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1914 : La Grande Bretagne efface l’Allemagne sur tous les océans du monde

Dès les premières semaines de la première guerre mondiale, sur toutes les mers du globe et sous les deux hémisphères, la Royal Navy entreprend une chasse impitoyable aux bâtiments de la Kaiserliche Marine pour s’emparer de toutes les colonies allemandes. De l’Atlantique au Pacifique à travers l’Océan Indien, l’affrontement est total…

Le Kaiser Guillaume II (1859 – 1941) en engageant l’Allemagne sur la voie d’une « Weltpolitik », compromet l’équilibre diplomatique construit par le chancelier Bismarck entre la puissance de la terre et la puissance de la mer. C’est pour relever ce périlleux défi que la Grande Bretagne entre dans la première guerre mondiale. Par Bruno Heinrich Strassberger, portrait de 1909, Historisches Museum der Stadt, Vienne.

28 juin 1914, l’attentat de Sarajevo enclenche la mécanique infernale des alliances qui plonge l’Europe en quelques semaines dans une aventure sans retour. Depuis 1814, la Pax Britannica s’étend sur tous les océans du monde. Cependant, en 1871, l’écrasement de la France face à la Prusse donne naissance sur le vieux continent à une formidable puissance industrielle qui surpasse bientôt l’Angleterre, l’Allemagne ! A la mort du chancelier Bismarck, sous l’impulsion de son jeune Kaiser Guillaume II, le Reich engage une périlleuse Weltpolitik et entreprend, à partir de 1897, sous la direction du grand amiral Tirpitz la construction d’une puissante marine de guerre pour contester l’hégémonie anglaise mondiale. A l’été 1914, les marins britanniques sont prêts au choc décisif contre leur homologues germaniques…

 Le 2 août, après la Russie, la France entre en guerre contre l’Allemagne alors que l’Angleterre tergiverse encore… La City voit en effet se profiler avec horreur le spectre de la ruine du système financier mondial. Le Foreign Office soupèse froidement la situation : l’Entente avec la France n’est pas une alliance contraignante qui oblige nécessairement la Grande Bretagne à entrer en guerre. À Berlin, comme en 1870, on espère que Londres ne bougera pas.

Canonnières de la Kaiserliche Marine à Kiel, en 1895. Lithographie de Willy Stöwer, peintre de Marine allemand né le 22 Mai 1864 à Wolgast en Poméranie et mort à Berlin le 31 Mai 1931.

Dans la nuit du 2 au 3 août, la deuxième escadre légère de l’amiral Rouyer appareille de Cherbourg pour se porter seule vers le Pas de Calais et en interdire le passage à la flotte allemande. C’est une véritable mission de sacrifice tant la disproportion des forces est immense. En effet, l’essentiel de la marine française se trouve en Méditerranée avec pour mission de tenir la marine austro-hongroise enfermée en Adriatique. Dans la répartition des tâches prévues avec l’Angleterre, les gouvernements de la République française ont abandonné à l’Angleterre la défense de la Manche et de la mer du Nord… Aussi, le 4 août, Paris pousse un honteux soupir de soulagement lorsque Londres se décide enfin à déclarer la guerre à l’Allemagne. Londres réagit à la violation de la neutralité belge et au risque inacceptable de voir le port d’Anvers tomber aux mains des Allemands. Sir Edward Grey, ministre des Affaires étrangères de sa Gracieuse Majesté, le reconnaîtra plus tard : en 1914, l’Angleterre est entrée en guerre contre l’Allemagne « pour anéantir sa marine avant qu’elle ne devienne plus forte, pour prendre son commerce et pour saisir ses colonies ». Ce même jour, le Goeben et le Breslau après avoir pénétré en Méditerranée bombardent Bône et Philippeville en Algérie avant de se réfugier en mer de Marmara sous le pavillon Ottoman. En mer du Nord, de l’archipel des Orcades au fond de la baie allemande, tapis dans leurs mouillages, les formidables bâtiments de ligne de la Royal Navy et de la Kaiserliche Marine sont en chauffe, parés au combat et prêt à appareiller…

Guerre à l’Allemagne sur tous les océans du monde !

 Dès les premières semaines du conflit en Afrique, l’Angleterre, avec le concours français et belge, s’empare sans coup férir des colonies allemandes du Togo et du Cameroun. Dans le désert de Namib, les Allemands de la colonie du sud-ouest africain qui ont de bonnes relations avec les Boers d’Afrique du Sud résistent opiniâtrement. Windhoek, leur capitale, ne tombe que le 12 mai 1915.

En octobre 1914, en Afrique Orientale, un combat désespéré oppose le croiseur Königsberg à une escadre britannique dans l’Océan Indien. À court de charbon, le navire échoue volontairement dans le delta du fleuve Rufiji pour constituer une batterie terrestre. Le 11 juillet 1915, les marins allemands abandonnent leur navire pour se joindre avec leurs canons au petit détachement du colonel von Lettow-Vorbeck avec lequel ils s’enfoncent dans la brousse du Tanganika où ils poursuivront la guerre contre les Anglais jusqu’au 23 novembre 1918…

 Dans l’océan Pacifique, le vice-amiral comte de Spee commande depuis 1912 l’escadre d’Extrême-Orient basée à Tsingtao[1], dans la baie de Kiaotchéou en Chine. Il comprend que la colonie allemande ne pourra pas résister longtemps aux flottes australienne et japonaise qui convoitent ce port en eau profonde. Il positionne donc ses navires hors de portée dans l’archipel des Mariannes avant l’ouverture des hostilités. Le 20 août, l’ambassadeur du Japon à Berlin exige de l’Allemagne la livraison de Tsingtao. Les colonies des Samoa, de Nouvelle-Guinée, des Carolines, des Mariannes et les îles Marshall sont menacées. L’amiral décide d’abandonner la mer de Chine pour déplacer sa zone d’opération vers les côtes d’Amérique du sud laissant derrière lui le croiseur auxiliaire Emden et son capitaine Karl von Müller qui va mener seul pendant deux mois et demi une guerre de course dans l’océan Indien. L’Emden effectue une trentaine de prises qui sèment la panique dans le golfe du Bengale et le détroit de Malacca. Le 22 septembre, il bombarde les réservoirs de pétrole de Madras aux Indes. Le 28 octobre, il surgit comme un diable dans le port britannique de Penang en Malaisie pour y couler le Jemtchoug, un croiseur russe vétéran de Tsouchima et Le Mousquet, un torpilleur français, basé à Saïgon.

L’épave du croiseur auxiliaire Emden sur l’ile de Coco Keeling en 1950. Son commandant, Karl von Müller, et son équipage, ont mené seuls, pendant deux mois et demi, une guerre de course terriblement efficace dans l’océan Indien.

Cependant alors que Tsingtao tombe aux mains des Japonais et des Britanniques, le 9 novembre 1914, l’insaisissable corsaire est surpris à 500 nautiques au sud-ouest de Sumatra dans le lagon des îles Coco Keeling par l’HMAS Sydney. Un groupe d’Allemands a débarqué pour détruire le départ des câbles sous-marins de la station de radio de l’Eastern Telegraph Company vers la Malaisie, l’Australie et l’île Maurice. Les hommes à terre voient leur navire désemparé s’échouer, mais parviennent à s’échapper à bord d’un voilier de 100 tonneaux, l’Ayesha, pour rejoindre l’Allemagne en mai 1915 par le golfe persique, les déserts d’Irak et de Syrie et Constantinople. De l’autre côté du monde, d’Honolulu à Papeete, pourchassé dans tout le Pacifique, von Spee est parvenu en vue des côtes du Chili où il sait pouvoir trouver du charbon.

Les batailles de Coronel et des Falkland

Le vice-amiral Comte Maximilian de Spee (1861 -1914) né à Copenhague et péri en mer avec ses deux fils à la tête de son escadre dans l’Atlantique sud lors de la bataille des Falkland le 8 décembre 1914

À la hauteur de Coronel, von Spee surprend l’escadre britannique de l’amiral Cradock et envoie par le fond deux grands croiseurs anglais : le Monmouth et le Good Hope. Plus d’un millier de marins britanniques et leur amiral disparaissent dans les eaux du Pacifique. Les Allemands sont virtuellement maitres de l’Océan. Le 3 novembre 1914, l’escadre allemande entre dans le port de Valparaiso où elle reçoit un accueil triomphal. Grave et réservé, l’amiral von Spee refuse de lever son verre à la damnation de la marine britannique. Les Anglais viennent certes d’essuyer un revers sensible mais il sait aussi qu’à présent il a toute la Navy à ses trousses, bien décidée à venger l’affront pour montrer au monde que personne ne peut la narguer impunément.

Le 6 décembre, il contourne la pointe sud de l’Amérique et passe en Atlantique pour tenter de percer vers l’Allemagne. Hélas, sur la base de renseignements approximatifs recueillis à Punta Arenas, il croit pouvoir attaquer Port Stanley dans l’archipel britannique des Falkland et vient se jeter dans la gueule du loup. Les croiseurs de batailles Inflexible et Invincible de la puissante escadre de l’amiral Sturdee l’ont devancé de quelques heures.

Le vice-amiral Sir Fréderick Doveton Sturdee (1871-1921) vainqueur de l’escadre du comte de Spee aux Falkland le 8 décembre 1914

Le 8 décembre, après plus d’un demi-tour du monde et un mois après son succès à Coronel, l’escadre allemande est totalement anéantie. Les deux croiseurs Scharnhorst et Gneisenau ainsi que le Nürnberg et le Leipzig disparaissent pavillon haut dans les eaux grises de l’Atlantique sud. L’amiral comte von Spee, ses deux fils et 1 871 marins allemands périssent. Seul le Dresden s’échappe vers l’Antarctique et le Cap Horn où il erre près de quatre mois comme un fantôme sans repos avant d’être rattrapé et coulé à l’île de Pâques dans les eaux neutres du Chili.

Au soir de la bataille, Sturdee envoya un message de sympathie aux plus anciens des officiers allemands survivants : « …Nos deux pays sont malheureusement en guerre et les officiers de chacune de nos deux marines qui comptent pourtant des amis dans l’autre doivent accomplir leur devoir envers leur pays… »

Le croiseur de bataille HMS Invincible participe à la victoire de l’amiral Sturdee aux Falkland le 8 décembre 1914. Il succombe en mer du Nord le 31 mai 1916 sous les tirs du Lützow et du Derfflinger lors de la bataille du Jutland.

Les marins français dans l’enfer des Flandres

En France, après le coup d’arrêt de la Marne, le front s’est figé entre Verdun et le massif de l’Aisne. À partir du 17 septembre, les deux armées, pour éviter chacune d’être débordée par l’ouest, étendent leurs lignes parallèlement vers la Somme, Arras, pour atteindre bientôt la mer du Nord. Le 7 octobre Anvers tombe. Les Allemands qui criaient « Nach Paris ! » visent maintenant Calais pour achever l’occupation de la Belgique et menacer l’Angleterre que le généralissime allemand Falkenhayn considère comme la plus puissante force morale de l’Entente. Dans les Flandres la bataille de l’Yser commence. Les 6 000 fusiliers marins de la brigade de l’amiral Ronac’h recueillent à Gand l’héroïque armée belge et le Roi Albert en retraite le long de la mer depuis Anvers. Le 15 octobre, les marins français reçoivent l’ordre de décrocher pour tenir à Dixmude sur l’Yser « tant qu’il restera un vivant ! ». Le 30 octobre, les Belges ouvrent les écluses et les eaux de la mer du Nord recouvrent lentement la plaine des Flandres.

Une flottille franco-anglaise enraye l’offensive allemande le long de la côte. Finalement, la tuerie s’arrête progressivement le 15 novembre. Les Allemands prennent Dixmude mais échouent devant Ypres. « Ni trêve, ni merci ! »[2]. 200 000 hommes sont morts dans la boue des tranchées au cours de combats d’une violence extrême, sous un feu intense d’artillerie et où, pour la première fois, des gaz asphyxiants ont été utilisés. La brigade Ronac’h a perdu son effectif initial. Les Allemands renoncent à Dunkerque et à Calais et les communiqués militaires anglais exultent. Mais les Allemands sont à Gand et installent à Zeebrugge une base d’attaque pour leurs Zeppelins et leurs U.Boote contre l’estuaire de la Tamise et Londres. Désormais, de la mer du Nord à la Suisse le front ne bougera plus pendant presque quatre ans.

Sous-marins contre blocus

« Nos sous-marins au port. » Submersibles allemands à Kiel en février 1914

Novembre… la guerre dure depuis seulement trois mois et déjà le temps joue contre les empires centraux. Sir Winston Churchill, Premier Lord de la Mer, déclare le blocus maritime de l’Allemagne pour asphyxier son économie : « Alors que la carte de l’Europe est bouleversée, les affaires de l’Angleterre poursuivent leur cours normal. (…) L’étranglement économique de l’Allemagne au moyen du blocus maritime demande du temps. Mais patience ! (…) Ruiner l’Allemagne, tel est notre but. »[3] Par sa seule présence la flotte anglaise entend réduire peu à peu les Allemands à la famine.

En août 1914, l’Angleterre possède 103 bâtiments de ligne dont 29 cuirassés. En face, l’Allemagne aligne 48 bâtiments équivalents dont seulement 17 cuirassés, 73 petits croiseurs contre 41 et 289 torpilleurs contre 212. À Scapa Flow, rade inviolée de la Navy du nord de l’Écosse ou à Wilhemshafen au fond de la baie de Jade, les stratèges anglais et allemands préparent leurs armadas pour un terrifiant choc d’artillerie dans une bataille navale d’une puissance inconnue qu’ils espèrent décisive. Le 28 août, trois croiseurs allemands, le Mainz, le Köln et l’Ariadne poussent un peu trop loin une reconnaissance au large d’Heligoland et sont coulés par l’escadre de l’amiral Beatty… puis plus rien ! La mer du Nord reste silencieuse. Personne n’avait encore vraiment pensé aux sous-marins. L’Allemagne n’en a que 28 en service à la déclaration de guerre, c’est-à-dire environ 9 opérationnels. Beaucoup moins que les Alliés… Pourtant, le 8 septembre, l’U21 du lieutenant de vaisseau Hersing torpille le croiseur anglais Pathfinder qui se croyait en sécurité dans le Firth of Forth devant Édimbourg.

Torpillage du croiseur léger anglais PATHFINDER par l’U-21 du Kapitänleutnant Otto Hersing. Ce croiseur fut le premier navire de guerre de l’histoire à être coulé par un sous-marin. Par le peintre de marine anglais William Lionel Wyllie (1851 – 1931)

Deux semaines plus tard, le 22 septembre, près de Hoek van Holland, un autre lieutenant de vaisseau, Otto Weddigen, commandant l’U9, renouvelle l’exploit et en 75 minutes envoie par le fond trois croiseurs anglais : le Cressy, le Hogue et l’Aboukir. Le 15 octobre 1914, en mer du Nord, il coule le HMS Hawk, un quatrième navire de guerre !

Retour triomphal à Kiel de l’U 9 du Kapitänleutnant Otto Weddigen après le torpillage de trois navires de guerre britanniques HMS ABOUKIR, HMS CRESSY et HMS HOGUE par Willy Stöwer Peintre de Marine allemand (1864 -1931).

Ces exploits obtenus contre de gros navires de guerre ouvrent les yeux de l’amirauté allemande sur la possibilité de lancer contre l’Angleterre une autre guerre sur mer. Une guerre de course impitoyable pour établir à son tour le blocus des îles britanniques. Décembre 1914… L’année s’achève. En cinq mois de chasse les Anglais viennent d’éliminer le pavillon allemand des océans et d’effacer de la surface du globe toutes les colonies allemandes. Sur terre et sur mer, la guerre s’est figée. En mer du Nord, les barrages de mines de la baie allemande prolongent les barbelés des tranchées du front des Flandres. Cependant, les grands croiseurs cuirassés de la flotte de haute mer[4] du Kaiser demeurent intacts à l’abri de leur base de la mer du Nord. Ils pèsent un tiers du tonnage et de la puissance de feu de la Royal Navy.  

Début mai 1915, le paquebot Lusitania venant de New-York est torpillé par l’U.20 dans la zone de blocus décrétée par l’Allemagne autour des îles britannique. 127 citoyens américains périssent dans ce naufrage au sud de l’Irlande. Outre-Atlantique, une campagne de presse se déchaine contre le Reich. Soucieux de garder l’Amérique hors de la guerre, le chancelier Bethmann-Hollweg décide de suspendre les opérations de la guerre sous-marine jusqu’à nouvel ordre…

Arraisonnement puis destruction d’un navire marchand britannique par l’U-21 du commandant Otto Hersing au large de Liverpool, Première Guerre mondiale, 30 janvier 1915, lithographie de Willy Stöwer

[1] Aujourd’hui Qingdao où la marine chinoise mouille ses porte-avions.

[2] « Ni trêve, ni merci ! », mot d’ordre du général d’Urbal qui commandait les troupes françaises dans la bataille de l’Yser.

[3]  « Business carried on as usual during alteration on the map of Europe », extrait du discours du 9 novembre 1914 au Guildhall à Londres.

[4] Die Hochseeflotte

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Jean de Joinville

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