Suivant les informations diffusées par la direction de la centrale électronucléaire de Zaporojié, l’incendie des structures internes de l’un des deux réfrigérants atmosphériques, survenu le 11 août 2024, n’a occasionné que des dégâts matériels. Toujours suivant ces mêmes informations, l’origine en serait une action menée par deux drones de l’armée otano-ukrainienne mais que les experts sur place de l’AIEA semblent contester car aucun débris n’aurait été retrouvé. Toutefois, quelle qu’en soit cette origine, il s’agit ici d’un événement qui risque fort d’être assez rapidement oublié par les médias mais dont l’importance mérite pourtant que l’on s’y arrête pour une réflexion plus approfondie. En effet, s’agissant d’un composant de centrale électronucléaire, même secondaire, le sujet reste des plus sensibles. Ainsi, beaucoup de choses se disent et s’écrivent y compris les plus délirantes conduisant souvent pour différentes raisons parfois inavouables, à l’inquiétude entretenue plus ou moins généralisée.

carte des centrales nucléaires d'Ukraine
carte des centrales nucléaires d’Ukraine

La centrale électronucléaire de Zaporojié (Aussi écrit Zoporidjjia ou Zaporizhzhia)

Equipée de six groupes VVER (Vodo-Vodianoï Energuetitcheski Reaktor) de 1 000 MW, elle est la plus puissante côté européen, suivie de peu par la centrale électronucléaire de Gravelines (Nord de la France), soit six tranches de 910 MW. Son refroidissement est assuré par le réservoir de Kakhovka situé en amont, soit 1850 km², alimenté par le Dniepr. L’installation fut mise sous contrôle russe immédiatement deux jours après le début de l’opération spéciale, soit le 24 février 2022 et désormais propriété de la Russie suite à un décret prononcé par le Président Vladimir Poutine le 5 octobre 2022.

Initialement sous gestion d’ENERGOATOM, la compagnie nationale ukrainienne, le contrôle de la centrale serait aujourd’hui assuré par ROSATOM ou une filiale, entreprise d’état russe chargée de l’énergie nucléaire civile. Par suite des nombreux bombardements ukrainiens sur l’installation, tous les réacteurs sont désormais à l’arrêt depuis juin 2023.

Avec toutes les réserves qui conviennent, l’on en trouve d’ailleurs une liste édifiante sur Wikipédia, soit pas moins de huit attentats. A cela s’ajoute dans la nuit du 5 au 6 juin 2023, une intervention des troupes ukrainiennes qui feront sauter en partie le barrage de Kakhovka, occasionnant une forte baisse de niveau et comme on peut l’imaginer, de très importantes inondations consécutives en aval. Cet acte nécessitera de modifier l’alimentation en eau de la centrale pour assurer le refroidissement des réacteurs à l’arrêt et du combustible nucléaire usé placé dans les piscines de désactivation.

De la responsabilité des actes

Ce document ne constitue qu’un résumé dont l’objectif n’est pas de déterminer les responsabilités. Toutefois, il faut bien admettre que de telles actions relèvent de pur terrorisme, de plus mettant en jeu une installation nucléaire ce qui fait preuve de la meilleure inconscience. Naturellement, la responsabilité en sera attribuée à la Russie. Néanmoins, l’on voit tout de même assez mal ce pays auto-bombarder ses propres troupes et même aller jusqu’à endommager le barrage de Kakhovka ce qui allait clairement contre l’intérêt de l’armée russe qui sera obligée de modifier localement ses plans d’occupation du Donbass.

L’affaire se répétera avec l’action menée par le régime de Kiev dans la région de Koursk le 6 août 2024 dont l’objectif avoué par certains responsables ukrainiens était également d’envisager la prise de contrôle de la centrale électronucléaire russe du même nom, plus précisément située près de la ville de Kourchatov, à environ 40 km de Koursk (Nord-est de la carte ci-dessus).

Centrale électronucléaire de Koursk (Ville de Kourchatov). 4 groupes RBMK de 1000 MW. Les tranches 1 et 2 sont en arrêt définitif. Deux Groupes VVER (Filière russe) de 1 300 MW sont en construction.

Rôle et structure d’un réfrigérant atmosphérique

Dès l’instant où l’on fait appel à un cycle thermodynamique pour obtenir de l’énergie électrique, cela implique la transformation de l’énergie thermique en énergie mécanique, ce qui nécessite un échange entre une source chaude (Carburant, énergie nucléaire…) et une source froide qui est généralement le milieu ambiant naturel. Cela s’applique, évidemment, aux turbines à vapeur accouplées à un alternateur (Groupe TurboAlternateur – GTA) des centrales électriques. La quantité d’eau nécessaire pour le refroidissement est proportionnelle à la puissance du groupe générateur et à son rendement thermodynamique. Pour mémoire, dans une centrale électrique, quelle qu’en soit la nature, l’eau de refroidissement du condenseur n’est pas consommée mais retourne au fleuve ou à la mer (Eau brute). Le condenseur est simplement un très gros échangeur de chaleur situé sous l’échappement des étages basse pression de la turbine.

Schéma de principe d’un condenseur de turbine à vapeur
Schéma de principe d’un condenseur de turbine à vapeur, soit alimenté par l’eau d’un fleuve, celle d’un océan ou depuis un réfrigérant atmosphérique.

Comportant des milliers de petits tubes parcourus par l’eau brute (Fleuve, mer, lac, réfrigérant atmosphérique), celle-ci voit sa température augmenter de 12 à 15°C en moyenne sous l’effet de la condensation de la vapeur d’échappement sur ceux-ci. Quant à l’eau déminéralisée résultant de cette condensation, elle retourne via d’autres échangeurs de chaleur dans le circuit fermé qui la conduit vers la source chaude (Chaudière, générateurs de vapeur du réacteur nucléaire, etc.).

La consommation d’eau, uniquement pour les besoins de l’unité en question, est de l’ordre de 1% du débit d’eau brute arrivant au condenseur, ce qui est faible.
Par conséquent, on voit immédiatement qu’une centrale électrique, quelle que soit sa nature, consomme peu d’eau pour ses propres besoins. En revanche, le débit d’eau brute pour le condenseur de chaque unité (Tranche) est très important. A titre d’exemple, pour une unité VVER de 1000 MW, il se situe vers 45m3 par seconde, soit pour les six tranches de Zaporojié aux environ de 240m3 d’eau brute chaque seconde…

Pour les pays ou les régions ne disposant pas de telles capacités hydrauliques, on utilise alors un réfrigérant atmosphérique dont les caractéristiques sont les suivantes :
A l’intérieur d’une forme cylindrique ou hyperbolique dont la hauteur se situe généralement entre 120 et 170 m suivant la puissance thermique à évacuer, on dispose des éléments plans permettant la fragmentation de l’eau à refroidir (Eau brute réchauffée venant du condenseur), lesquels vont en assurer la dispersion sous forme d’une pluie qui va retomber quelques mètres plus bas dans un bassin occupant toute la surface du réfrigérant. Il s’agit d’un circuit semi-fermé.
A partir de là, des pompes vont renvoyer cette eau brute vers les tubes du condenseur de la turbine à vapeur du groupe turboalternateur.

Suivant la température ambiante, la baisse de température issue du réfrigérant atmosphérique est de l’ordre de 12 à 15°C à puissance nominale et la consommation d’eau, d’environ 10% de celle nécessaire pour un circuit ouvert (Fleuve, mer, lac). Pour un groupe VVER, au lieu de 45 m3/s, elle ne sera plus que d’environ 10 %, soit 4.5m3/s et une partie de cette eau sera visible sous forme de vapeur s’échappant du somment de la construction.

Réfrigérants atmosphériques des tranches 4 et 5 de la centrale électronucléaire du Bugey (France)
Réfrigérants atmosphériques des tranches 4 et 5 de la centrale électronucléaire du Bugey (France).

Construction interne

Dans un réfrigérant atmosphérique tel que présentement décrit, l’eau brute arrive par une construction en béton armé, appelée château d’eau, située au centre du réfrigérant vers 15 à 20 m au-dessus du bassin. A ce niveau, elle s’écoule radialement par plusieurs canaux en béton armé ou en matériau composite vers des sous-canaux idem qui rayonnent à peu près sur toute la superficie de l’ouvrage. L’eau brute à refroidir tombe alors sur des structures légères, généralement en PVC ou autre thermoplastique comme le polypropylène (PP) qui vont assurer sa pulvérisation en pluie fine. C’est ce que l’on appelle la dispersion. L’air atmosphérique au contact de ces gouttelettes va en assurer le refroidissement et c’est la chaleur ainsi évacuée qui permettra de fortement augmenter le tirage naturel, lequel prendra son maximum de vitesse au col pour les constructions de forme hyperbolique.

Le rôle du réfrigérant atmosphérique consiste ainsi à limiter la consommation d’eau brute nécessaire à la condensation de la vapeur s’échappant de chaque corps basse pression de la turbine mais également à assurer :

  • Le refroidissement de la piscine de désactivation des éléments nucléaires usés du réacteur.
  • Le refroidissement du réacteur à l’arrêt chargé en éléments nucléaires, soit 1% de sa puissance thermique.

Dans le cas des six groupes VVER 1000 MW de la centrale de Zaporojié, le rendement thermodynamique de chaque tranche étant de 33 %, ceci impose une puissance thermique résiduelle pour chaque réacteur à concurrence de 33 MW. Comme il y a six tranches, cela représente 200 MW à évacuer en permanence, soit 8.85 m3/s d’eau brute.

Schéma de principe d’un réfrigérant atmosphérique de la Sté. HAMON (France)
Schéma de principe d’un réfrigérant atmosphérique de la Sté. HAMON (France). Doc. EDF

L’incendie du réfrigérant atmosphérique de la centrale de Zaporojié

Dans le détail, le circuit de refroidissement de cette centrale ne nous est pas connu mais on peut néanmoins l’appréhender assez facilement car l’on ne constate que deux réfrigérants atmosphériques. Ainsi, on peut logiquement en déduire qu’en service normal, les condenseurs des six tranches sont directement alimentés par l’eau du barrage de Kakhovka que l’on voit sur la photographie en titre, juste devant la centrale.

Les deux réfrigérants sont manifestement là en secours, ne nécessitant qu’un débit limité pouvant être puisé dans un autre bassin maintenu à niveau constant, quelle que soit la situation. Il s’agit ici d’une disposition sécuritaire assez classique, leur rôle étant ainsi limité comme seconde ou troisième source froide. Par conséquent, la destruction partielle de l’un des deux réfrigérants, composants qui ne font pas directement partie de ceux des réacteurs, ne peut pas avoir un impact direct sur la sureté de l’installation mais seulement en affecter son niveau suivant les exigences définies pour cette installation.

Quant à l’incendie lui-même, pour que la structure interne brûle il faut d’une part, que le réfrigérant atmosphérique soit hors d’eau et donc non en service, d’autre part que les éléments de dispersion de l’eau brute soient constitués par un polymère thermoplastique (PVC, PP…). Ceci est d’ailleurs confirmé par des flammes que l’on voit sur certaines photographies au niveau du bassin, ce qui correspond très vraisemblablement à l’effondrement de cette dispersion. Bien entendu, suivant la forme de la coque du réfrigérant, même hors d’eau, le tirage est naturel et déjà non négligeable ce qui favorisa inévitablement l’incendie.

Conséquences

Il n’y en a aucune à ce jour mais quoi qu’il en soit, il s’agit néanmoins ici d’un acte typique de terrorisme qui semble correspondre à la situation désespérée que rencontre l’armée otano-ukrainienne sur le terrain. Toutefois, l’on ne peut que manifester de l’inquiétude pour l’avenir car s’attaquer ainsi à une installation nucléaire montre à l’évidence une forme de fanatisme et donc d’inconscience, ce qui préjuge mal de l’avenir. Pour mémoire, l’Ukraine dispose toujours des installations nucléaires militaires en bon état issues de l’ex-URSS. Relire si nécessaire notre article, intitulé : Danger au pont de Kertch.

Sans aller jusqu’à l’utilisation d’une bombe atomique, ce que l’on appelle une bombe sale, autrement dit un engin constitué d’un explosif chimique classique contenant des déchets radioactifs, serait susceptible de condamner une vaste surface à ne plus pouvoir être habitée pour longtemps. Au regard de ce qui précède, on ne peut malheureusement évacuer d’un revers de main une telle hypothèse, aussi désastreuse et suicidaire pour tout le monde.

Jean-Marc TRUCHET
Ancien ingénieur de l’énergie électrothermique et électronucléaire civiles
Ancien chef d’entreprise – Spécialiste matériaux composites

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