ACTUÉdouard HussonSynthèse Brennus

Brennus – USA: une politique étrangère désormais sans boussole?

SYNTHESE GEOPOLITIQUE – La politique étrangère américaine a-t-elle perdu sa boussole? La journée du lundi 19 juin 2023 a révélé de manière cruelle le grand désarroi de la politique étrangère américaine. Tandis que le Secrétaire d’Etat Blinken déclarait, au terme d’une rencontre avec Xi Jinping, que les Etats-Unis ne soutenaient pas l’indépendance de Taïwan, les mauvaises nouvelles s’accumulaient sur le front ukrainien. Et le parti républicain ne trouvait rien de mieux que de proposer une opération militaire au Mexique pour éradiquer les cartels de la drogue.

Difficile journée pour la diplomatie américaine, ce lundi 19 juin. Il n’y a qu’à avoir les postures d’Anthony Blinken sur les photos de sa rencontre avec Xi Jinping. D’abord, celle où le président chinois s’est arrêté, le bras replié et le coude au corps, forçant le secrétaire d’Etat américain, qui lui a la main et le bras tendu, à faire un ou deux pas de plus. Ensuite, celle où les deux hommes font face aux photographes, lors de leur poignée de main. L’Américain a l’air fatigué et hagard, son costume est plissé et sa cravate est de travers ; il est légèrement penché vers le président chinois, placide, se tenant droit et arborant un léger sourire de satisfaction : son interlocuteur ne donne-t-il pas l’impression de lui rendre hommage?

Le rapport de forces diplomatiques est désormais en faveur de la Chine

La déclaration la plus significative faire par le secrétaire d’Etat américain concerne le fait que les Etats-Unis ne recherchent pas l’indépendance de Taïwan. Mais il faut prendre conscience du fait que d’un bout à l’autre de la visite, les hôtes chinois ont été en position de force.

Xi Jinping n’a confirmé qu’au dernier moment qu’il recevrait le secrétaire d’Etat américain. Pour ceux qui connaissent la négociation avec la Chine, c’est une méthode fréquente : le grand chef se fait tenir au courant de l’évolution des discussions et, selon la tournure qu’elles prennent, il participe ou non à la dernière rencontre… Cependant, c’est une forme de camouflet, sans doute sans précédent pour la diplomatie américaine. Surtout quand l’on pense que, Joe Biden étant désormais incapable, pour des raisons physiques, d’effectuer une visite d’envergure en Chine, Anthony Blinken était clairement le représentant du prédisent américain.

On notera la dureté du compte-rendu du Global Times, organe du Parti Communiste Chinois en langue anglaise:

Le président chinois Xi Jinping a rencontré le secrétaire d’État américain Antony Blinken en visite à Pékin lundi après-midi, appelant les États-Unis à adopter une attitude rationnelle et pragmatique afin d’éviter la concurrence entre grands pays et de respecter les droits et les intérêts légitimes de la Chine. (…)

Le président Xi a souligné que la concurrence entre les grands pays ne représentait pas la tendance de l’époque, et qu’elle ne pouvait pas non plus résoudre les problèmes de l’Amérique ni les défis auxquels le monde est confronté. La Chine respecte les intérêts des États-Unis et ne cherche pas à les défier ou à les supplanter. De même, les États-Unis doivent respecter la Chine et ne pas porter atteinte aux droits et intérêts légitimes de la Chine, a déclaré M. Xi. (…)

La réunion a eu lieu après que le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, a mis en évidence la cause profonde de la faiblesse actuelle des relations entre la Chine et les États-Unis, à savoir la perception erronée de la Chine par les États-Unis, qui conduit à des politiques erronées à l’égard de la Chine, au cours de trois heures d’entretiens avec le haut fonctionnaire américain.

M. Wang a également demandé aux États-Unis de cesser d’exagérer la “menace chinoise”, de lever les sanctions unilatérales illégales à l’encontre de la Chine, de cesser de faire pression sur la technologie et le développement de la Chine et de cesser de s’ingérer délibérément dans les affaires intérieures de la Chine. (…)

La partie chinoise a également fait part de ses attentes vis-à-vis des Etats-Unis, espérant que les Etats-Unis gèrent les relations sino-américaines avec une attitude rationnelle et pragmatique et traduisent les déclarations positives du président américain Joe Biden en actions pour stabiliser les relations bilatérales, a noté M. Wu. (…)

Il est nécessaire que les Etats-Unis réfléchissent profondément et qu’ils maintiennent une compréhension objective et rationnelle de la Chine, qu’ils travaillent ensemble avec la Chine, qu’ils sauvegardent le fondement politique des relations sino-américaines, qu’ils gèrent les incidents inattendus de manière calme, professionnelle et rationnelle tout en gérant conjointement les différences et en évitant les erreurs de calcul stratégique, a déclaré M. Yang..

Bien que le dirigeant chinois rencontre généralement le secrétaire d’État américain en visite, conformément à la tradition, la rencontre de M. Blinken avec M. Xi a été largement considérée comme une indication que ses entretiens précédents avec des hauts fonctionnaires chinois s’étaient déroulés sans heurts, voire avaient dépassé les attentes, puisque la rencontre entre M. Xi et M. Blinken n’a été confirmée qu’une heure avant qu’elle n’ait lieu. (…)

Les États-Unis s’en tiennent aux engagements pris par M. Biden, à savoir que les États-Unis ne cherchent pas à déclencher une nouvelle guerre froide ou à modifier le système chinois, que leurs alliances ne sont pas dirigées contre la Chine, qu’ils ne soutiennent pas “l’indépendance de Taïwan” et qu’ils ne cherchent pas à entrer en conflit avec la Chine, a indiqué M. Blinken. (…)

Après la visite provocatrice de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants, sur l’île de Taïwan en août 2022 et le soi-disant transit de la dirigeante régionale de Taïwan, Tsai Ing-wen, par les États-Unis fin mars et début avril, la Chine a clairement signalé aux États-Unis les graves lacunes de leur politique à l’égard de la Chine, dont la plus représentative est la question de Taïwan, ont déclaré les experts.

“Si les États-Unis continuent à vendre des armes ou à multiplier les interactions de haut niveau avec les autorités du DPP dans l’île, où des élections auront lieu l’année prochaine, nous ne manquerons pas de prendre des contre-mesures, ce qui non seulement rendra la situation instable dans le détroit de Taïwan, mais affectera également fortement les relations sino-américaines”, a déclaré M. Wu.

Sur la question de Taïwan, la Chine n’a pas de place pour les compromis ou les concessions. Les États-Unis doivent vraiment adhérer au principe d’une seule Chine énoncé dans les trois communiqués conjoints Chine-États-Unis, respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine et s’opposer clairement à “l’indépendance de Taïwan”, a déclaré M. Wang à Monsieur Blinken lundi. (…)

M. Blinken a déclaré à M. Xi, au cours de la réunion, que les États-Unis se réjouissaient d’avoir des engagements de haut niveau avec la Chine, de maintenir des lignes de communication ouvertes, de gérer les différences de manière responsable et de poursuivre le dialogue, les échanges et la coopération.

Les Etats-Unis ont-ils le choix au moment où la “contre-offensive ukrainienne” échoue?

Le texte que nous venons de citer longuement est un véritable camouflet pour Washington. Mais peut-il en être autrement au moment où la contre-offensive ukrainienne est en train d’échouer rapidement?

Le bilan des pertes humaines et matérielles ukrainiennes est considérable, selon le site southfront.org:

Après l’échec des premières tentatives de l’armée ukrainienne de percer les défenses russes par des assauts de grande envergure dans les premiers jours de la contre-offensive de Kiev, l’AFU a changé de tactique. Au cours des deux dernières semaines, l’armée ukrainienne a lancé des attaques régulières par petits groupes sur des chars et des véhicules blindés pour tenter d’épuiser les défenses russes. Cette nouvelle tactique n’a pas encore donné de résultats stratégiques.

Deux semaines d’attaques ukrainiennes ont déjà entraîné les pertes suivantes pour l’armée ukrainienne :

  • jusqu’à 9600 militaires
  • 373 véhicules blindés, dont des Bradley et des HMMWV américains, ainsi que des Stryker britanniques
  • 172 chars, dont des Léopards allemands et des AMX-10 français
  • 146 systèmes d’artillerie, dont des Krabs polonais, des PzH 2000 allemands, des Caesars français, des M109 et des M777 américains
  • 15 avions de guerre et hélicoptères
  • 198 drones

Les pertes ne se sont accompagnées d’aucun gain territorial pour l’instant. A tel point qu’hier 19 juin, Kiev a fait savoir qu’il y avait une “pause” dans la “contre-offensive”.

Pour les Etats-Unis, la question va se poser de savoir comment ne pas perdre la face. Nous avons évoqué la semaine dernière, le scénario d’une frappe spectaculaire sur la Crimée. Cependant, les Russes s’y attendent et le ministre de la Défense Choïgou a lancé un avertissement, rapporté par le Ministère de la Défense russe:

Selon le ministre russe de la défense, le commandement de l’AFU envisage de frapper le territoire de la Fédération de Russie, y compris la Crimée, avec des missiles HIMARS et Storm Shadow. “L’utilisation de ces missiles en dehors de la zone d’une opération militaire spéciale signifiera une implication totale des États-Unis et de la Grande-Bretagne dans le conflit et entraînera des frappes immédiates sur les centres de décision sur le territoire de l’Ukraine“”.

Etant donné que des officiers américains et britanniques sont présents dans les centres de commandement ukrainiens, le gouvernement russe ne peut pas être plus explicite! Surtout, les Etats-Unis doivent à présent se demander s’ils souhaitent faire remonter les tensions avec la Chine, qui réagirait mal à une escalade américaine dans le conflit.

Le dangereux scénario mexicain des Républicains

Devant l’impasse dans laquelle se trouve la politique étrangère américaine, les Républicains, majoritaires à la Chambre des Représentants, imaginent un dérivatif, une autre guerre. Cette fois, ce serait contre le Mexique.

A la manœuvre, il y a le sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham – celui qui a parlé de se battre en Ukraine “jusqu’au dernier Ukrainien” – qui, depuis plusieurs semaines, pousse en faveur d’une intervention militaire contre les barons de la drogue au Mexique.

Selon antiwar.com: “À la suite de la violente attaque contre des Américains dans la ville frontalière mexicaine de Matamoros au début du mois de mars, le sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham, a déclaré qu’il était prêt à durcir le ton et à présenter un projet de loi visant à ouvrir la voie à une intervention militaire américaine au Mexique. Cette intervention constituerait une escalade significative dans la longue guerre contre la drogue qui fait rage sous les auspices des États-Unis depuis plusieurs décennies, au grand dam de nombreux pays d’Amérique latine.

Or, depuis quelques jours, les appels de personnalités républicaines à une opération militaire contre le Mexique se multiplie. Le journal conservateur Washington Times fait état d’un soutien fort dans l’opinion:

Les Américains se montrent étonnamment favorables à une intervention militaire directe au Mexique pour mener la guerre contre les cartels de contrebande qui introduisent de la drogue et des immigrants clandestins aux États-Unis.Selon un sondage réalisé ce mois-ci, 61 % des Américains sont favorables à l’idée de déployer l’armée pour “combattre les cartels mexicains”. Selon un sondage publié en mai, 53 % des Américains sont favorables au “déploiement de personnel et de moyens militaires américains à l’intérieur du Mexique”.L’idée s’est renforcée avec le chaos qui règne à la frontière sud et les appels lancés par des candidats républicains de premier plan à l’élection présidentielle, notamment l’ancien président Donald Trump et le sénateur Tim Scott de Caroline du Sud

Ce que nous dit ce média conservateur, c’est qu’il ne voit pas d’autre solution pour les Etats-Unis que de mener des guerres en permanence. Et si une guerre sur Taïwan n’est pas envisageable, tandis que la guerre d’Ukraine tourne mal, et bien c’est sur le continent américain, contre les Mexicains, qu’on mènerait la guerre.

Décidément, la politique étrangère américaine a perdu sa boussole.

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Edouard Husson

One thought on “Brennus – USA: une politique étrangère désormais sans boussole?

  • Bonjour,
    Vos articles sont vraiment intéressants, je vous suis depuis quelques temps.
    Je voulais savoir d’où prenez vous vos informations sur la Chine avec M. Wu et M Xi .
    Pourquoi n’avons nous pas ces informations en France ?
    Pourquoi nos journaux ont le droit de mentir, sans aucune attaque en justice.
    Sommes nous vraiment verrouillé complètement ?
    Vraiment vos articles me rassurent un peu sur le monde actuel.

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