Entretien avec Nikola Mirkovic, observateur des élections présidentielle et législatives en République Populaire de Donetsk
Xavier Moreau : Nous vous retrouvons dans le Donbass, où vous êtes souvent présent, à l’origine pour des raisons humanitaires, puisqu’avec l’association que vous avez créé, Ouest-Est, vous venez en aide aux russes du Donbass dans différents endroits, que ce soit les écoles, les orphelinats, les hôpitaux… Vous venez aussi en aide aux particuliers.
Cette fois, vous êtes revenu en tant qu’observateur des élections qui ont lieu à l’heure où nous réalisons cette vidéo. Elections législatives, mais également présidentielle, pour élire le président qui va remplacer le président Zakhartchenko assassiné il y a 3 mois par Kiev.
Dans un premier temps, pouvez-vous nous expliquer quel est le contexte de cette élection ? Puis nous reviendrons sur ce que vous avez observé à cette occasion.
Nicolas Mirkovic : Aujourd’hui, cela fait depuis 2014 qu’il y a deux républiques qui ont fait sécession de l’Ukraine : la République Populaire de Donetsk et la République Populaire de Lougansk.
Pourquoi ? Parce qu’après le coup d’Etat de février 2014 durant lequel, par la force et la violence, les extrémistes de Maïdan ont pris le pouvoir et chassé le président démocratiquement élu Viktor Ianoukovytch. Ces extrémistes, on le sait, sont financés par Washington, Victoria Nuland l’a avoué, il y a des enregistrements… Ce coup d’Etat réalisé par des nazillons avait pour objectif d’empêcher les russophones du pays de parler le russe. Je dis “russophones du pays”, mais il faut savoir que le russe est la lingua franca du pays, c’est la langue la plus parlée.
Qu’ont donc fait ces régions ? Evidemment, elles ont eu peur. Il fallait se défendre : un coup d’Etat ayant eu lieu, ils se sont organisés en République et, comme l’a fait Maïdan, pour se défendre, ils ont pris les armes, car Kiev a envoyé ses extrémistes pour apprendre à ces russophones comment vivre dans la nouvelle junte. Ils l’ont refusé et nous avons malheureusement aujourd’hui la guerre.
Ces deux républiques ont une Constitution, issues d’un suffrage populaire (il y a eu des référendums). Les deux Républiques ont très majoritairement souhaité l’indépendance. Ils se sont engagés. Et l’un des présidents de ces République, Alexandre Zakharchenko, a été assassiné, alors qu’il était un acteur majeur dans ce combat, qui avait pris les armes, avait été blessé, était très apprécié, un homme qui parlait de la guerre et la faisait. Il a été assassiné dans des conditions terribles…
La DNR doit élire un nouveau chef. C’est une démocratie républicaine.
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Xavier Moreau : Que répondre alors à Madame Mogherini, haute représente de la PESC (Affaires Extérieures de l’Union Européenne) qui considère que cela va à l’encontre des accords de Minsk et de la loi internationale ?
Nicolas Mirkovic : C’est presque terrifiant d’entendre cela, car il ne faut pas oublier que le pouvoir actuellement en place à Kiev tient sa légitimité du corps atlantiste, occidental, qui a pris le pouvoir par la force. Parler de démocratie en ce sens est contre-nature. On ne peut pas prendre le pouvoir par la force à Kiev puis donner des leçons de démocratie !
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Xavier Moreau : Mais est-ce que oui ou non la DNR respecte les accords de Minsk en organisant une telle élection ?
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Nicolas Mirkovic : La DNR respecte complètement les accords de Minsk II. Il ne faut pas oublier que dans ces accords, il existe une chronologie, dans laquelle les Républiques de Lougansk et Donetsk doivent obtenir leur autonomie, puis voter pour élire leurs élus et enfin, l’Ukraine, à la fin, pourrait reprendre ses frontières.
Aujourd’hui, c’est l’Ukraine qui ne respecte pas ces accords. Rappelons également que les Accords de Minsk II prévoient un cessez-le-feu que Kiev ne respecte absolument pas non plus. On l’a entendu encore hier soir, il y a des bombardements quotidiens sur les positions de Donetsk et Lougansk. Kiev a rapproché son artillerie lourde de la ligne de front.
D’un côté, Kiev ne respecte rien et de l’autre, les nouvelles Républiques vivent simplement leur nouvelle démocratie. Il faut aussi souligner l’hypocrisie de Kurt Volker, qui dénonce l’élection et à la fois signe les Accords de Minsk.
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Xavier Moreau : D’autant plus que les accords avaient été à l’époque signé par Zakharchenko…
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Nicolas Mirkovic : Exactement. Il faut bien le remplacer, mais il y avait déjà un président et il faut bien une autorité avec laquelle négocier.
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Xavier Moreau : Vous parliez de vie démocratique. Aujourd’hui, vous avez fait un grand tour des bureaux de vote à Donetsk et dans les villes alentours. Ils sont 4 millions d’habitants dans le Donbass, dont 2,5 millions en DNR. Qu’avez-vous vu au niveau du processus ? Des fraudes ?
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Nicolas Mirkovic : J’étais observateur international, avec des français, des italiens, des allemands, … Nous sommes venus pour nous assurer de la bonne conduite de ces élections. A ce propos, j’ai vu un processus tout à fait normal. L’utilisation de l’isoloir était systématique, il n’y a avait pas de pression (au contraire, il y avait une véritable pluralité). La procédure était donc tout à fait normale.
Une seule chose m’a peut-être choqué, par rapport à ce que nous avons l’habitude de voir, c’est l’existence d’une espèce de démocratie festive. Autour des bureaux de vote, des chorégraphies sont improvisés par des enfants. On assiste à un moment presque jubilatoire de pouvoir choisir son candidat. Il ne faut en effet pas oublier qu’il y a encore peu, ces personnes avaient peur jusqu’à parler leur propre langue. On se plaint souvent qu’à l’Ouest, le vote décline ou que l’on vote par défaut, ici, les personnes font la queue pour entrer dans l’isoloir et voter.
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Xavier Moreau : On annonce une très forte participation. Cela vous parait plausible ?
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Nicolas Mirkovic : Tous les bureaux que j’ai vus étaient pleins, alors qu’il ne fait pas particulièrement beau. Les gens font confiance dans leurs responsables, leurs chefs, dans ceux qui ont décidé d’organiser l’élection, de s’engager dans l’indépendance. Il y a une vraie adhésion.
Il ne faut pas oublier que dans cette élection, les habitants défendent leur maison, leur histoire, leur ville, ce qui n’est pas le cas des miliciens néo-nazis envoyés ici ou des malheureux conscrits envoyés des quatre coins de l’Ukraine pour combattre ici et qui n’ont pas du tout envie de faire la guerre. On a beaucoup de désertion dans l’armée ukrainienne du fait de l’incompréhension, car c’est une guerre fratricide.
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Xavier Moreau : Nous apprenons à l’instant que Pouchiline vient de remporter cette élection. Denis Pouchiline est l’ancien Premier Ministre de la DNR et était surtout chargé des négociations durant le processus de Minsk. Quel commentaire pouvez-vous faire sur cette personne assez jeune ?
Nicolas Mirkovic : Ce n’est pas surprenant. J’ai déjà eu l’occasion de le rencontrer, de discuter avec lui, d’organiser avec lui une conférence. C’est finalement la continuité. Il était dans l’équipe de Zakharchenko et comme celui-ci était très apprécié, c’est assez logique que son bras droit soit élu. Il a un profil complètement différent, c’est donc la continuité mais avec de la nuance, en ce sens qu’il a plus un profil de politique. Cela montre bien que les habitants de la DNR veulent rapidement atteindre la paix.
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Xavier Moreau : Sa campagne était très axée sur l’ouverture de centrales électriques, la construction d’infrastructures, … C’est un peu celui qui veut sortir de la situation belliqueuse. Il veut sortir de la guerre et préparer la paix.
Nicolas Mirkovic : C’est dans la logique de l’objectif des deux républiques : assurer leur pérennité. On ne peut en effet pas espérer leur retour du jour au lendemain dans l’Ukraine.
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Happy for Donbass people. God help and bless you all !