, qui veut en découdre avec la Russie, a désespérément besoin de transformer cette guerre civile en guerre étrangère, et pour cela il faut que Moscou franchisse le Rubicon et qu’il envoie des troupes en Ukraine. La manœuvre est simple : il suffit donner l’ordre à l’armée de Kiev de balayer les républiques russophones de l’est et de reprendre la Crimée. Poutine entrera alors dans la danse pour deux motifs auxquels il ne peut pas se soustraire : protéger les Russes de souche de l’est et conserver la Crimée, porte d’entrée bicentenaire de la Russie en Méditerranée.

Les deux tiers de l’armée ukrainienne sont concentrés depuis des semaines en posture offensive, aux abords des républiques autonomistes. Elle comprend des unités d’infanterie, d’artillerie, de blindés et de génie. C’est Biden en personne qui déclenchera les hostilités, si l’on veut bien admettre que les Kiéviens ne sont pas assez fous pour provoquer l’ours russe tout seuls.

A partir du 15 février, les bombardements des territoires de Donetsk et Lougansk par Kiev entament une courbe de progression rapide. Les explosions sont dûment enregistrées par les observateurs de l’OSCE dont nul ne conteste l’objectivité. (Voir Osce Crisis Group) Elles prennent de l’ampleur jour après jour. Le nombre de frappes mensuelles du temps de la guerre civile était de l’ordre de 500 avant la prise de fonctions de Biden. De mars 2021 à janvier 2022, elles montent à 2.500 en moyenne, provoquant déjà des déplacements de population vers la Russie. Au mois de février 2022, elles vont dépasser les 8.000.

Le dos au mur, Poutine entame son intervention le 24 février, après lui avoir donné en deux un contenu légal. (Reconnaissance de l’indépendance des deux républiques, signature d’un traité d’assistance, réponse aux demandes d’assistance prévue par l’art 51 de la charte de l’ONU). Puisque guerre il doit y avoir, le Kremlin ne se contentera pas d’une campagne réactive. Il porte son effort simultanément sur plusieurs fronts, y compris sur Kiev, tout en alignant des effectifs si réduits qu’on ne peut pas détecter de bonne foi une intention de conquête ou d’annexion.

Si le plan de Biden se déroule conformément aux prévisions, il se double d’un plan médiatique d’une envergue et d’une densité sans précédent dans l’histoire. Le but est d’annihiler immédiatement toute opposition intérieure à la guerre et de conquérir les opinions en Occident où les media mainstream leurs messages aux mêmes sources. Pour parvenir à une maitrise complète de l’information, des flux massifs et permanents de messages ad-hoc à très haute densité émotionnelle inondent les différents segments de l’opinion. Pour bien faire l’Union européenne interdit tous les canaux d’information russes. Le choc de sidération par l’image, la vidéo, l’interview, le commentaire, sera d’une violence telle que toute expression de doute, toute interrogation, toute observation critique, sera une preuve de culpabilité propre à briser d’un coup la carrière de son auteur. Les plateaux télévisés réunissent jour après jour des participants strictement sur la même ligne, jusqu’à aujourd’hui. Quand Ségolène Royal faute, elle est mise à pied dans les 48 heurs par LCI. Olivier Todd avoue qu’il a attendu près d’un an avant d’oser dire ce qu’il pense en public.

Ce verrouillage n’a pas été obtenu en se croisant les bras. Par exemple, une équipe de chercheurs de l’École de science mathématique de l’université australienne d’Adélaïde, qui a eu accès aux bases de données de Twitter (elles peuvent être ouvertes aux chercheurs) durant les deux premières semaines de l’intervention russe, a pu étudier plus de 5 millions de tweets émis dans cette période.. Ses travaux publiés le 20 août 2022 montrent que sur les plus de 5 millions de tweets étudiés, 90.2 % provenaient de comptes pro-Ukraine, moins de 7 % de comptes étiquetés pro-russes, et que ces tweets avaient été conçus pour « susciter la peur et un niveau élevé d’angoisse. »

Cette campagne antirusse provenait de fermes de robots utilisant de faux comptes Twitter automatisés (60 à 80% des tweets). Elle avait été menée à un rythme intensif de 38.000 par heure le premier jour et 50.000 par heure le troisième jour, « comme si quelqu’un avait appuyé sur une interrupteur au début de la guerre » selon Peter Cronau.

L’emprise sur les media est une banalité en temps de guerre. Le but est d’unir un pays derrière ses chefs et son armée. Ce qui fait la différence ici, c’est l’ampleur des géographies couvertes par tous les types de véhicules. Les opinions de pays occidentaux hétérogènes par nature sont frappées par le même régime de transe émotionnelle. C’est ainsi que le pouvoir médiatique passe des gouvernements locaux aux autorités de Washington qui utiliseront indirectement les opinions intérieures locales pour faire pression sur les dirigeants alliés passifs ou récalcitrants. On connait les mésaventures de Scholz et de Macron avec leurs propres media. Ils ont tenté de se faire pardonner de leur relative réserve en dégarnissant un peu plus leurs arsenaux de Léopard, de Marder, de Caesar, de Patriot et de Mamba.

Le plan Biden est habile. Poutine est entré en guerre, le changement de régime à Moscou est semble-t-il sur les rails, les alliés marchent au pas de peur d’être en butte à leur propre opinion, ils s’auto-punissent un peu plus en adoptant des sanctions encore plus sévères que celles de Washington, et Kiev ne barguigne pas sur le sang ukrainien qu’il répand pour aller au bout de ses obligations de supplétif.

V – Le sabotage des tentatives de cessation des hostilités

Biden tient bien entendu à ce que la guerre dure de façon à rendre irréversible la fracture entre la Russie et l’Europe de l’ouest et épuiser son potentiel militaire. Mais très vite, l’engrenage guerrier va s’enrayer car ni les Russes, ni les Ukrainiens n’ont vraiment le désir de s’entretuer pour le compte du parrain d’Outre-Atlantique qui n’a pas engagé ses propres troupes dans le chaudron.

  • Ainsi, dès le lendemain de l’intervention russe Zelensky, en dirigeant responsable cette fois-ci, envoie des émissaires à Minsk pour parler avec les Russes. Il demande à Naphtali Bennett, alors premier ministre d’Israël, de tenter une médiation en se rendant à Moscou. Dans son interview du 4 février 2023, ce dernier révèle que: « [Zelensky] était convaincu qu’il y avait une fenêtre réduite dans laquelle un accord pourrait être conclu pour mettre fin à la guerre …j’avais l’impression qu’ils voulaient tous les deux [Zelensky et Poutine] un cessez-le-feu ». Du côté ukrainien, il avait réussi à obtenir une concession de Zelensky : revenir sur son intention de rejoindre l’Otan. Les discussions avancent, mais l’Amérique et les Européens ne l’entendent pas de cette oreille. « Tout ce que j’ai fait était coordonné avec les États-Unis, l’Allemagne et la France » poursuit Bennett, signalant sans critiquer la volonté des Occidentaux de « rompre les négociations… ils ont bloqué le processus de négociation…». 

En fait l’Europe et l’Amérique annoncent à l’Ukraine, en contrepartie à la poursuite de la guerre, des livraisons d’armes pour plusieurs centaines de millions de dollars. A chaque inflexion de Kiev vers la discussion et le compromis, les Occidentaux étoufferont le risque de paix avec des « paquets » d’armements plus sophistiqués et de plus grand pouvoir létal.

Biden a encore gagné, la guerre se poursuivra. Mais Zelensky, au pied du mur, a montré d’emblée qu’il se passerait bien d’une guerre avec la Russie, en prenant des risques avec ses redoutables amis nationalistes et ses donneurs d’ordres de Washington.

  • Une seconde alerte intervient quelques semaines plus tard. Les discussions ouvertes à Minsk sont suivies des pourparlers d’Istanbul sous de patronage de Recep Tayyip Erdogan. Encore une fois la négociation Ukraine – Russie est en passe d’aboutir : un projet d’accord est rédigé. Zelensky propose :
  1. La neutralité de l’Ukraine avec des garanties internationales ; il n’adhérera pas à l’OTAN ;
  2. L’engagement de ne pas tenter de reprendre la Crimée par la force et de faire des zones de Donetsk et Lougansk des « territoires séparés » ;
  3. Le refus de bases étrangères sur son territoire et le consentement de garants avant d’organiser des exercices militaires internationaux d’importance.

En échange, la Russie renoncera à la « dénazification » et acceptera l’adhésion de l’Ukraine à l’UE

Les anglo-saxons paniquent. Biden envoie Boris Johnson à Kiev pour refuser l’application de l’accord d’Istanbul sous peine de désaveu et de retrait de toute assistance. Il est probable que Bojo a proféré des menaces directes sur sa personne, et qu’il a promis que les armes les plus modernes couleront à flot en cas de rupture. Encore une fois Zelensky s’incline. Il a désormais compris à quel point ses marges de manœuvre sont limitées. Sa rhétorique va se modifier et il se posera désormais comme un jusqu’auboutiste, en phase avec les nationalistes et les néonazis qui l’entourent.

Le coulage des deux tentatives de compromis mettent en pleine lumière la responsabilité du pouvoir américain dans le déclenchement de cette guerre féroce. Désormais la voie est libre pour l’escalade que les néocons de Washington avaient planifiée. La guerre « jusqu’au dernier ukrainien, » qui coûte « peanuts » en regard de ses avantages, durera tant qu’ils le voudront.

A la fin de la première année de guerre, de la seconde année si l’on prend en compte l’année de préparation entamée avec le mandat de Biden, de la neuvième si l’on inclut la guerre civile consécutive au coup de Maïdan dont les affrontements actuels ne sont que le prolongement, Biden a réalisé au moins deux objectifs de ses visées planétaires:

  • L’introduction d’une rupture profonde et durable entre l’Europe occidentale, en particulier l’Allemagne, et la Russie ;
  • Le ralentissement de la modernisation de la Russie et de son affirmation dans les affaires mondiales.

Surtout l’axe vertueux germano-russe est effectivement rompu, et Nord Stream 1 & 2 gisent au fond des eaux, une illustration des méthodes du suzerain Yankee à l’endroit de ses vassaux indociles, aussi puissants soient-ils.

Le second volet de l’agenda planétaire américain sous Biden est de rompre aussi l’axe vertueux germano-chinois.

Biden n’y a jamais renoncé, malgré la mobilisation de son personnel de haut rang sur la guerre en Europe. Son action « anti germano-chinoise » s’est quand même développée avec une grande vigueur dans deux grandes directions :

  1. La dégradation des relations d’État à État avec la Chine. L’objectif est de créer une atmosphère irrespirable entre elle et les Occidentaux, très défavorable à la poursuite du commerce et de multiples projets économiques et technologiques, en pariculier avec l’Allemagne. Les provocations se sont enchainées à un rythme soutenu, marquées par les voyages de Nancy Pelosi et des membres du Congrès à Taïwan, la radicalisation de la mince faction indépendantiste taïwanaise, la multiplication des sanctions, la rupture brutale de la coopération dans les hautes technologies, et les plans de livraison d’armes à Taïwan.
  2. Les alliés de la zone indo-pacifique (Japon, Australie, Corée du sud, Philippines) sont incités à préparer une guerre présentée comme inévitable avec la Chine, qui suivrait son attaque imaginaire de Taïwan. Les alliés sont fortement encouragés à réduire leurs liens économiques avec elle, et à adopter des programmes de réarmement massifs à l’exemple du Japon tandis que Washington ouvre de nouvelles bases aux Philippines.

Après une année de tensions montantes avec la Chine, Washington est parvenue à crisper les relations de ses alliés du flanc est de l’Eurasie et d’Europe de l’ouest avec l’Empire du Milieu. L’approvisionnement et les chaines logistiques des uns et des autres sont hautement interdépendantes. On ne bouscule pas la structure des échanges internationaux d’un revers de manche. Les Américains vont peut-être prendre conscience de leurs limites et des conséquences de la fracturation du monde en blocs autonomes sur leur leur volonté illusoire d’hégémonie mondiale. Car repasser d’un monde multipolaire de facto à un monde unipolaire, c’est un peu comme faire rentrer le dentifrice dans son tube.

Biden n’a plus beaucoup de temps pour ériger sa propre statue et il semble vouloir prendre sa revanche sur les douloureuses avanies qu’il a subies comme vice-président. Il s’est engagé dans des politiques trop brutales à l’encontre de trop d’adversaires et de partenaires pour que l’issue de ses prises de risque ne soit pas plus cuisante qu’il ne l’imagine.

 

Source: Dialexis

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Jean-Pierre Bensimon
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2 thoughts on “Ukraine: une guerre non provoquée, vraiment? (partie 2)

  • Merci pour cette excellente synthèse, parties 1 et 2, et notamment l’explicitation des buts de guerre de Washington.

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  • Merci pour ce remarquable décryptage de la situation internationale, hélas émaillé de quelques typos (grammaire, mots manquants). Je suppose qu’une fois ces détails corrigés, cet article deviendra une référence sur le sujet. J’attends la suite avec une certaine impatience…

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