Le risque que l’île de Taïwan soit utilisée par les États-Unis pour provoquer la Chine, comme ils l’ont fait avec l’Ukraine contre la Russie, afin de saigner et d’affaiblir le géant asiatique d’un point de vue économique et militaire dans l’espoir de porter ensuite le coup décisif, est très haut. Cela se produira probablement sur une période plus longue que dans le contexte ukrainien, puisque l’OTAN semble actuellement engagée à contenir l’avancée russe en Ukraine et s’exposer sur deux fronts, l’un en Europe et une éventuelle guerre dans le Pacifique, serait incroyablement difficile et cher. L’alliance QUAD pourrait être considérée comme une sorte d’OTAN asiatique prête à frapper lorsque la dédollarisation des marchés des pays BRICS ou BRICS+ sera achevée.

Entre Chine et USA

D’un point de vue géographique il n’y a pas de comparaison entre les deux Chines : la populaire est immense avec 9,6 millions de km², contre Taïwan qui n’a que 36 000 km2. Quant à la population, 1,4 milliard pour la République populaire de Chine contre 23,5 millions pour Taïwan. Il existe aussi de grandes disparités concernant les armées et les économies. Les deux pays sont séparés par une étendue de mer de 160 km: le détroit de Taiwan dans la mer de Chine méridionale.

Les États-Unis ne la reconnaissent pas diplomatiquement, mais se sont donnés la lourde tâche de la protéger d’une probable agression chinoise (Taiwan relation act de 1979 et fourniture continue d’armes et d’équipements made in USA) qui ne reconnaît pas l’île comme autonome selon le principe: un pays, deux systèmes.

Perspective historique

Taïwan a toujours été une terre de conquête puisque les populations originelles étaient des Austronésiens[1] du Pacifique du Sud qui s’y sont installés à une époque très ancienne. Dans la seconde moitié du XVIIème siècle arrivent les Européens. D’abord les Espagnols, au nord, qui lui ont donné le nom de Formosa, qui signifie “belle” en portugais, car près d’un siècle plus tôt des marins portugais l’avaient aperçue et l’avaient trouvée très florissante. Inutile de dire que plus tard les Hollandais sont arrivés avec la compagnie hollandaise des indes orientales (Verenigde Oostindische Compagnie) et ont colonisé la partie sud. Plus tard vinrent les Chinois utilisés comme main-d’œuvre bon marché par les Hollandais. Mais le véritable tournant se situera en 1895 avec la première guerre sino-japonaise et l’invasion conséquente du pays du soleil levant. L’île est devenue japonaise en vertu du traité de Shimonoseki et l’est restée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle est également considérée par le Japon comme sa zone d’intérêt même si ce n’est pas officiellement en raison de sa proximité avec les îles Senkaku et de la possibilité d’accords commerciaux fructueux. Une autre date importante est 1949 avec la proclamation de la République populaire de Chine de Mao Zedong et la fuite consécutive de Chiang Kai Shek vers l’île taïwanaise. La guerre de Corée va diviser la péninsule coréenne en deux entités totalement distinctes : une communiste et totalitaire au nord, alliée de la Chine, et une autre libérale et démocratique au sud, l’actuelle Corée du Sud, alliée de les États Unis. Ces derniers empêcheront Mao d’envahir l’île en militarisant le détroit de Taiwan.

Dans un premier temps, les Américains reconnaissent Taïwan comme la vraie Chine[2] et installent des bases militaires pour mieux contrôler la mer de Chine méridionale. Ils financèrent de nombreuses entreprises et au fil des années l’île devint un pays leader dans la construction de microchips en s’appropriant le savoir-faire américain. En 1971, la République populaire de Chine est reconnue par la communauté internationale et admise à l’ONU, suscitant polémiques et protestations à Taipei, qui en est exclue. En 2013, avec l’élection de Xi Jinping, les relations deviennent plus tendues avec Taïwan qu’avec Hu Jintao, son prédécesseur jugé plus “pro-américain”. En fait, ce dernier a été chassé par Xi lors du dernier congrès du PCC.

La visite surprise en août 2022 de la présidente de la Chambre Nancy Pelosi a exaspéré les autorités chinoises, mettant en péril les relations diplomatiques entre les deux pays. Cette provocation a un précédent en 1997 lorsque Newt Gingrich, président de la chambre à l’époque, a visité l’île pendant 3 heures après avoir été à Pékin. Cependant, venant de Pelosi c’était un geste symbolique clairement anti-chinois et une reconnaissance informelle de l’île comme indépendante, conduisant à une plus grande militarisation de la mer de Chine méridionale par la Chine avec le risque de provoquer une escalade militaire, mais peut-être est-ce e but de l’État profond américain… Peut-être un nouvel incident du Golfe du Tonkin pour soutenir Taïwan face à la Chine et semer la pagaille dans la zone, bien que cette hypothèse paraisse bien éloignée pour le moment.

Une poudrière prête à exploser

Il est probable que 30 000 soldats américains soient stationnés à Taïwan, comme l’a révélé le sénateur américain John Cornyn dans un tweet promptement supprimé, comme le rapporte le Japan Times du 18/08/2021. Peut-être que le vieux sénateur en avait trop révélé?

D’un point de vue géopolitique, il est essentiel de souligner les rivalités entre les deux acteurs, qui pourraient être très dangereuses pour un conflit dont le casus belli pourrait être causé par un éventuel “false flag” américain, car les îles Spratly sont disputées également par d’autres États d’Asie du Sud-Est, tels que : le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et Brunei, car l’archipel est riche en pétrole dans ses profondeurs. Les îles Paracels au large des côtes du Vietnam sont également disputées, également riches en pétrole et en gaz naturel, ce qui convient évidemment aux deux nations, la mer étant également riche en poissons. La Chine doit nourrir 1,4 milliard de personnes, on comprend donc son intérêt puisqu’elle n’est pas autosuffisante sur le plan alimentaire. Sans oublier les îles Pratas à environ 340 km au sud-est de Hong Kong qui appartiennent à Taïwan, mais que la Chine revendique évidemment, ainsi que les îles Pescadores et Matsu.

Un autre différend important et dangereux est celui qui oppose la Chine et le Japon pour la souveraineté des îles Senkaku qui font partie de la préfecture d’Okinawa, qui est l’archipel à l’extrême sud du Japon. Ces îles inhabitées ont été conquises par les Japonais en 1895 et annexées avec Taïwan et, selon la position du Japon, n’appartenaient à personne avant l’annexion, donc incorporées en vertu du principe juridique de terrae nullius. La Chine, d’autre part, affirme qu’elle les a découverts et cartographiés plus tôt et qu’ils appartenaient à Taïwan alors qu’il s’agissait d’une région chinoise. L’intérêt géostratégique de la Chine est évident, outre la position géographique, le fait habituel qui intéresse les Chinois : une forte abondance de poissons dans la mer, des ressources minérales abondantes et la présence potentielle de pétrole et de gaz à proximité des îles, comme l’a déclaré la commission économique pour l’Asie et l’Extrême-Orient de l’ONU.

Les États-Unis sont intéressés par le différend car ils ont une base navale dans les îles Ryukyu et à nouveau dans la préfecture d’Okinawa. Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont conclu un accord avec les Japonais qui prévoyait la présence d’armes nucléaires, officiellement il n’y en a plus depuis 1972, suscitant la protestation des citoyens sensibles à la question pour des raisons évidentes. Comme l’a révélé sur son lit de mort l’ancien diplomate japonais Kei Wakaizumi, il existe un accord secret entre Nixon et Sato (ancien premier ministre japonais), avec la médiation du secrétaire d’État de l’époque, Kissinger, concernant un retour de la bombe atomique au Japon en cas d’urgence (déclarée unilatéralement et arbitrairement par les États-Unis) et le droit de transit vers Okinawa. Le réarmement et l’activisme japonais de ces derniers temps, sous les ordres de Washington, rend les Chinois très inquiets et rend plus probable un tel accord. Une éventuelle attaque militaire chinoise pour prendre les Senkaku, qui ne sont pas militairement défendues, activerait le casus foederis et donc l’entrée en guerre des États-Unis avec le Japon, conformément à l’art. 5 du traité d’assistance mutuelle et de coopération, comme le rapporte l’article de Foreign Policy du 12 septembre 2012 « Why the Japan-China Island dispute is a American problem ».

De retour à Taïwan, l’intérêt chinois est d’empêcher les États-Unis d’obtenir des microchips taïwanaises bon marché. Le rêve chinois serait de faire de l’île une région autonome comme Hong Kong et Macao et pourrait établir une zone d’exclusion aérienne pour empêcher un autre incident comme cet été avec Pelosi ou une provocation avec des agents provocateurs payés par la CIA ou une révolution de couleur. Le pays a également une autre préoccupation qui est de pacifier les régions considérées comme rebelles que sont le Tibet, le Xinjiang et la Mongolie Intérieure et de stabiliser ces territoires et assurer une paix intérieure, notamment le Xinjiang, lui permettrait d’accéder facilement au port de Gwadar au Pakistan, un débouché direct pour la Chine dans l’océan Indien en contournant les détroits encombrés de l’Asie du Sud-Est. Le Xinjiang est une plaque tournante clé pour le commerce chinois vers l’ouest en utilisant le port de Gwadar à travers le CPEC (China-Pakistan Economic Corridor) et donc le pacifier rendrait les routes commerciales plus sûres.

La Chine n’est pas intéressée par la guerre, elle est intéressée par la paix pour mener ses affaires, mais elle veut se préparer et être autonome d’un point de vue énergétique et alimentaire en améliorant l’armée et la marine pour un probable affrontement avec AUKUS (Alliance anti-chinoise de pays anglo dans le Pacifique). Nous verrons comment la situation évolue.

Filippo Zicari

Notes:

  1. Blust, Robert (1999). “Subgrouping, circularity and extinction: some issues in Austronesian comparative linguistics. in E. Zeitoun & P. J. K. Li (a cura di). Selected papers from the Eighth International Conference on Austronesian Linguistics (pp. 31–94)
  2. Ling, Huping; Austin, Allan W., Asian American History and Culture, Routledge 1st edition (February 15, 2010).
STRATPOL

2 thoughts on “Le danger de Taïwan

  • Quand est-ce que la ” Communauté Internationale ” ( c’est-à-dire les nazis anglo-saxons américains, britanniques et autre racaille ) vont finir par se mettre dans la tête que l’île de Taïwan a été restituée à la République Populaire de Chine le 25 Octobre 1971 ? Ces cons ne savent pas lire ?
    En effet, à cette date a eu lieu une Assemblée Générale des Nations-Unies ( 128 membres à l’époque ) pour statuer sur le sort de la Chine. Une résolution, portant le n° 2758 ( XXVI ) a été soumise au vote des états-membres.
    Elle s’appelle ” Rétablissement de la République Populaire de Chine dans tous ses droits, et reconnaissance des représentants de son gouvernement comme les seuls représentants de la Chine à l’organisation des Nations-Unies “, ainsi que l’expulsion immédiate des représentants de Chang Kaï-chek du siège qu’ils occupent illégalement à l’ ONU depuis 1949, et dans tous les organismes qui s’y rattachent.
    Il me semble que cette résolution a le mérite d’être claire ! La République de Chine du Kuomintang, qui dirigeait la Chine traditionnelle et ses îles depuis Taïwan , cède la place à la République Populaire de Chine ( autrement dit, Taïwan appartient à la Chine, ainsi que d’autres îles ).
    A noter que 84 % des habitants de Taïwan sont des chinois de l’ethnie Han, qui parlent mandarin et wu.
    Donc, changement de propriétaire !
    Le vote a donné ces résultats :
    Pour 76
    Contre 35
    Abstentions 17
    D’ailleurs les Etats-Unis ont fermé leur ambassade à Taïpei pour en ouvrir une à Beijing, et ont même dénoncé l’accord de défense entre l’île chinoise de Taïwan et les Etats-Unis !
    Alors, mes chéris un conseil : si vous ne voulez pas voir votre ” Invincible Armada ” servir de refuge aux poissons au fond de la mer de Chine, allez jouer ailleurs ! Vous n’êtes plus de taille, vous êtes trop près de la Chine, et trop loin des côtes de Californie !

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  • Quand va t on éradiquer une fois pour toute ces fouteurs de guerre partout où ils passent dans le monde ? Oui quand? Le dit monde ne connaîtra de paix que lorsque Russie et Chine auront conjointement réglé définitivement le problème. Donc vitrifiez nous ces merdes une fois pour toute .

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