La Coupe du Monde bat encore son plein mais laisse déjà un léger goût d’amertume, confinant parfois à la nausée. Placée sous le signe de l’anti-racisme et de la neutralité politique par la FIFA, soit les plus hautes instances du football mondial, cette Coupe du monde aura déjà marqué l’histoire par un retour du politique dans l’arène sportive, et pas sous ses plus beaux jours.

La Suisse joue pour l’Albanie, ou la résurgence des conflits des années 1990 au milieu du plus grand événement sportif mondial

Le vendredi 22 juin a marqué l’entrée d’un nationalisme exacerbé dans l’arène sportive. Lors du match Serbie-Suisse, l’équipe suisse formée de quatre joueurs d’origine albanaise, un macédonien, un croate, et dont le sélectionneur est serbe, n’était pas du tout représentative du melting pot clamé haut et fort par les instances du football international. Non, au contraire, ses joueurs ont fait preuve d’un nationalisme revanchard et manifeste, utilisant sciemment la médiatisation formidable (plus de 3 milliards de téléspectateurs) qu’offre le plus grand événement planétaire sportif. Xherdan Shaqiri est rentré sur le terrain avec des chaussures à crampon à l’effigie du drapeau albanais ; de parents originaires du Kosovo, ce drapeau est symbole de liberté pour les Albanais du Kosovo et en même temps pour les Serbes manifestation irrédentiste de leur province méridionale.  Il est étonnant que la FIFA ne se soit à aucun moment prononcée sur cette provocation manifeste de la part de Shaqiri, quand on sait que ce drapeau avait provoqué une bataille générale entre joueurs serbes et albanais dans le stade de Belgrade lors des éliminatoires, après qu’un activiste albanais ait fait voler ce drapeau à 2 mètres au-dessus de la pelouse du stade Maracana – cela avait valu des sanctions à la Fédération de football de… Serbie!

Mais un degré de nationalisme scandaleux a été atteint ce 22 juin 2018 lorsque Shaquiri, puis son compatriote suisse d’origine albanaise du Kosovo Granit Xhaqa ont, à chacun de leur but marqué, fait le tour du stade en montrant ostensiblement l’aigle albanais de leurs deux mains : cet aigle est non seulement le symbole national albanais, mais il a été l’emblème dans les années 1990 et 2000 de l’UCK (Armée de libération du Kosovo), groupe terroriste albanais. Ce groupe avait dès 1996 entamé une campagne d’assassinats politiques en Serbie qui ont débouché sur la guerre de 1998-1999 ; malheureusement, ce groupe n’a jamais interrompu sa politique de déstabilisation politique et en 2015 à Kumanovo, dans le nord de la Macédoine, des vétérans de l’UCK ont organisé un attentat meurtrier à l’égard de la population slave, macédonienne et serbe.

Les Croates arborent fièrement leurs couleurs et se servent du Mondial comme d’une arène politique

L’équipe de Croatie est une des plus belles équipes du moment, avec des joueurs de talent, qui maîtrisent la technique et savent s’organiser avec brio. On en viendrait presque à regretter l’ancienne Yougoslavie qui a su former des générations de grand talent et dont l’école de football était reconnue par les plus grands spécialistes.

Sauf que certains de leurs joueurs, mais aussi représentants officiels,  sont loin du message universaliste de la FIFA et sont bien décidés à utiliser la Coupe du monde à des fins politiques. L’image de madame Kolinda Grabar, le 7 juillet à l’occasion du match Croatie-Russie, était sur ce plan symptomatique d’une frustration atavique. Alors que le Premier ministre russe Medvedev, en costume trois pièces banal, s’efforçait de féliciter la Présidente croate lors des deux buts de son équipe, celle-ci sortant du protocole, explosa de joie à chacun de ces buts en sautillant comme un supporter lambda. Mais la force des symboles était là aussi présente : Madame Kolinda Grabar arborait, comme tous les joueurs de l’équipe nationale sur leur maillot, le damier rouge et blanc. Ce symbole, resurgi dans les années 1990, n’est rien d’autre que celui imposé pendant la Seconde guerre mondiale par un certain Ante Pavelic de sinistre mémoire. C’est lui qui avait entre 1941 et 1944 dirigé l’ « Etat Indépendant de Croatie » poussant la collaboration avec l’Allemagne jusqu’à créer le plus grand camp d’extermination des Balkans, Jasenovac. Un des joueurs de l’équipe croate, Dejan Lovren, avait déjà en début d’année entonné l’hymne des Oustachis, mouvement fasciste formé en 1941 par Ante Pavelic, «Za dom spremni».

Mais cela ne suffisait pas et après leur victoire contre les Russes, certains joueurs Croates se sont distingués ce 7 juillet par un provocation politique qui entâchera durablement ce mondial. Domagoj Vida et Ognjen Vukojevic ont adressé depuis leur vestiaire un message d’amitié à leurs amis ukrainiens se ponctuant par « Slava Ukraïna » (Vive l’Ukraine). Là encore, la politique s’immisce de plein fouet dans un événement sportif où elle n’a pas lieu d’être.

Photo : Reuters

La Coupe du monde football : symbole manifeste des évolutions géopolitiques en cours

Les commentateurs sportifs et experts de tout poil n’en reviennent toujours pas : la Coupe du Monde organisée par la Russie est une véritable réussite. Or, Dieu sait ce qu’on n’avait pas entendu depuis des mois : mêlant politique et sport, nos oiseaux de mauvais augure nous annonçaient l’apocalypse, entre batailles rangées de hooligans et attentats tchétchènes, manifestations contre le régime et vous allez voir ce que vous allez voir, Poutine ne pourra jamais s’en sortir. Or point de Poutine à l’horizon, à part le match d’ouverture – il s’intéresse davantage au hockey et a la décence de ne pas mêler cet événement aux grands enjeux politiques. Mais c’est surtout un Mondial parfaitement organisé, à la sécurité pointilleuse qui en a étonné plus d’un, dont le responsable de la sécurité de l’Euro 2016 qui a lâché « on ne pensait pas pouvoir faire mieux qu’en France en 2016 », mais aussi des hôtes chaleureux qui n’hésitaient pas à se mélanger avec les supporters colombiens ou nigérians, et même un public bon enfant qui a vibré pour l’équipe nationale jusqu’à ce quart de finale tragique contre la Croatie. Bref, une très bonne impression d’ensemble, bien loin de l’image terrible véhiculée sur les Russes et la Russie par les medias mainstream.

Or, ce Mondial aura été aussi une belle vitrine des recompositions géopolitiques en cours. On a vu déferler des dizaines de milliers de supporters venus des quatre coins de monde, se mêlant à la population, n’hésitant pas à faire des milliers de kilomètres pour atterrir sur le sol russe, puis des heures et des heures de train pour se déplacer sur ce territoire immense.

Et c’est là que l’on se rend compte que la France n’est pas un pays de football, ou bien que notre pouvoir d’achat est tombé si bas que l’on ne peut se rendre dans un pays à peine éloigné de 2h30 de vol d’avion. Je me souviendrais toujours de ces stades où, face à quelques centaines de supporters des Bleus à peine visibles, se dressaient des dizaines de milliers d’Australiens, de Péruviens, d’Argentins et d’Uruguayens. Nous arrivons en demie-finale, mais la petite Belgique vibre à l’unisson derrière son équipe, pendant que nous parlons football juste à l’heure de l’apéro, l’esprit déjà à nos vacances en Martinique ou chez la tante dans l’Aveyron. Bon sang, que ce peuple est endormi, et a tellement intégré le politiquement correct même dans les moeurs. Un peu d’émotion et de patriotisme seraient pourtant les bienvenus à l’approche de la finale annoncée du plus grand événement sportif au monde !

Alexis Troude

2 thoughts on “Football et politique: la montée du nationalisme à la Coupe du Monde de football

  • Cher Webmaster,

    Je suis l’auteur de l’article.

    Mais les deux photos que je vous ai envoyées concernent la première partie, celle sur l’équipe de Suisse.

    Pour la seconde partie, concernant la Croatie, veuillez chercher une photo du damier rouge et blanc, utilisé aussi durant la Seconde guerre mondiale par le gouvernement d’Ante Pavelic.

    Merci
    Alexis TROUDE

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    • Erreur corrigée, bien à vous 😉

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