Les Brésiliens, dans toute leur complexité raciale, sociale et religieuse, ont fait un choix souverain en toute connaissance de cause, autant par rejet d’un système politique dont ils sont dégoûtés que par adhésion aux quelques idées fortes défendues par Bolsonaro.
La première cause de son élection est bien entendu sécuritaire. Le pays du Samba a cédé la place à un enfer sur terre, que les Brésiliens, surtout les plus modestes, subissent au quotidien. Les statistiques de sûreté publique sont largement truquées par la Police elle-même pour des raisons politiques. Seuls les chiffres des homicides ne peuvent être truqués, et ils sont terribles : presque 62.500 morts en 2017, soit environ 171 morts par jour ! Si je les rapportais à la population française, il y aurait plus de 20.000 homicides par an en France, soit environ 25 fois plus qu’actuellement (825 meurtres en 2017). Chaque jour, ce sont les classes moyennes et pauvres qui subissent vols et violences de toutes sortes. A force de bienveillance, de politiquement correct et de mesures éducatives inefficaces, le Parti des Travailleurs (PT) a permis l’explosion de la violence et, ce qui est aussi grave sinon plus, l’expansion incontrôlée des gangs créés dans les prisons. Les deux grands gangs du pays (Comando Vermelho et Primeiro Comando da Capital) se livrent du reste aujourd’hui une guerre totale pour le contrôle du trafic de drogue, et ils sont en passe de devenir plus puissants encore que les cartels mexicains. Ils ont infiltré jusqu’à l’appareil d’état et les institutions politiques dans certaines régions. Ce sont, fort heureusement, les grands perdants de cette élection. La population attend des mesures drastiques en matière de sûreté publique et de défense de la propriété privée, promises par Bolsonaro, dont on peut dire qu’il est pour le moins crédible sur ce sujet.
La seconde cause est la corruption généralisée. Durant plus de 10 années, le Parti des Travailleurs (PT) de Lula et tous ses alliés, allant de l’extrême gauche à la droite conservatrice, ont annuellement détourné l’équivalent de 50 milliards d’euros de sociétés d’état, notamment la Petrobras, souvent avec l’aide plus ou moins volontaire de grandes sociétés privées. Cela relativise forcément la vitrine de progrès social du PT, qui s’est plus qu’enrichi et a franchi toutes les limites de l’affairisme sur le dos des finances publiques et, indirectement, des petites gens. Les partis traditionnels ne sont donc plus audibles sur le sujet de la corruption, et le fait est que nous avons assisté, au-delà de l’élection de Bolsonaro, à un certain renouvellement de la classe politique brésilienne. Nombre de députés fédéraux, dont les deux emblématiques amis du nouveau président, le noir Hélio Barbosa, et la lesbienne Karol Eller, et plusieurs gouverneurs d’états, dont celui de Rio, sont ainsi vierges en politique. Les anciens partis sont toujours là, mais leur influence va être de plus en plus limitée. Les Brésiliens attendent des mesures fortes et des sanctions réelles à l’encontre des corrompus. Bolsonaro est élu depuis 1991 et n’a jamais été poursuivi ou condamné pour corruption ; c’est assez unique au Brésil, et cela le rend très crédible.
La troisième cause est l’inefficacité économique. Le PT a encore ajouté en complexité et en bureaucratie à la Constitution de 1988, qui est déjà un chef d’œuvre en la matière puisqu’elle régule jusqu’au horaires des employés de maison. Les Brésiliens souhaitent beaucoup plus d’agilité et de dynamisme dans l’économie du quotidien, et Jair Bolsonaro leur a promis vouloir « libérer » plutôt que simplement « libéraliser » l’économie en général.
Finalement, la dernière et la plus subtile des raisons de sa victoire tient à mon avis à la fierté nationale des Brésiliens. Cela va en surprendre beaucoup, mais le Brésil n’est pas un énième pays arc-en-ciel dont les habitants, déracinés, se sentiraient Citoyens du Monde. Ils sont bien au contraire, toutes races et classes sociales confondues, particulièrement patriotes et fiers de leurs institutions. Ils vivent très mal l’idée d’appartenir à la huitième puissance économique mondiale et de pourtant, à de nombreux égards, vivre dans un pays du Tiers-Monde. La crise économique, qui est la conséquence d’une crise politique et institutionnelle, est avant tout imputable au PT et à ses alliés. Elle n’a pas arrangé l’état des inégalités sociales, puisqu’elle a de nouveau entraîné une partie de la population vers le chômage, ni celui de l’éducation, de la santé ou des infrastructures publiques. Là encore, Bolsonaro envisage la modernisation du pays, et il dispose d’une équipe économique crédible à cet effet.
Pour conclure, la rupture est totalement consommée entre le peuple Brésilien et le Brésil d’hier. En dehors des zones géographiques dont on peut considérer qu’elles sont encore récemment contrôlées physiquement par la gauche (surtout l’intérieur du Nordeste), il existe au sein de la population un très fort espoir de changer les choses et d’enfin donner au Brésil une place de puissance globale.
L’état des relations franco-brésiliennes va beaucoup dépendre de l’attitude du gouvernement français. On voit mal Bolsonaro, et encore moins son probable futur Ministre des Finances Paul Guedes, cracher dans la soupe et rejeter d’emblée l’investissement des entreprises européennes. Il est même possible voire probable que des entreprises françaises vont se positionner sur le rachat de certains actifs brésiliens, qui devraient être privatisés.
Ce qui va néanmoins changer, c’est la mise en place de critères de défense et de primauté de l’intérêt national, qui prévaudront désormais et surpasseront les intérêts privés ou étrangers. Il est notamment à peu près certain que les industries jugées les plus stratégiques ne seront en aucun cas privatisées. Le cercle restreint autour de Bolsonaro compte plusieurs militaires de haut rang, il est lui-même Capitaine de Réserve, et il y a tout lieu de croire que c’est la doctrine militaire brésilienne qui va prévaloir en la matière.
N’en déplaise à certains universitaires, le régime militaire a très largement développé le pays et ses industries d’armement, d’aéronautique, de conquête spatiale, de télécommunications et même d’énergie. Les industriels et les entreprises français vont donc être contraints d’en tenir compte, et probablement devoir approcher leurs vis-à-vis brésiliens dans une optique de coopération et de transferts de technologies – ce qui va ajouter en complexité.
Diplomatiquement, il est à déconseiller pour les représentants français de vouloir donner la moindre leçon au nouveau gouvernement brésilien ; les affaires en pâtiraient probablement très rapidement, au profit de plusieurs de nos partenaires européens mieux placés et plus courtois.
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Qu’est qui est malaisé à comptendre? L’article est plutôt limpide…
Article très éclairant.
Au contraire, je trouve que c’est très aisé à comprendre.
Excellente analyse que je partage connaissant assez bien le Brésil. On entend pas cela dans les médias français qui pratiquement toutes ont des “spécialistes” franco-brésiliens sympathisants du PT et qui hélas polluent les plateaux de TV. Vous pourriez aussi insisterplus sur le rôle primordial des églises évangelistes ou pentecôtistes dans l’élection. J’ai entendu personne dire que le Préfet-Maire de Rio, Crivela était évangéliste, ville- et état où Bolsonaro a fait d’excellents résultats. le sentiment d’insécurité est patent au Brésil et dans les favelas c’est enore moins un sentiment que la réalité quotidienne où elle empoisonne et pire la vie quotidienne; et dans le sud nombre de favelas surpeuplées on voté Bolsonaro
Je suis moins optimiste sur l’influence avenir des évangelistes sur le Président ( qui est catholique sympatisant des rites évangélistes). Certaines de ces “églises ne m’inspirent pas confiance…
Va t’il respecter l’accord des BRICS?
Un sac de nœuds malaisé à comprendre!