Elections présidentielles au Brésil 2018, Jair Bolsonaro ou l’envie de puissance brésilienne. Episode 1 : Le Brésil et sa stratégie de puissance

Avant-Propos : Un Brésil Tourmenté à l’Aube d’Élections Déterminantes

La présidence de Michel TEMER à la tête de la République Fédérative du Brésil doit s’achever le 1er Janvier 2019. A cette date, TEMER finira d’assurer la transition entre le mandat raccourci et pour le moins tourmenté de Dilma ROUSSEFF (Partido dos Trabalhadores – PT), héritière politique de Luis Inacio ‘‘Lula’’ DA SILVA1, et celui de son/sa successeur(e). Crédité d’environ 90% d’opinions négatives2, l’ancien Vice-Président, devenu Président le 31 août 2016 à la faveur d’une procédure controversée en destitution de Madame ROUSSEFF3, ne devrait pas être en mesure de présenter sa candidature à la magistrature suprême.

Michel TEMER est un juriste né en septembre 1940 dans une famille immigrée libanaise maronite. Il est affilié au MDB (Movimento Democratico Brasileiro, anciennement PMDB) depuis 19814, et il incarne à lui seul un personnel politique que le peuple brésilien a appris à détester. Créé en 1965 sous le régime militaire, qui avait autorisé sa présence au parlement5, le PMDB/MDB est en effet perçu comme un parti clientéliste et affairiste prompt à toutes formes de compromissions6. C’est un parti centriste ‘‘faiseur de rois’’, qui a participé à peu ou prou toutes les alliances et collations gouvernementales depuis la fin de la dictature. Il n’est donc guère étonnant qu’il soit aussi devenu l’un des grands bénéficiaires, parmi les partis politiques brésiliens, du système quasi-industriel de corruption7 essentiellement mis en place par le PT au cours des mandats du Président LULA8. Malgré sa carrière partiellement consacrée à la charge de Procureur Général de l’Etat de Sao Paulo, TEMER lui même et son
entourage sont soupçonnés de nombreuses malversations et conflits d’intérêts910.

La divulgation des scandales du ‘‘Mensalão’’11 (mensualités allouées à des députés de la majorité et de l’opposition pour une vraie discipline partisane) puis du ‘‘Lava Jato’’ (aussi connu sous le vocable de ‘‘Scandale Petrobras’’, pour un montant total d’au moins 3,5 milliards de dollars)12, ont abouti à des poursuites judiciaires menées par le désormais célèbre Juge Sergio MORO13, et à la mise en détention de personnels politiques de premier plan, dont celle de l’ancien Président LULA lui-même14. Dans des scandales passés, comme celui qui a mené à la destitution du Président Fernando COLLOR DE MELLO en 1991, jamais la prison n’avait même été évoquée15. La crise politique s’est également traduite par une crise économique longue, grave et, indirectement, une crise sécuritaire dans l’ensemble du pays.

Crédité de 17% des voix au premier tour devant la candidate de gauche Marina SILVA16, et donné pour l’heure vainqueur au second tour17, le Député Fédéral de l’Etat de Rio de Janeiro Jair BOLSONARO profite donc d’un contexte inédit pour annoncer le 8 mars 2018 sacandidature à l’élection présidentielle. Il la qualifie d’emblée de ‘‘mission divine’’ et insiste sur la nécessité de ‘‘nettoyer le pays, les entreprises publiques et la classe politique’’18.

BOLSONARO est fortement critiqué, et ce de longue date, par la presse brésilienne et internationale (Journal Le Monde dès 2014 par exemple) pour des outrances bien réelles19. Les qualificatifs qui reviennent le plus souvent à son propos sont ceux d’homophobe, misogyne, raciste, sécuritaire et plus généralement de personnage peu fréquentable d’extrême droite20. La réalité est pourtant plus complexe et subtile, alors que le discours du ‘‘TRUMP Brésilien’’21 pourrait finalement s’inscrire dans la ligne d’une affirmation de puissance du Brésil que nombre
de commentateurs manquent singulièrement de remarquer.

Photo : channel news Asia 

 

1. Le Brésil et sa Stratégie de Puissance
a) Un pays continent et une puissance économique moderne

Le Brésil est aujourd’hui une puissance continentale qui dispose d’une population d’environ 210 millions d’habitants22, d’un territoire gigantesque (quatrième territoire continu au Monde23) et d’une économie diversifiée de 2,14 trillions de dollars24 (a minima 8ème rang mondial).

Malgré une croissance actuelle quasi atone (0,1% en 2017, après deux années de forte récession25) résultant moins de difficultés structurelles que de la crise de confiance politique26, il est toujours regardé comme un pays disposant d’un potentiel de croissance spectaculaire. Riche en matières premières de toutes sortes (charbon, pétrole, éthanol, minerais, etc), le Brésil est devenu un géant manufacturier et agricole, un fournisseur de services de qualité pour ses partenaires et sa propre population, et un exportateur bénéficiant d’une balance commerciale très excédentaire27.

Il dispose d’un réservoir de population jeune, optimiste et de plus en plus éduquée28. Celle-ci contribue notamment au développement de nombre d’entreprises que le Boston Consulting Group qualifie, malgré la crise économique, de ‘‘challengers mondiaux’’ tout en reconnaissant qu’elles peuvent encore réaliser de grands progrès organisationnels et commerciaux29.

 

 

b) La doctrine militaire brésilienne à la source de la stratégie de puissance

Selon le Professeur à l’Université de Sao Paulo Wanderlei MESSIAS DA COSTA, chercheur sur la question stratégique nationale30, la doctrine de l’armée brésilienne est depuis les années 1920 à l’origine de la géopolitique brésilienne. Elle a donné lieu à l’articulation d’une stratégie d’affirmation et de développement géo-économique systématiquement mise en parallèle des options militaires du moment.

Les forces armées furent longtemps le corps constitué le plus solide du pays, et elles ne se privèrent pas de confisquer et organiser le pouvoir politique lorsqu’elles le considérèrent nécessaire (y compris pour des raisons essentiellement idéologiques).

Elles ont par conséquent durablement orienté les choix territoriaux, politiques et économiques du pays :

  • ‘‘Colonisation’’ et développement de la zone Amazone/Pantanal, région jugée clé pour le développement en ressources naturelles, énergétiques et minières ;
  • Outils stricts de contrôle de l’intégrité territoriale et des frontières, et législation de contrôle exclusif des espaces aériens et eaux territoriales (Projets SISFRON et Amazonias Azul);
  • Construction de la nouvelle capitale à Brasilia et recentrage géographique du pays au-delà de ses régions côtières;
  • Constructions d’infrastructures réduisant la dépendance du pays, notamment en matière énergétique (hydro-électricité, pétrole, éthanol) ; investissements en réseaux routiers (Plan d’Intégration National de 1971) ;
  • Définition de pôles d’intégration industrielles et technologiques qui ont favorisé la création de champions nationaux et d’une industrie de la défense compétitive dès les années 1960 ;
  • Quasi-monopole de construction et de contrôle physique de l’infrastructure des réseaux télécom et informatiques ;
  • Recours aux systèmes d’information (Linux) et logiciels ‘‘ouverts’’ dans toutes les administrations militaires puis publiques au Brésil31.

En dépit de la difficulté de nombreux universitaires à dépasser le ‘‘politiquement correct’’ et reconnaître la réalité des choses, les militaires ont en fin de compte largement permis au Brésil de passer du 49ème au 8ème rang économique mondial entre 1920 et le milieu des années 1980 (en particulier après le coup d’état de 1964)32

 


REUTERS/Adriano Machado

 

c) L’influence de l’armée dans le Brésil post-dictature

L’armée brésilienne s’est volontairement mise en retrait de la question politique dès 1984 et la fin de la dictature, ce qui s’est notamment soldé par la consolidation des divers ministères militaires (Terre, Marine, etc) en un unique Ministère de la Défense. Le Ministère de la Défense n’en n’est pas moins devenu central dans la gestion et le développement du complexe militaro-industriel brésilien.

Directement ou pas, l’armée participe très activement depuis les années 1980 à de très nombreux ‘‘think-tanks’’ dans tous domaines de la vie économique et politique, et notamment ceux qu’elle juge stratégiques. Elle cherche ainsi à maintenir une influence déterminante sur l’avenir du pays et la société civile sans avoir à recourir à la coercition. Ce faisant, elle a sans doute contribué à la prévalence d’une forte culture de protectionnisme national qu’elle avait elle-même initié (et qui rend le marché brésilien difficile d’accès aux produits plus qu’aux investisseurs étrangers)33. Partisane d’une position de leadership régional sans domination et de stratégies d’évitements des conflits, elle a également été centrale dans la décision du Brésil en 1988 de devenir une puissance nucléaire à fins uniquement civils34.

Le prestige de l’institution militaire demeure très important au Brésil, tandis que les écoles militaires constituent l’un des rares tremplins de promotion sociale pour certains jeunes issus de milieux sociaux défavorisés35. La population brésilienne reconnaît en outre une expertise réelle aux Forces Armées dans la gestion de problèmes de sûreté intérieure du pays (pilotage tout à fait réussi des récents Jeux Olympiques et de la Coupe du Monde de Football par exemple36).

 

 

d) Une zone d’influence régionale en cours d’élargissement

Toujours selon MESSIAS DA COSTA dans une seconde publication37, la doctrine militaire brésilienne ‘‘classique’’ a toujours considéré que c’est, au-delà des frontières du pays, l’Amérique du Sud dans son ensemble qui devait constituer la zone d’expression de la puissance économico/militaire et d’influence brésilienne (notion de ‘‘Brasil Pôtencia’’). Les relations initialement conflictuelles du Brésil avec ses voisins, notamment la grande Argentine (plusieurs conflits au XIXème siècle38), se sont récemment montrées plus consensuelles. Le rapprochement progressif du Brésil et de l’Argentine dès le milieu des années 1980 a en particulier permis la création du marché régional intégrationniste du Mercosul, que MESSIAS DA COSTA interprète comme une véritable concrétisation institutionnelle de la doctrine militaire brésilienne. Elargi sous l’administration Lula DA SILVA, puis doté de fonds structurels très inspirés des pratiques de l’Union Européenne, il est largement utilisé par le Brésil afin de peser sur ses voisins et promouvoir un leadership subtil et peu agressif. D’autres mécanismes moins connus, tels que l’UNASUL (Union des Nations Sud-Américaines) et le Bloc de Défense Sud Américain (tous les deux créés en 2008), sont utilisés dans le même sens.

Le succès du Mercosul et la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer auraient en outre suscité de nouvelles ambitions géostratégiques et géo-économiques pour le Brésil. Cette dernière convention a il est vrai permis au gouvernement de préciser l’étendue de ses eaux territoriales : une zone côtière étendue dénommée ‘‘Amazonia Azul’’, zone exclusive de développement économique défendue agressivement par la Marine de Guerre brésilienne39. ‘‘Amazonia Azul’’ permet au Brésil de contrôler les explorations pétrolières et gazières actuelles et à venir (lesquelles seraient prometteuses), et ce faisant de redéfinir une partie de son modèle de développement économique40. Allant plus loin lorsqu’il observe le resserrement des liens entre le Brésil et plusieurs pays africains lusophones ou non de la façade atlantique (à commencer bien entendu par l’Angola), MESSIAS DA COSTA en conclut que son pays a désormais redéfini sa stratégie de puissance sur une zone géographique qui s’étend non plus à la seule Amérique du Sud, mais à l’ensemble de l’Atlantique Sud (zone Antarctique y comprise).

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